Le 4 octobre 2021, l’Humanité
Disparition. Michel Tubiana, combattant infatigable des droits et des libertés
Avocat, ancien président d’EuroMed Droits, ancien vice-président de la Fidh, secrétaire général, président, puis président d’honneur de la LDH, Michel Tubiana s’est éteint ce samedi 2 octobre, à l’âge de 68 ans.
Né le 24 novembre 1952 à Alger, Michel Tubiana a 10 ans en 1962, lorsque sa famille quitte l’Algérie pour s’installer à Paris. Il milite à la Jeunesse communiste révolutionnaire (JCR), au lycée, et entre au Grand Orient de France en 1972. Après ses études de droit, il devient avocat en 1974. Il adhère à Ligue des droits de l’Homme (LDH) en 1981. Secrétaire général de l’association entre 1984 et 1995, président en 2000, il en était président d’honneur depuis 2005.
Parmi ses grands combats, Michel Tubiana a notamment plaidé en 1998 en tant que partie civile au procès de Maurice Papon, secrétaire général de la préfecture de Gironde entre 1942 et 1944 impliqué dans des actes d’arrestation et de séquestration lors de l’organisation de la déportation des juifs de la région bordelaise vers Auschwitz et qui sera condamné pour complicité de crimes contre l’humanité. L’avocat y a démontré que Papon avait fait « le choix de Vichy en toute connaissance de cause ».
Du désarmement d’ETA à la défense des militants antifacistes Autre combat notable, sa défense, avec l’avocat Jean-Louis Chalanset, du cofondateur du groupe d’extrême gauche, Action directe, Jean-Marc Rouillan. Artisan de la paix au Pays basque, il fut aussi l’une des chevilles ouvrières de
l’opération de désarmement d’ETA et membre du collectif Bake Bidea, militant pour les droits des prisonniers basques.
Avocat de deux amis de Clément Méric, étudiant antifasciste tué dans une rixe impliquant des nervis d’extrême droite à Paris en 2013, il s’est également engagé contre l’extradition du militant italien d’extrême gauche Cesare Battisti.
Militant antiraciste, Michel Tubiana avait dénoncé, l’année dernière, dans nos pages, l’attitude de dénégation d’Emmanuel Macron concernant « la réalité des violences policières fondées sur une discrimination liée à l’origine », le président de la République évoquant le « communautarisme » et le « séparatisme » de ceux qui les dénonçaient. « Le chef de l’État n’a pas à dicter aux victimes du racisme les canons selon lesquels elles doivent lutter contre ce fléau », déclarait-il à l’Humanité : « Ses propos traduisent ce mépris. On peut être critique sur certains aspects de la lutte contre le racisme. Pour ma part, je ne suis pas sûr que la notion de “privilège blanc” soit très opérante, par exemple. On peut en débattre. Mais ne pas voir que le racisme existe de la part des représentants de l’ordre public, qu’il est perçu, subi par certaines catégories de nos concitoyens, c’est complètement irresponsable. »
Le 2 octobre 2021, Politis
Michel tubiana, un tempérament de lutteur
L’avocat, qui fut président de la Ligue des droits de l’Homme, a consacré sa vie aux causes justes et difficiles. L’annonce de sa mort, le 2 octobre, a déclenché une vague de tristesse et d’hommages.
L’avocat Jean-Jacques de Felice, son mentor, disait de lui : « Il a un tempérament de lutteur, vif et pratique. » Quiconque l’a un jour côtoyé n’a pu qu’être frappé par la carrure imposante de Michel Tubiana, qui lui donnait du coffre et s’accordait avec son tempérament de « quarantièmes rugissants ». Et pourtant… Le 2 octobre, Michel Tubiana a trouvé sur son chemin plus fort que lui : le covid l’a emporté. Personne ne s’attendait à sa disparition, à 69 ans, dont la nouvelle a suscité tristesse et affliction chez celles et ceux qui le respectaient – comme l’actuel garde des Sceaux, qui lui a rendu hommage sur Twitter –, militaient à ses côtés ou, tout simplement, l’aimaient – car cet homme, derrière ses allures parfois bourrues, était profondément aimable. « La Ligue des droits de l’Homme est en deuil », a immédiatement affiché l’association, dont il a été le président de 2000 à 2005 et pour laquelle il était encore très actif. Il en était l’une des voix les plus écoutées, analyste lucide des rapports de force et des situations sociopolitiques, gardant le cap quoi qu’il advienne.
