Par Isabelle Denise, responsable du service juridique de la LDH
Certains dossiers viennent de loin. Ils demandent du temps, beaucoup de temps, pour être entendus, analysés et, enfin, traités par les autorités concernées auxquelles la LDH a fait appel. Tel est le cas du dossier relatif aux difficultés rencontrées par les enfants de moins de 12 ans, de nationalité étrangère, résidant en France, souvent même qui y sont nés, et qui souhaitent obtenir la délivrance d’une première licence amateur afin de jouer dans le club de football de leur quartier.
Automne 2009. La section LDH du 18e arrondissement de Paris et le président du club l’ES Parisienne ont saisi, dossiers individuels à l’appui, les instances de la LDH des obstacles persistants constatés dans le traitement des demandes de mineurs qui voulaient s’inscrire dans le club de leur quartier. Il était en effet exigé, outre les pièces habituelles liées à la pratique d’un sport, un document attestant d’une résidence effective sur le territoire français du mineur dès lors que celui-ci ne justifiait pas être de nationalité française. A défaut, la licence amateur ne serait pas délivrée.
Avant toute action sur le fond, des courriers ont été envoyés au président de la Fédération française de football (FFF), au président de la Fifa et à la secrétaire d’Etat aux sports, à l’époque Rama Yade. Si cette dernière n’a jamais répondu à notre saisine, de son côté, la FFF a reçu la LDH. Il s’est agi d’une rencontre « impasse » dans la mesure où la FFF, particulièrement tendue, a pris l’intervention de notre association pour une mise en cause de son travail, et a cru que nous voyons en eux l’expression d’un comportement raciste. La question n’était pas là.
Quant à la Fifa, elle nous a simplement rappelé les dispositions en vigueur à l’article 19 du règlement Fifa relatif au statut et au transfert des joueurs, dispositions qui ont pour « but de lutter contre le « trafic » de jeunes joueurs étrangers, et […] la protection des jeunes joueurs de football mineurs ». Certes, mais là encore nous étions hors sujet.
La LDH ne peut accepter que le sens d’une législation qui se veut protectrice trouve sa source dans un traitement pénalisant et discriminatoire pour les enfants.
Du rappel de quelques principes. Par courrier du 29 septembre 2010, la LDH a saisi la Halde d’une « réclamation sur les mesures discriminatoires à l’encontre des enfants étrangers concernant l’accès à une activité extrascolaire ». La réclamation était articulée en trois axes : le rappel des normes juridiques pertinentes tant en droit international (Convention internationale des droits de l’enfant – Cide) qu’en droit interne (articles 225-1, alinéa 1er et 225-2 du Code pénal sur les discriminations), le rappel des faits, la discrimination directe dont sont victimes les enfants étrangers.
Le Défenseur des droits héritera de la réclamation, qui a donné lieu à de très nombreux échanges entre l’autorité indépendante, la FFF et la Fifa.
Une des dernières décisions de Dominique Baudis. Le 27 mars 2014 a été rendue la décision n° MLD-MDE-2014-48, après consultation du collège en charge de la lutte contre les discriminations et de la promotion de l’égalité et du collège en charge de la défense et de la promotion des droits de l’enfant, par laquelle notamment le Défenseur des droits « décide de :
– constater que les règlements des fédérations n’ont pas été expressément modifiés ;
– recommander à la Fédération française de football, au ministère des Sports et à la Fifa d’envisager une réglementation plus appropriée pour garantir la protection des mineurs et qui ne comporte pas de risque de discrimination ;
– demander qu’il lui soit rendu compte des suites données dans un délai de trois mois à compter de la notification de la présente décision […] ».
La décision ainsi rendue par le Défenseur des droits est essentielle en ce qu’elle pointe ce que nous affirmons depuis plus de quatre ans, à savoir que les moyens mis en œuvre pour réaliser l’objectif de lutte contre le trafic des jeunes mineurs étrangers dans le football sont totalement inappropriés. Ainsi, la décision relève que l’exigence d’une durée préalable de cinq années de résidence sur le territoire français « apparaît comme étant particulièrement longue, et semble in fine inadaptée pour répondre de manière satisfaisante à l’objectif poursuivi ». Le Défenseur des droits reprend également le fait que « si, encore une fois, la volonté de lutter en amont contre les pratiques abusives est louable en elle-même, il semble cependant que le dispositif en place traduit à la fois un excès de prudence concernant la pratique du football comme simple activité de loisir, et symétriquement une insuffisance de contrôle des comportements de certains clubs professionnels ».
Le dossier est-il clos en ce début d’été 2014, en pleine ferveur du Mondial ? La réponse n’est pas si évidente et nous avons déjà eu des déconvenues. Souvenons-nous, le 23 avril 2013, Valérie Fourneyron, alors ministre des Sports et de la Jeunesse répondait, à l’Assemblée nationale, à une question orale. Nous apprenions ainsi qu’ « en février 2013, la Fédération française de football s’est rangée aux arguments du ministère et a proposé une modification de sa procédure d’examen des premières demandes de licence, permettant de traiter les mineurs nés en France de parents étrangers comme les joueurs mineurs nés de parents français ». Or, rien n’a été modifié.
Certes, le Défenseur des droits, par cette décision du 27 mars dernier, a dit le droit. Mais la LDH fermera le dossier uniquement lorsque la FFF et les autorités françaises auront pris leur responsabilité et auront rendu ce droit effectif.