Par Corinne Deloy, chargée d’études au Centre de recherches internationales (CERI)
de Sciences Po et responsable de l’Observatoire des élections en Europe (OEE) de la Fondation Robert Schuman.
Soutenu par le Parti socialiste bulgare (BSP), Roumen Radev, 53 ans, ancien chef des forces aériennes (2014-2016), a été élu le 13 novembre 2016 président de la République de Bulgarie. Avec 59,37 % des suffrages, il a devancé Tsetska Tsatcheva, 58 ans, actuelle présidente de l’Assemblée nationale (Narodno sabranie), chambre unique du parlement bulgare, et candidate du parti du Premier ministre en exercice Boïko Borissov, les Citoyens pour le développement européen de la Bulgarie (GERB),
qui a recueilli 36,16 % des voix. Il s’agit d’un sérieux revers pour le chef du gouvernement qui voit sa candidate battue de plus de 20 points.
4,48 % des électeurs ont choisi l’option « aucun des candidats » qui leur est désormais offerte lors de toutes les élections qui se déroulent au scrutin majoritaire, soit la présidentielle et les législatives. Alors que le vote est désormais obligatoire dans le pays, la moitié des Bulgares seulement se sont rendus aux urnes le 13 novembre (50,44 % et 56,28 % une semaine plus tôt).
Roumen Radev était arrivé en tête du premier tour de l’élection présidentielle organisé le 6 novembre avec 25,44 % des suffrages. Sa rivale avait obtenu 21,96 % des voix.
Au total, vingt et une personnes s’étaient portées candidates à la succession de Rossen Plevneliev qui avait annoncé en mai 2016 qu’il renonçait, pour raisons personnelles, à postuler pour un deuxième mandat à la tête de l’État. La loi électorale avait été modifiée par le parlement trois semaines avant le premier tour du scrutin présidentiel.
Une victoire de l’opposition
Selon Antony Todorov, professeur de science politique à la Nouvelle université bulgare de Sofia, le vote obligatoire a favorisé le candidat du Parti socialiste. « Dans les petites localités, traditionnellement plus favorables aux socialistes, les électeurs ont massivement voté par crainte de sanctions », a t-il déclaré. Par ailleurs, Roumen Radev a bénéficié de l’image favorable des forces armées auprès des électeurs. Sa faible notoriété a également constitué un avantage à l’heure de la défiance envers les politiques traditionnels.
Selon les enquêtes d’opinion sortie des urnes, il aurait rassemblé sur son nom 92 % des électeurs qui avaient choisi au premier tour de scrutin l’ancien chef du gouvernement (2013-2014) et ministre des Finances (2005-2009) qui se présentait comme candidat indépendant Plamen Oresharski (6,63 % des voix) et 69 % de ceux qui s’étaient prononcés pour Krassimir Karakachanov, candidat de la coalition Patriotes unis (14,97 % des suffrages). Sa rivale aurait quant à elle rallié 46 % des électeurs de l’ancien ministre de l’Économie, de l’Énergie et du Tourisme (2009-2012) Traïtcho Traïkov, candidat du Bloc réformiste (RB), qui a recueilli 5,87 % des voix le 6 novembre.
Roumen Radev a promis d’être très actif en matière de lutte contre la corruption – un fléau qui gangrène la Bulgarie –, de travailler à une plus grande transparence des institutions et de modifier la politique migratoire. Face à l’arrivée en Europe de personnes fuyant les conflits du Moyen-Orient ou d’Afrique, il défend une position de fermeté. « Je ne permettrai pas que la Bulgarie devienne le camp de réfugiés de l’Europe (…) Nous sommes obligés d’aider les réfugiés, mais les migrants d’Afghanistan et du Pakistan doivent être renvoyés chez eux. Sauf si nous voulons suivre l’exemple de la France, de la Belgique et de l’Allemagne et connaître ensuite leurs problèmes d’intégration », a t-il déclaré. Sa position sur les réfugiés explique que l’ancien militaire ait reçu le soutien des nationalistes au deuxième tour.
Surnommé le général rouge par ses adversaires, Roumen Radev a annoncé qu’il développerait la coopération économique avec Moscou. Il a fait part de son désir de « travailler étroitement avec le gouvernement et avec les collègues de l’Union européenne, en vue d’une levée des sanctions économiques européennes imposées par l’Union européenne à la Russie » à la suite de son annexion de la Crimée (« la Crimée est ukrainienne en droit mais de facto russe », a t-il souligné) et de son intervention militaire dans l’Est de l’Ukraine. Le nouveau président a également indiqué qu’il souhaitait renforcer la partie économique de la politique étrangère et qu’il nommerait un conseiller spécial en charge de cette dimension.
« Je ne suis ni prorusse ni proaméricain mais pro-bulgare », a t-il indiqué pour rassurer ceux que son orientation russe pourrait inquiéter. « Être pro-européen en signifie pas nécessairement être antirusse (…) Une amélioration nécessaire des relations avec la Russie ne constitue pas un recul des valeurs euro-atlantiques », a t-il ajouté.