Le racisme, les injustices, le non-respect de l’égalité des droits, Michel Tubiana y a été rapidement sensible dans l’Algérie colonisée où il est né en 1952. Traumatisme familial originel : son père, agréé au tribunal de commerce à Alger, juif républicain et secrétaire de la section de la LDH d’Alger dans les années 1930, a perdu sa nationalité par décision de Pétain.
Arrivé en France en 1962, le futur avocat accélère sa politisation avec les événements de Mai 68. Peu à l’aise avec le fonctionnement des organisations politiques, il est cependant séduit par le trotskysme. Mais c’est surtout par le biais de sa profession que Michel Tubiana déploie son action militante.
Au sein du Mouvement d’action judiciaire, qui regroupe des avocats et des magistrats, dont l’objectif est de réformer en profondeur la justice, il participe à la défense de Klaus Croissant, avocat de la « bande à Baader », plaide devant la Cour de sûreté de l’État, juridiction d’exception qui juge les comités de soldats et les militants autonomistes bretons et basques. C’est là qu’il rencontre des personnalités qui le marquent à vie, comme Henri Leclerc et Jean-Jacques de Felice (disparu en 2008), déjà cité. Ce dernier est en apparence l’antithèse de Tubiana : fluet, la voix douce et posée. Les deux hommes vont s’entendre à merveille.
Les murs de la LDH résonnent encore des discussions complices entre l’opposant à toute violence de Felice, d’obédience protestante, et le non pacifiste Tubiana, dont le premier fait d’armes est d’avoir envoyé à l’infirmerie un lycéen qui l’avait traité de « sale juif ». Ils s’engagent tous deux en faveur des Kanaks. Date-clé dans son parcours, la découverte de la Nouvelle-Calédonie déplace les repères de Michel Tubiana, qui, là-bas, a pour alliées les Églises tandis que, membre lui-même du Grand Orient, il doit affronter les francs-maçons, soutiens du système colonial local.
Son intransigeante clairvoyance et sa force d’entraînement vont manquer cruellement.
Remarquable orateur et redoutable rhétoricien, il est un président de la LDH très présent dans le débat public et rassembleur en interne malgré les débats clivants sur le voile : l’association refuse toute mesure de discrimination et récuse la loi de 2004. Sous son impulsion, la LDH scelle des alliances au sein du milieu associatif et syndical, et devient moteur dans la lutte pour les droits économiques et sociaux. Elle s’oppose aussi à la guerre en Irak en 2003 et réclame le retrait d’Israël des territoires occupés, engagements internationaux que l’avocat poursuivra au sein de l’organisation Réseau euro-méditerranéen des droits de l’homme, dont il est le président de 2012 à 2018.
Comment ne pas rappeler ici l’apport décisif qui fut le sien comme conseil dans la reprise de Politis par ses salariés en 2006 ? Le succès de cette aventure lui doit beaucoup, lui qui a toujours été un ami de notre journal.
Michel Tubiana fut de tous les justes combats. Dans un texte de 2006 pour la revue Mouvements, il dénonçait en ces termes l’attitude du Parti socialiste, qui avait approuvé la proclamation de l’état d’urgence à la suite des émeutes sociales dans les banlieues l’année précédente : « C’était ignorer, faute de pouvoir y répondre, la crainte qui taraude des millions de personnes qui vivent sur une ligne de crête, la crainte de tomber du mauvais côté. » Son intransigeante clairvoyance et sa force d’entraînement vont manquer cruellement. Michel Tubiana était une conscience. Avec sa disparition, c’est une de ces lumières ennemies jurées des peurs et des tentations obscures qui s’éteint.
Le 21 octobre 2021, media24
L’hommage de Driss El Yazami à Michel Tubiana
Michel Tubiana, président d’honneur de la Ligue française des droits de l’Homme et ancien président de l’organisation régionale EuroMed droits, est décédé le 2 octobre. Il a été inhumé le 15 octobre au Père Lachaise à Paris. Ce défenseur des droits humains aimait le Maroc qu’il suivait de près.
Voici le texte de l’oraison prononcée en cette circonstance, par Driss El Yazami, ancien président du Conseil national des droits de l’Homme (CNDH) : « Michel, Nous voici rassemblés, privés de ta présence qui nous a tous tant marquée. Nous voici orphelins de tes indignations, de tes colères, de ta tendresse qui savait si bien se dissimuler, derrière une apparence bourrue. Nous voici punis, privés pour toujours de ton hospitalité sans cesse renouvelée et de ton goût pour l’échange. « Juste une incise », disais-tu pour reprendre la parole et défendre encore et encore un point de vue.
