2016-2017
« Du pain en tant de paix est meilleur que du gâteau en temps de guerre »
Du pain en temps de paix est meilleur que du gâteau en temps de guerre
Vendredi 27 janvier 2017,
Il y a un peu plus d’un an, j’allais encore à l’école, je voyais mes amis, j’allais à la boulangerie acheter du pain pour le petit-déjeuner et le souper, on allait se promener au parc … Mais cela a beaucoup changé : je ne vais plus à l’école, ce sont mes parents qui nous apprennent l’essentiel à mes frères et sœurs et à moi; et mes amis, peut-être ne sont-ils plus de notre monde … Nous ne devons montrer aucun signe de vie et être attentifs au moindre bruit provenant du dehors. Lorsque quelqu’un marche dehors ou qu’un avion passe près de notre maison, on doit se cacher dans le sous-sol. Il y a quelques jours, des soldats de l’armée voisine ont fouillé notre maison et heureusement, ils n’ont pas trouvé l’entrée du sous-sol. Quand on est monté, il n’y avait plus rien. Les soldats ont installé des mines sur le sol et nous devons faire très attention. Ma sœur est née hier dans notre sous-sol car il n’y a plus d’hôpital : c’est ce que les soldats ont détruit en premier et ce qu’ils détruisent encore en priorité. Ce matin, la boulangère a dit à ma mère que dans une semaine, elle sera ravitaillée en farine et qu’elle fera certainement une dizaine de gâteaux. Le maire a eu l’idée de creuser des galeries pour rejoindre quelques marchands du village. Mon frère, ma sœur et moi avons aidé mon père à creuser ces galeries souterraines.
Mardi 14 février 2017,
Nous avons pratiquement épuisé toutes les provisions. On ne mange plus qu’un morceau de pain par repas. En allant ravitailler la superette, la Croix-Rouge s’est fait remarquer par l’armée ennemie. La superette a été bombardée puis dévalisée. La boulangerie n’a été ravitaillée qu’il y a 2 jours. Ma mère est partie acheter du pain et le gâteau que la boulangère avait promis. En y pensant, je ne vois pas l’intérêt de faire des gâteaux car c’est cher et meilleur quand il est savouré. Qui arrêtera de faire attention au bruit pour manger une part de gâteau ? Ce n’est pas une part de gâteau qui fera arrêter la guerre. A chaque instant, nous pouvons mourir. Nous devons être constamment attentifs. Notre vie ne vaut-elle pas plus qu’une part de gâteau ? Ma mère est partie depuis longtemps déjà. J’espère qu’il ne lui est rien arrivé. Au bout de 4 heures, mon père est parti voir à la boulangerie ce qu’il se passait. Arrivé devant l’entrée de la boulangerie, il trouva ma mère allongée par terre, tout comme la boulangère, le boulanger, 2 autres clients et leurs enfants. La boulangerie a elle aussi été bombardée. Mon père n’eut pas le temps de pleurer qu’une explosion venait de chez nous. Je m’étais retrouvée contre un mur, le sol était troué (mais pas au niveau du sous-sol), la vaisselle s’était cassée en tombant, ma sœur s’est mise dans un coin et n’a pas été touchée, le berceau de ma petite sœur née il y a un mois s’est renversé; heureusement, elle n’a eu que le poignet tordu. Mon frère était allongé par terre, il pleurait. Il avait marché sur une mine, il n’avait plus le bas de ses jambes. Mon père arriva en courant, il se précipita sur mon frère et lui fit deux garrots aux jambes pour que le sang arrête de couler. Il n’y avait pas de troupe dans notre village à ce moment. Cette nuit-là, je ne dormis pas.
Lundi 3 avril 2017,
Vêtue d’une robe blanche, je cours dehors dans l’herbe verte avec mes sœurs et mon frère qui nous suit en fauteuil roulant. Il y a du soleil et on entend les oiseaux chanter. C’est magnifique ! Mon père nous appelle pour venir à table. On s’assied donc à table sous un arbre. Mon père partit dans la maison chercher quelque chose. Il revient en chantant « Joyeux anniversaire » et il dépose le plat devant mon frère. A ma grande surprise, ce n’est pas un gâteau mais du pain ! Qu’importe ? On est ensemble, heureux, il fait beau, on vit et on est en sécurité. Alors, dans ces circonstances, le pain est meilleur que du gâteau. Tout à coup, j’ai l’impression d’être secouée et en un instant je m’éveille et je tombe dans la dure réalité. Tout cela n’était donc qu’un rêve … Mon père me tire hors de mon lit et m’emmène à la porte de la cave, il essaie de l’ouvrir mais il n’y arrive pas. J’essaie donc à mon tour mais toujours impossible. Les soldats entrent, nous n’avons pas le temps de nous cacher que déjà on est emportés. Le seul que je revis fut mon frère : il avait 20 ans et moi 17 ans.
Manon Surdyk, classe de 4e C, collège Paul Bert, Evreux – LDH Evreux
Institutrice : Martine Gandon