Communiqué commun signé par la LDH
Depuis plusieurs semaines, le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin accuse les consommateur-rice-s de drogues de favoriser la violence. Le Collectif national pour une nouvelle politique des drogues[1] appelle le gouvernement à mettre fin à cette stigmatisation et rappelle que la seule réponse efficace en matière de drogues est une politique de santé publique incluant la dépénalisation de la consommation. Le collectif présente ainsi une proposition de loi visant à supprimer les sanctions liées à l’usage de drogues et lance une pétition citoyenne en ce sens.
Depuis plusieurs semaines, le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin multiplie les déclarations martiales ciblant les consommateur-rice-s de drogues, les accusant de « faire naître » les tragiques règlements de compte entre trafiquant-e-s ou encore de participer au « financement du terrorisme ». Alors que la politique de répression menée par le ministre fait clairement la preuve de son échec, les organisations du Collectif pour une nouvelle politique des drogues dénoncent cet acharnement médiatique et répressif qui aggrave les risques sociaux et sanitaires des drogues plutôt que de les prévenir.
La faillite des politiques répressives en matière de drogues dans notre pays est flagrante. La France est en effet le premier pays d’Europe à consommer du cannabis : près de la moitié (44,8 %) des Français·e·s de 15 à 64 ans l’ont déjà expérimenté. La consommation de cocaïne connaît, elle, une progression continue en France et fait partie des plus élevées en Europe (6 % des adultes français en avaient déjà expérimenté en 2017 contre 1,8 % en 2000).
Les politiques répressives ont des conséquences désastreuses en matière de santé publique. La consommation est sensiblement plus importante que dans les pays optant pour la dépénalisation de l’usage de drogues, le nombre de surdoses plus importants, les risques infectieux (VIH et hépatites) plus élevés, et l’éloignement du système de soins pour les usager·ère·s de drogues plus marqué.
Inefficaces et dangereuses, ces politiques représentent également un coût considérable pour la France et sont essentiellement dédiées à la répression sur la voie publique et non au démantèlement des trafics. Pas moins de 1,72 milliards d’euros sont prévus au budget de l’État pour la répression des consommateur·rices de drogues. Ce budget est en hausse constante : en 2018, les forces de l’ordre s’étaient vu attribuer 1,08 milliard d’euros pour la lutte contre les drogues, soit une hausse de 91 % en six ans.
C’est pour l’ensemble de ces raisons que les organisations membres du Collectif pour une nouvelle politique des drogues ont proposé en juin 2023 une proposition de loi visant à supprimer les sanctions liées à l’usage de drogues et lancé une pétition citoyenne en ce sens.
Un tel changement législatif suivrait l’exemple d’autres pays (comme le Portugal) mais également les recommandations internationales sur la question. Dans un rapport d’août 2023, le haut-commissaire de l’ONU aux droits de l’homme recommande ainsi aux États de dépénaliser la consommation, rappelant qu’il est « prouvé que la suppression des sanctions visant les consommateurs de drogues peut réduire la surpopulation carcérale, avoir des effets positifs en matière de santé, favoriser le respect des droits de l’homme ».
Alors qu’elle vient d’annoncer une campagne de communication à l’intention des consommateur·rice·s de stupéfiants, nous appelons la Première ministre à se saisir de cette question : les sujets liés aux drogues touchent aux champs social, sanitaire, judiciaire, sécuritaire, ils sont par nature interministériels et ne sauraient donc rester l’apanage du seul ministre de l’Intérieur.
[1] Le Collectif est constitué d’organisations de policier·ère·s, magistrat·e·s, usager·ère·s, professionnel·le·s de l’addictologie, associations de défense des droits humains.
Le nombre d’interpellations par les forces de l’ordre pour infraction à la législation sur les stupéfiants a été multiplié par cinquante entre 1972 et 2014 et par trois depuis le milieu des années 1990 : un-e usager-ère de cannabis est interpellé-e en moyenne presque toutes les 4 minutes.
Et si, dans les discours politiques, les trafics prennent beaucoup de place, dans la réalité, les forces de l’ordre sont très majoritairement mobilisées pour un simple usage : 80 % des interpellations pour infraction à la législation sur les stupéfiants concernent l’usage simple de stupéfiants et non pas le trafic. L’activité des forces de l’ordre, démesurément mobilisées sur la répression de l’usage de stupéfiants, vecteur essentiel de la politique du chiffre, n’a pas plus d’effet sur les taux de consommation que sur la vitalité des trafics.
La justice, de son côté, est loin d’être « laxiste » : le taux de réponse pénale en matière de stupéfiants est de 98,2 % pour les infractions d’usage. Le nombre de condamnations a plus que doublé entre 2004 et 2018 (passant de 34 000 à 76 804).
Les politiques répressives ont des conséquences très néfastes sur les droits humains et la santé des personnes : en rejetant les consommateur-rice-s de drogues aux marges de la loi, la France stigmatise une grande partie de sa population et entrave l’accès aux services de santé pour celles et ceux qui en ont le plus besoin.
Concrètement, 10 à 15 % des consommateur-rice-s qui rencontrent des problèmes dans leur consommation et souhaitent se faire aider par des professionnel-le-s de santé sont freiné-e-s dans leurs démarches par la peur de la sanction et la stigmatisation. Pire encore, les personnes qui interviennent en urgence — à la suite d’une overdose notamment — sont trop souvent réticentes à appeler les secours.
Par ailleurs, l’efficacité démontrée des campagnes centrées sur l’information et la motivation au sujet de la consommation de drogues licites tels que l’alcool (campagne du Dry January) ou le tabac (campagne du Mois sans tabac) prouve l’inadéquation de recourir à la peur et à l’interdit pour réduire les risques et faire réfléchir à sa consommation ; une politique de prévention par l’abstinence comme seule perspective n’en est pas une.
Finalement, l’approche répressive expose les usager-ère-s de drogues à des pratiques à risques, y compris à risques infectieux, quand par exemple 65 % des nouveaux cas d’hépatites C chaque année concernent les usager-ère-s de drogues par voie injectable. Bien loin de protéger, la stigmatisation de la consommation est en réalité un frein à l’accès à la prévention, au soin et à la réduction des risques : son impact sur les parcours de soin de toute la population doit conduire à sa remise en cause au profit d’un cadre légal adapté et centré sur l’accès à la santé.
Dépénaliser, la seule solution pour une politique qui protège la santé et les droits de tous-te-s
Paris, le 26 septembre 2023