Michel,
Nous avons cheminé ensemble durant 45 années, depuis ce jour de l’année 1976 où tu es venu à ma rencontre au Maroc. Je vivais dans la clandestinité et tu avais été envoyé par nos amis parisiens Saïd Bouziri, Jean-Jacques de Félice et Henri Leclerc pour préparer une mission d’observation internationale du procès dit de Casablanca de janvier 1977. Nous avions alors 24 ans et tu embrassais déjà le monde, de la Nouvelle Calédonie au Maroc. Nous étions sans le savoir liés, à la fois par l’histoire et par l’air du temps.
Frères jumeaux enracinés dans la même histoire longue judéo-musulmane du Maghreb et attachés aux mêmes rêves impossibles, mais têtus, arpentant les mêmes chemins escarpés, généreux et naïfs. Un fil invisible réunissait, alors, les jeunesses dissidentes du monde.
Nous nous sommes retrouvés dix ans, plus tard, à Paris à la Ligue des droits de l’Homme. Et je me rappelle de ce jour aussi comme d’hier. J’étais au secrétariat attendant un rendez-vous que Bernard Wallon m’avait pris avec Yves Jouffa pour discuter de la commission laïcité lorsque tu es arrivé. Depuis ce jour de l’année 1986, nos chemins ne se sont presque plus séparés. Ou si peu, y compris depuis mon retour au Maroc en 2004.
Auprès de toi Michel, dans ces dizaines et dizaines de réunions du bureau, du comité central et de congrès de la Ligue, à la FIDH, au réseau euroméditerranéen des droits de l’Homme, aux Forums sociaux, dans tous nos voyages, j’ai tant appris. J’ai appris la ténacité dans les débats, une ténacité qui peut effleurer, parfois, l’entêtement et en faire une qualité. J’ai appris ce va-et-vient constant, entre l’histoire longue et l’actualité la plus brûlante, la première éclairant la seconde et relativisant la précipitation que l’urgence peut susciter. J’ai appris qu’il n’y a d’action militante qui vaille qu’alliée à la connaissance et à la lecture, à la fréquentation assidue des textes.
J’ai appris l’attachement ferme aux principes et la nécessaire approche politique de leur mise en oeuvre, pas à pas, en tenant compte mais sans compromission des contextes. J’ai appris le prix de la liberté de pensée et de conscience, l’horreur de la peine de mort, la fraternité à l’égard de l’autre, l’enrichissement qu’apporte un internationalisme sans bornes chauvines. J’ai aussi appris l’infini plaisir de partager un bon repas – Michel était un bon cuisiner et je crois l’être un peu aussi – et la beauté du verbe, à la tribune d’un congrès ou dans un article. J’ai appris le plaisir renouvelé de la délibération pluraliste pour aboutir, parfois après d’âpres échanges, au compromis nécessaire. Nous nous sommes tant engueulés, pourrais-je dire.
Michel,
C’est auprès de toi et de nos amis Bertrand Main, Yves Jouffa, Madeleine Rebérioux, Jean-Jacques de Felice, Monique Herold, Jean-Pierre Dubois, Henri Leclerc, Bernard Wallon, Joelle
Kauffman, Catherine Teule, Patrick Baudouin, Francis Jacob, François Della Sudda, Roland Kessous, Vincent Rebérioux, Gilles Manceron et tant d’autres ligueurs que j’ai goûté et commencé à apprécier l’unique saveur de l’universalisme et de la fraternité humaine qu’il inspire. Nous avons tant partagé Michel, mais de tous les souvenirs, il me restera cette semaine passée ensemble à l’American Colony, cet extraordinaire hôtel de Jérusalem, que les frais de mission de la FIDH ne pouvaient supporter et que tu avais tenu à prendre en charge, nos petits déjeuners et nos soirées dans ses jardins, notre virée à Gaza et notre longue, très longue traversée de la frontière entre Gaza et Israël. Je n’ai jamais senti aussi fort que ce jour-là, notre proximité et le sens de nos combats. Adieu Michel ».
