On savait que la démocratie représentative était bien malade ; deux événements qui ont ponctué la rentrée politique et sociale semblent indiquer que pour certains la cause est entendue : plutôt que de débattre, il s’agit de « faire », quitte à « faire sans ». Mais à quel prix ?
Les commentateurs ont largement commenté les propos tenus par Emmanuel Macron devant Le Monde, le dimanche 27 septembre dernier. Critiqué par les membres de la majorité pour avoir prétendu que le libéralisme était une valeur de gauche, le ministre de l’Economie a largement développé sa vision du monde en général et de la démocratie en particulier. C’est ainsi que, à la question de savoir s’il comptait se présenter face au suffrage universel, Emmanuel Macron, a répondu par une déclaration sans ambiguïté : « Je n’ai jamais voulu être candidat », et il n’entend pas le faire en 2017. La raison est elle aussi sans ambiguïté : l’élection est « out », tout juste bonne pour les has-been ; pour le ministre, solliciter des suffrages, devenir député, « c’est le cursus honorum d’un ancien temps ». Cet « ancien temps », parfois qualifié de démocratie représentative, présente évidemment beaucoup d’inconvénients, dont celui d’être responsable devant les électeurs. Alors que la gouvernance chère à notre ministre présente, elle, tous les avantages des régimes aristocratiques : confort de l’entre-soi, moelleuse irresponsabilité, mépris sous-jacent des sachants vis-à-vis du vulgum pecus encore attaché au fameux « cursus honorum ». Ce modèle-là, celui de l’intelligence autoproclamée, prévaut sur les vertus du débat démocratique, celui d’une pensée opportuniste s’oppose aux exigences attachées aux principes. Aristocratie contre démocratie, le combat ne date pas d’hier ; mais voir exaltée la première par le ministre en charge de l’Economie – et donc de la redistribution sociale – est, à tout le moins, déconcertant, pour ne pas dire inquiétant. Comme est inquiétant le fait que cette déclaration n’ait pratiquement donné lieu à aucun commentaire.
Tout aussi préoccupant est le relatif silence qui a entouré l’épisode de la négociation salariale dans la fonction publique ; soyons clairs, il ne s’agit pas pour la LDH d’entrer dans le détail de ces négociations, sur lesquelles elle n’a ni légitimité ni expertise. L’enjeu est ailleurs, et il concerne le dialogue social et sa crédibilité. Après une année de négociations, l’accord devait, pour être validé, recueillir l’aval de syndicats représentant au moins 50 % des voix aux élections professionnelles. Or il a été rejeté par la CGT (qui représente 23,1 % des voix), Force ouvrière (18,6 %) et Solidaires (6,86 %). Un tel cas de figure avait été prévu, et la ministre en charge avait signifié que, sans accord majoritaire, le gouvernement retirerait toutes ses propositions. Il n’en a rien été, Manuel Valls ayant décidé de trancher le nœud gordien en s’adonnant à une sorte de jeu de bonneteau. « Six syndicats sur neuf représentatifs de la fonction publique ont dit qu’ils signeraient l’accord, trois ont annoncé qu’ils ne signeraient pas. Les six sur neuf représentent 49 % des fonctionnaires. Je reconnais que cela ne fait pas 50 %. Dans la fonction publique de l’Etat, qui représente pratiquement la moitié des fonctionnaires, les signataires sont très largement majoritaires, c’est-à-dire 59 %. » Dans un contexte marqué par les déclarations d’Emmanuel Macron qualifiant le statut des fonctionnaires de ni « adéquat » ni « justifiable », la décision de Manuel Valls prend des allures de fait du prince. En l’espace de quelques jours, deux éminents responsables gouvernementaux ont ainsi donné aux Français une véritable leçon de choses grandeur nature sur la démocratie. Pour le premier, le suffrage universel a vécu, et mieux vaut en faire l’économie. Le second, lui, défend fermement la voix des urnes, pourvu qu’on puisse ne pas l’entendre. Petites phrases, petits hommes ? Sans doute. Mais la crise dont ils relèvent, elle, n’a pas fini d’exercer ses ravages, autant vis-à-vis du dialogue social que du dialogue civil…
A noter que cet article a été écrit avant les incidents d’Air France…