Tribune de Michel Tubiana, président d’honneur de la LDH et président du REMDH, publiée le 17 juillet 2014 sur mediapart.fr
Ainsi donc le décompte macabre des morts a recommencé, a-t-il d’ailleurs jamais cessé ? Voici de jeunes Israéliens exécutés froidement, d’autres jeunes Palestiniens assassinés, l’un d’entre eux brûlé vif. Il faut aussi ajouter ces dizaines de morts palestiniens qui sont censés répondre aux bombardements aveugles des populations civiles israéliennes. Quant aux destructions de biens privés ou publics en guise de représailles, les médias n’en parlent même plus ou presque. Toutes les explications possibles ne pourront jamais justifier ce prix infligé délibérément aux populations civiles. Rien ne serait pire que de tenter de justifier l’injustifiable par les horreurs commises par l’adversaire ; cet engrenage terrible ne conduit qu’à rendre acceptable, dans ce conflit comme dans d’autres, ce qui ne peut l’être sauf à se perdre dans une surenchère toujours plus sanglante.
Mais rappeler cette loi, ce n’est pas ignorer les causes d’une situation qui relève de la catastrophe annoncée et toujours recommencée. Si nous laissons les explications messianiques au magasin des (mauvais) accessoires, que reste-t-il ? La volonté d’une partie des juifs de se constituer en Etat, ce que la communauté internationale a admis en 1948 et que la majorité des Palestiniens a elle-même reconnu avec la signature des accords d’Oslo, et la même volonté des Palestiniens de se constituer en Etat souverain, droit que la communauté internationale lui marchande et qu’Israël nie dans les faits. Au milieu, une terre, porteuse de tant de références et objet et support de la dispute.
Il serait naïf d’ignorer qu’à ces réalités fondamentales s’ajoutent les intérêts géopolitiques des uns et des autres : intérêts régionaux, ou plus larges encore, ils ne font que rendre un peu plus difficile une solution dont tout le monde pourtant connaît les grandes lignes.
En attendant la situation ne cesse de se dégrader, non seulement parce que la violence ouverte perdure, mais aussi parce que la violence quotidienne de l’occupation et la poursuite de la colonisation posent autant de faits accomplis qui obèrent la solution de deux Etats viables.
Dans ce contexte, l’attitude de l’Union européenne, et de la France en particulier, est révélatrice de ce qu’il faut bien finir par appeler par son nom : un soutien à peine mesuré aux autorités israéliennes. Et cela va jusqu’aux symboles : que le président de la République assure Benjamin Netanyahou de la solidarité de la France face à une violence aveugle, on le comprend. Qu’il n’ait pas eu le même souci face aux victimes palestiniennes en dit long sur l’inconscient qui affleure. Décidément, pour certains Européens, au nom d’une histoire dont ils se sentent plus ou moins coupables, la vie d’un arabe ne vaudra jamais la vie d’un juif.
Déjà insupportable au regard des principes, cette attitude est de plus dramatique quand elle vient renforcer le sentiment de discrimination que vivent nombre de nos concitoyens.
L’Union européenne a pourtant les moyens de faire valoir une autre politique : 32 % et 34 % des exportations et importations israéliennes, ceci donne une puissance certaine pour se faire entendre des autorités de ce pays qui n’ont jamais réagi qu’au rapport de force. Mais pour cela, il faudrait que l’Union inverse ses priorités et finisse par admettre que la stabilité de cette région et, au-delà, la propre sécurité de l’Europe, passent par la création d’un Etat palestinien souverain, dans des frontières aussi sûres et reconnues que celles de l’Etat d’Israël. Si, dans cette perspective, les vingt-huit membres de l’Union européenne soutenaient l’adhésion de la Palestine en tant que membre de plein exercice de l’ONU, cesserait alors la perception désastreuse qu’a de nous le reste du monde ou presque : celui d’un continent faible et ne faisant des principes qu’il affiche qu’une variable d’ajustement de ses intérêts.
Le 17 juillet 2014