Le 27 octobre 2005, Libération
Portrait : Maçon de tolérance
Cela tient du sismographe et de la boussole. Prendre la mesure du choc des plaques tectoniques qui fendillent les certitudes les mieux ancrées et, malgré tout, tenir le cap. Fort de l’histoire de la Ligue des droits de l’Homme (LDH) et usant de son identité comme d’un boomerang, Michel Tubiana, président en exercice, ne vacille en rien au coeur d’une tempête très française qui n’est pas loin de scinder en deux camps rivaux un mouvement antiraciste qui fit longtemps l’honneur de ce pays. Il y aurait d’un côté la LDH et le Mrap, dénoncés comme très banlieue et assez angéliques, et il y aurait de l’autre la Licra, finalement rejointe par SOS Racisme, suspects d’en pincer pour la sanction, de surprotéger les filles des cités en stigmatisant leurs frères, et de faire de l’antisémitisme le crime des crimes, cent coudées devant tous les autres.
Il est vrai que la situation est délétère et que la panique gagne. Et personne pour calmer le jeu. Dieudonné joue les incendiaires, Cukierman (président du Crif) n’est pas en reste, et Finkielkraut, Taguieff et Kouchner, qu’on espérait moins inflammables, en rajoutent avec leur pétition contre le racisme antiblanc.
Tubiana affronte la pénible réalité sans angoisse exagérée. Vraiment pas son genre d’aller pleurnicher dans le giron des regrets, d’aller se cacher au creux du corsage du « c’était mieux avant ». Ce rapatrié, qui n’avoue aucune nostalgie d’Alger la Blanche, a des allures de grand bestiau que personne ne mènera par les naseaux, des tangages de plantigrade voûté et pataud au coup de patte griffu. On pensait aller à la rencontre d’un précieux civilisé et accommodant comme le sont parfois les militants de haute extraction, et voilà un ruffian barbu qui emboucanne l’atmosphère de ses cigarettes expectorées, un gourmand qui frise le quintal et qui n’écoute pas ses médecins qui voudraient qu’il modère ses bombances, ses outrances, ses violences.Jean-Jacques de Felice, avocat et mentor: « Il a un tempérament de lutteur, vif et pratique. » (1) Un observateur : « Il est très rentre-dedans, mais il manque parfois de finesse. » Tubiana, ancien membre du service d’ordre des Jeunesses communistes révolutionnaires (JCR), aime toujours la castagne, et qu’importe si aujourd’hui les mots ont remplacé les poings. Son premier fait d’armes? Un bourre-pif à un lycéen qui l’avait traité de « sale Juif ». A mettre en regard d’une des seules taloches paternelles, quand il traita un de ses camarades d’école de « raton ».
Car Tubiana est né et a grandi à Alger. La famille descendrait d’un rabbin de Livourne ayant traversé la Méditerranée au XVIe siècle. Le conditionnel est de circonstance car Tubiana se revendique « peu fasciné par les origines » et n’a jamais entrepris l’ascension de son arbre généalogique. Le père est juge auprès du tribunal de commerce. La mère élève ses trois fils. Chez les Tubiana, on est des Juifs laïques et de gauche. Armand, le père, est secrétaire de la section locale de la ligue. Il est aussi franc-maçon. Aujourd’hui, son petit dernier préside la LDH, appartient au Grand Orient, loge Salvador-Allende, travaille comme avocat quand son père était conseiller juridique. Mais Tubiana s’emploie à miner le mimétisme, en faisant état, comme ça, juste en passant, de conflits sévères avec son géniteur qui disparut alors qu’il n’était qu’adolescent et avant que le temps n’émousse l’agressivité des affrontements.
Tubiana a la judéité négligente mais pas négligée. Il dit : « Je ne fais pas Kippour, je ne mange pas casher, je ne crois pas. Mais, malgré tout, je suis juif. Comme dirait Sartre, c’est le regard de l’autre qui me détermine. » Dans l’assignation à résidence originelle qui gangrène même les mouvements antiracistes, Tubiana se sert de son patronyme, à la façon d’un judoka. Il sait bien qu’être juif lui autorise une radicalité sans fioritures quand la LDH, née pour défendre le capitaine Dreyfus, dédouane les filles voilées, plaide pour la coexistence Israël-Palestine, ou relativise la diabolisation de Tariq Ramadan. Il dit: « Ma judéité m’a protégé. Personne n’a osé me traiter d’antisémite. La haine de soi, ça va comme ça. » Et d’ajouter: « Mouloud, lui, s’est fait taper dessus. Il en a pris beaucoup plus parce qu’il est arabe. » Mouloud, c’est Mouloud Aounit, le secrétaire général du Mrap, compagnon de combat de Tubiana, et absurdement suspect de faire la politique de sa communauté, dans une société où l’universalisme est en charpie.