Roumen Radev aime à rappeler qu’il est un « général de l’OTAN formé aux États-Unis » et que, pour lui, l’appartenance de son pays à l’Union européenne à l’OTAN n’est « pas négociable ». Il se veut le défenseur d’une Bulgarie « active et non soumise » au sein de ces deux instances. Rappelons que la politique étrangère de Sofia est déterminée par le gouvernement.
« Pour la première fois, la géopolitique a dominé les débats. Les relations entre la Bulgarie et l’Union européenne et entre Sofia et Moscou ont été remises en question et il y a eu des débats sur la gestion d’une possible crise migratoire », a souligné le directeur de l’institut Gallup, Parvan Simeonov. La lutte contre la pauvreté, la crise démographique et l’exode de la population (plus d’un million de personnes ont quitté le pays pour des raisons économiques) ont constitué les autres thèmes de la campagne électorale.
Originaire de Dimitrovgrad (Sud-Est de la Bulgarie), Roumen Radev est diplômé de l’École de mathématiques de Haskovo (1982), de l’université des forces aériennes (1987), de l’École d’officiers Squadron (1992), de l’université de la défense Rakovski (1996) et de l’université de la guerre aérienne de la base militaire de Maxwell (Etats-Unis) (2003). Il a fait toute sa carrière dans l’armée bulgare et a été nommé, en 2014, chef des forces aériennes du pays, responsabilité qu’il a cessé d’exercer en 2016 afin de se présenter à l’élection présidentielle. En 2014, il avait présenté sa démission au Premier ministre Boïko Borissov pour protester contre la faiblesse du soutien de l’État aux forces militaires aériennes après que le gouvernement eut déposé un projet de loi qui permettait aux forces aériennes des pays de l’OTAN d’intervenir auprès de celles de la Bulgarie. Il avait repris sa démission après avoir été reçu par le chef du gouvernement.
Le choix de Roumen Radev comme candidat de la gauche du gouvernement marque le rapprochement du Parti socialiste et de l’Alternative pour une renaissance de la Bulgarie (ABV), parti de l’ancien président de la République (2002-2012), Georgi Parvanov. Cinq jours après l’élection de Donald Trump à la Maison blanche, la victoire de l’ancien militaire à la présidentielle bulgare constitue également la deuxième bonne nouvelle de la semaine pour le chef de l’État russe, Vladimir Poutine (Russie unie, ER).
L’échec personnel de Boïko Borissov
Face à Roumen Radev, Tsetska Tsatcheva se présentait comme une garantie de stabilité et comme la seule à même de préserver l’orientation européenne et euro-atlantique de la Bulgarie. Ses partisans avaient d’ailleurs appelé les Bulgares à se mobiliser contre le « totalitarisme communiste » et affirmé que l’élection de Roumen Radev conduirait à un gel des fonds européens.
De nombreuses personnes avaient critiqué le choix fait par Boïko Borissov pour cette élection présidentielle, arguant du fait que la présidente du parlement, désignée très tardivement, manquait cruellement du charisme nécessaire pour remporter le scrutin.
« Les gens en ont assez d’entendre le GERB se vanter alors qu’ils ne voient aucune amélioration de leur niveau de vie », a souligné Antony Todorov. De son côté, Parvan Simeonov a parlé de « vote de protestation dans un contexte international qui encourage la volonté de changement : écroulement des autorités traditionnelles en Europe occidentale, changement radical aux États-Unis, hausse des ambitions de la Russie ».
À l’heure où remporter un référendum relève du miracle et alors que le chef de l’État a, en Bulgarie, un rôle essentiellement honorifique, le Premier ministre Boïko Borissov avait choisi de transformer l’élection présidentielle en vote de confiance de son gouvernement. Le 3 octobre, après avoir annoncé sa candidature personnelle à l’élection présidentielle de … 2021 ! Il avait en effet indiqué qu’il démissionnerait de ses fonctions de chef du gouvernement si Tsetska Tsacheva, ne remportait pas l’élection présidentielle. Cette personnalisation du vote a visiblement davantage mobilisé ses adversaires que ses partisans.
Conformément à sa promesse, le chef du gouvernement a annoncé sa démission à l’issue du scrutin. Le président de la République sortant Rossen Plevneliev ne pouvant dissoudre le parlement durant les trois derniers mois de son mandat qui se terminera le 22 janvier 2017, les élections législatives consécutives à la démission du chef du gouvernement n’auront pas lieu avant le printemps prochain.
La victoire à l’élection présidentielle de Roumen Radev, novice en politique, révèle l’ampleur du mécontentement d’une grande partie des Bulgares à l’égard de leurs élites. Elle signe également le début de la campagne des législatives pour lesquelles le GERB est favori. La formation ne devrait cependant pas être en mesure d’obtenir la majorité absolue. Selon le Premier ministre Boïko Borissov, la coalition alternative à son gouvernement serait une alliance unissant le Parti socialiste et le Mouvement pour les droits et les libertés (DPS), formation représentant la minorité turque. « Une coalition qui isolerait la Bulgarie au niveau international et se solderait par un gel des financements européens », a t-il souligné.