Tubiana est de cette génération qui a flirté avec l’extrême gauche. Il en a gardé la tchatche cinglante et le pragmatisme sans états d’âme. Aujourd’hui, il se situe « à la gauche du PS et à la droite des alters ». Sa fonction lui interdit d’être plus précis. Mais on s’est laissé dire qu’il s’apprête à choisir le oui au référendum ou qu’il a voté Jospin dès le premier tour en 2002. Ce qui ne l’empêche pas de harponner la course à l’échalote sécuritaire du dernier gouvernement de gauche. Et de dresser un hit-parade des ministres de l’Intérieur qu’il eut à côtoyer et qui pourrait se décliner ainsi: Joxe-Deferre-Debré-Quilès-Sarkozy-Pasqua. Avec bonnet d’âne à Daniel Vaillant. Qui poussa Jospin à snober les 100 ans de la LDH, querelle des sans-papiers oblige. Côté sociétal, Tubiana et la LDH seraient plutôt libertaires: mariage gay, adoption facilitée, dépénalisation des drogues, peines de substitution à la prison, etc.
Ce bénévole cornaque 15 permanents et anime 300 sections de par la France. Avec jubilation, il grille ses soirées et ses dimanches pour la LDH. Ses honoraires d’avocat tournent autour de 10 000 euros mensuels. Il a pu défendre Klaus Croissant, l’avocat de la bande à Baader, ou intervenir au procès Papon, mais ses ressources lui viennent surtout du droit des affaires. Et, si ses prises de position lui ont valu quelques défections de clients, il serait bien en peine de se plaindre de son sort. Débarqué un peu par hasard en Calédonie, défendre Tjibaou et les siens, Tubiana tombe amoureux de l’île et y rencontre la mère de ses enfants, une Caldoche pro-Kanaks. Aujourd’hui, les enfants sont adolescents et les parents, séparés, restent en bonne intelligence.
En juin, Tubiana va passer la main. Il pourra écouter Eminem avec son fils. Lire Kundera et Philip Roth « plutôt que Christine Angot ». Retourner au théâtre voir si l’on peut faire mieux que le Diable et le bon Dieu, la pièce de Sartre, son émotion fondatrice. Mais pourra-t-il vraiment décrocher de cette actualité tragique, bulletin de mauvaise santé d’une société, qui épuise et inquiète ses médecins les plus déterminés ?
Michel Tubiana en 7 dates
24 novembre 1952 : Naissance à Alger.
1962 : Sa famille quitte l’Algérie et s’installe à Paris.
1967 : Lycéen, il milite à la JCR.
1972 : Membre du Grand Orient, loge Salvador-Allende.
1974 : Devient avocat.
12 juin 2000 : Succède à Henri Leclerc à la présidence de la LDH.
Juin 2005 : Fin de mandat.
2015, La Contemporaine « Matériaux pour l’histoire de notre temps »
AUX CÔTÉS DE JEAN-JACQUES DE FÉLICE. ENTRETIEN AVEC MICHEL
TUBIANA
Par Liora Israël et Sylvie Thénault
Afin de restituer la dimension souvent collective et fraternelle de l’activité indissociablement judiciaire et militante de Jean-Jacques de Félice, il nous a semblé pertinent de tracer le portrait d’un avocat qui a partagé nombre de ses combats et travaillé à ses côtés. À travers le parcours singulier de Michel Tubiana, c’est la diversité d’un groupe de pairs qu’il s’agit de restituer, afin de donner à voir comment concrètement se mettaient en place des collectifs, se construisaient des stratégies et des alliances, se transmettaient des affaires et des questions, se construisaient au jour le jour, entre l’individuel et le collectif, entre la pratique professionnelle et les convictions personnelles, des formes d’action fondées sur le droit. Cet article est tiré d’un long entretien biographique qui a duré plus de 2h30, réalisé par Sylvie Thénault et Liora Israël le 26 juin 2014 au cabinet de Me Tubiana. De l’engagement à la LDH à la défense de Klaus Croissant, en passant par l’engagement auprès des Kanaks ou le Mouvement d’action judiciaire, plusieurs éléments saillants de la trajectoire de Jean-Jacques de Félice sont ainsi abordés.
Michel Tubiana est né en 1952 à Alger, dans une famille où le droit était déjà présent, puisque son père Armand, ancien conseiller juridique, était l’un des deux agréés du tribunal de commerce d’Alger. Lorsque la famille quitte Alger pour Paris onze ans plus tard du fait de la guerre, la réinstallation n’est pas simple, puisque la Compagnie des Agréés du Tribunal de commerce renâcle longuement à accepter ce nouveau confrère du fait de sa judéité, alors même qu’il travaillait auparavant avec eux depuis Alger. Cette expérience d’un traitement différencié (obligation de passer un examen professionnel supplémentaire, protestation silencieuse des membres de la Compagnie des Agréés lors de la prestation de serment imposée par la Chancellerie) constitua un épisode marquant pour la famille, peut-être davantage que la guerre d’Algérie elle-même, dont reste le souvenir d’avoir vécu dans un milieu qui ne comprenait pas vraiment ce qui lui arrivait. Le père de Michel Tubiana avait pourtant été lui-même secrétaire de la Ligue des droits de l’Homme à Alger : « C’était un juif républicain dans toute l’acceptation du mot », même si un univers s’était déjà écroulé pour lui en 1940 avec l’abolition du décret Crémieux et le statut des juifs, rappelle son fils. Mais concernant le monde colonial, il s’en tenait à l’esprit réformiste prôné par la LDH avant-guerre, « dans l’esprit Blum-Violette ».
LES ANNÉES DE FORMATION
L’arrivée à Paris à la fin de la guerre d’Algérie correspond aux années de collège de Michel Tubiana, avant le lycée et les premières expériences militantes. « Je nais en tant que militant en 68, mais pas seulement en tant que militant. En 68 comme beaucoup, je pense, de gamins de mon époque, j’ai 17 ans-16 ans en 68, c’est au fond ce qu’à 10 ans de distance les maos vont appeler après la révolution anti-autoritaire. C’est la première fois que je découche de la maison, au grand dam de ma mère comme vous pouvez imaginer… enfin dans un milieu familial où il ya peu de dialogue avec mon père, qui décèdera en plus un an après… Des liens qui n’ont pas pu se faire, qui n’ont pas pu se tisser… Enfin. J’ai un épisode, un moment de militantisme à la LCR, mais très superficiel… […] Je participais beaucoup au service d’ordre, voilà. […] Il y a eu cette scène absolument mémorable quand on a attaqué le meeting d’Ordre Nouveau au Palais des Sports, suite à quoi la LCR a été dissoute… » Ce militantisme de jeunesse crée sa part de bons souvenirs, mais n’empêche pas de poursuivre des études, en droit. Toutefois, le « giron universitaire », comme il le décrit, est fort peu apprécié par Michel Tubiana, qui en parallèle travaille dans le cabinet familial, repris par son frère à la suite du décès de leur père. C’est notamment l’atmosphère particulière d’une certaine fac de droit qui apparaît marquante : « J’allais d’autant moins en fac qu’à l’époque Tolbiac n’était pas construite, et que par conséquent mes TD étaient où, horreur et stupéfaction ? À Assas ! À la fin, les vigiles venaient nous chercher rue Vavin ». Identifié un peu malgré lui tant il investit peu dans l’université comme un étudiant gauchiste, c’est hors les murs de l’université que Michel Tubiana rencontre les nouvelles organisations de juristes qui se créent alors à gauche. Son ami d’enfance Maurice Zavaro étant devenu auditeur de justice, il l’entraîne dans les réunions du Syndicat de la magistrature, où l’étudiant en droit découvre des magistrats comme Monique Guémann, dont le franc-parler le marque. C’est là qu’il découvre le MAJ [Mouvement d’action judiciaire], par l’intermédiaire des magistrats qui en font partie, comme Texier et Charvet. C’est dans ce cadre que Michel Tubiana fait la connaissance de Jean-Jacques de Félice, qui est un des principaux animateurs du MAJ en 1974.
PROFESSION JURIDIQUE ET MILITANTISME
La rencontre avec Jean-Jacques de Félice correspond donc à l’inscription dans le MAJ, mais aussi très rapidement dans une institution plus ancienne : la Ligue des droits de l’Homme. Environ deux ans après leur rencontre, Jean-Jacques de Félice présente Michel Tubiana à Henri Noguères, devenu Président de la Ligue. Ils sont plusieurs de cette génération à entrer dans l’organisation vieillissante, et à qui Noguères va faire confiance pour la faire évoluer. Proche de Jean-Jacques de Félice par cet engagement dans la LDH comme déjà dans des défenses communes (comme celles des comités de soldat), Michel Tubiana souligne la force des liens qui se tissent entre eux, malgré leurs différences, entre le représentant de la « HSP » (haute société protestante) et le pied-noir, celui dont la non-violence était chevillée au corps et celui qui ne croyait pas au pacifisme.
Ces défenses et ces engagements s’insèrent dans les alliances renouvelées qui se créent alors entre professions juridiques et militantisme. Le Mouvement d’action Judiciaire est le cœur de nombreux débats, par exemple – rappelle Michel Tubiana – ceux relatifs à l’éclosion du mouvement féministe au niveau judiciaire, « avec des dialogues extrêmement durs par moment, notamment je me souviens du premier procès qu’elles avaient réussi à criminaliser, le viol passait souvent en correctionnelle… Évidemment le mec s’en était pris pour 15 ans… Sous les commentaires acerbes d’un certain nombre d’entre nous leur disant : vous vous attendiez à quoi ? C’était un Arabe. » Source de tensions et de paradoxes, la recherche de formes nouvelles d’alliances entre profession et militantisme se joue aussi à l’époque, rappelle Michel Tubiana, dans les rangs du Syndicat des Avocats de France, dont Jean-Jacques de Félice restera plus distant par méfiance à l’égard du corporatisme : « S’il y a quelque chose auquel Jean-Jacques a toujours été étranger, c’est bien l’aspect corporatiste des choses. Ce qui ne veut pas dire qu’il ne savait pas s’en servir – au niveau du Conseil de l’Ordre, etc. ».
Atypique par rapport à ses confrères engagés à gauche du fait de sa pratique régulière devant le tribunal de commerce, Michel Tubiana développe parallèlement une pratique moins spécialisée en droit du travail, parfois en pénal, y compris la défense de certains activistes. C’est surtout par l’intermédiaire de la Ligue des droits de l’Homme que se développent ces activités militantes dans la seconde moitié des années 1970, très souvent en relation avec Jean-Jacques de Félice : « Jean-Jacques est une figure à la Ligue [..] Il est déjà vice-président, ou à peu de choses près il va l’être, c’était encore l’époque où les statuts autorisaient à l’être ad vitam eternam… […] alors c’est drôle, parce qu’il est aimé, il est systématiquement élu – alors que si on demandait aux militants de la Ligue s’ils sont pacifistes, ils rigoleraient ! Il est systématiquement élu, enfin quand il est candidat ! Il est partout en section, c’est à dire que les sections le demandaient pour venir faire des interventions ». Populaire au sein de la LDH, Jean-Jacques de Félice y est quelqu’un de respecté et d’écouté. Respecté « parce qu’il était respectable ! », s’exclame Michel Tubiana, capable comme l’écrit à la même époque Philippe Boucher dans Le ghetto judiciaire de susciter une empathie à la mesure de son propre désintéressement, manifestant une « force tranquille » pour reprendre une formule qui fera l’élection de François Mitterrand, capable de tenir sa ligne sur le mode d’une certitude, « Je n’ai pas raison aujourd’hui, j’aurai raison demain »». « Ce qu’il faisait c’est aussi que le débat ne tournait jamais à la caricature, il n’était jamais en train de nous dire : vous n’êtes pas pacifiste, donc vous aimez la violence. Voilà. Nous on n’était pas en train de lui dire : tu es pacifiste, donc tu es prêt à toutes les lâchetés… Il allait jusqu’au bout de ses contradictions sur ce terrain-là, et il nous forçait nous à aller sur ce terrain-là au bout de nos contradictions ».
DÉFENSES SENSIBLES
Cette contradiction entre engagement pacifiste de Jean-Jacques de Félice et défense de militants parfois violents apparaît avec force dans un dossier particulier, l’affaire Croissant, du nom de cet avocat de la Fraction Armée Rouge Révolutionnaire qui se réfugie à Paris à l’été 1977 et dont Jean-Jacques de Félice sera certainement le plus actif des avocats qui chercheront à empêcher son extradition vers l’Allemagne. Particulièrement difficile, cette défense laisse un souvenir amer à Michel Tubiana : « C’était mortifère. C’était difficile surtout quand on a vu que c’était un agent de la Stasi… Et en même temps c’était une espèce de folie l’A llemagne, ils étaient fous dans cette affaire. Que ce soit du côté du gouvernement ou des autres. C’était une folie collective, avec une partie de réminiscence du passé qui n’était même pas enterré ». L’entrée de Michel Tubiana dans l’affaire se fait par l’intermédiaire d’un mystérieux coup de fil de Jean-Jacques de Félice : « Il m’appelle au téléphone, il me dit : 15h devant la Statut de Jeanne d’Arc, à Saint Augustin. […] Donc on se retrouve à 15h. Et il m’annonce l’arrivée de Croissant. Moi Croissant, je le connaissais d’avant, Jean-Jacques aussi évidemment. J’avais été observateur une fois à Stammheim et Jean-Jacques de nombreuses fois. Et puis il y avait un truc qui s’appelait le Comité de Défense des Prisonniers Politiques en Europe de l’Ouest, avec un type qui s’appelait Meyer. Le seul type que j’ai vu qui est arrivé à mettre en colère Jean-Jacques. Il avait dit à Jean-Jacques qu’il était complice des assassins d’Ulrike Meinhof, Jean-Jacques était devenu rouge pivoine, je l’ai jamais vu comme ça ! ». Malgré les difficultés de cette défense, Jean-Jacques de Félice va s’y investir pleinement, aux côtés d’Irène Terrel.
Croissant arrive donc en Juillet « et nous faisons une conférence de presse au cabinet de Jean-Jacques, où il demande l’asile en France ». Presque immédiatement, un mandat d’arrêt est transmis par la RFA aux autorités françaises, ce qui conduit Croissant à se « planquer » : « il y avait peu de gens qui étaient en contact avec lui […] Il restera plusieurs mois… ». Le souvenir de cette période est associé à la dureté de Croissant, qui répond lorsque Jean-Jacques de Félice l’interroge au sujet des grèves de la faim des membres de la RAF : « on est en train de discuter pour savoir s’ils arrêtent ou pas, ce qui sera le plus opératif ». « Ce genre de truc que Jean-Jacques était pas prêt à digérer, moi non plus, cette espèce de pensée qui nous était un peu étrangère ». Le souvenir plutôt joyeux du battage médiatique organisé avec d’autres comme le juriste Gérard Soulier, proche de Felix Guattari, contraste avec ces sentiments ambivalents : « Le meeting à la Mutualité, au moment de l’extradition, la salle est pleine ! », la manifestation devant la Santé au moment de l’extradition, au cours de laquelle Michel Foucault est bousculé (il aura quelques côtes cassées). « Et nous on a sorti l’Affaire Croissant – le livre – chez Maspero. Moi, Jean Jacques, Irène, Patrick Mignard – de Toulouse – et Michel Laval, qui était au MAJ à l’époque il était l’associé d’Antoine Comte […] J’ai l’image de lui, il avait failli se battre avec les gardes du Palais au moment de l’audience d’extradition. Vous savez qu’il y a eu une manif’ des avocats à l’intérieur du Palais de Justice ? ». Jean-Jacques de Félice avait en effet alerté le Conseil de l’Ordre et les avocats du Palais de la situation, dans lequel un avocat (Croissant) était mis en cause au titre de la défense et de la nature de ses clients. Jean-Jacques de Félice avait réussi à obtenir que Mario Stasi, alors membre du Conseil de l’Ordre, se prononce lors de l’audience d’extradition en faveur de Croissant, par une déclaration reproduite dans le livre publié ensuite – dans l’urgence – par l’éditeur militant François Maspero.
Jouant de la critique radicale et de ses supports comme des institutions les plus traditionnelles, Jean-Jacques de Félice se tenait sur une ligne de crête bien particulière : « Un peu comme à la Ligue [des droits de l’Homme] qui est à la fois un pied dans les institutions, un pied en dehors. Cette capacité à la fois d’écoute de l’extérieur et à l’intérieur de la baraque institutionnelle, avec cette capacité aussi de rompre avec les institutions quand on a besoin de rompre avec les institutions. Le scandale qu’il avait fait ou provoqué en sollicitant le statut d’objecteur de conscience en témoigne à l’époque ». L’affaire Croissant se poursuit en Allemagne après l’extradition, mais se traduit aussi par de nouveaux dossiers pour Michel Tubiana : « vous ne pouvez pas savoir le nombre de jeunots, de jeunes Allemands et Allemandes qui sont venus se réfugier en France et qui étaient impliqués à la marge là-dedans[…] donc moi j’avais plusieurs dossiers à négocier avec le Parquet allemand […] et puis il ya eu le procès où on était en observateur, le procès d’un des avocats de la RAF, à Hambourg ». D’une affaire à l’autre, avec des investissements en partie différenciés pour Jean-Jacques de Félice et Michel Tubiana, c’est donc un écheveau de liens et une manière d’être ancrés dans l’histoire qui se joue dans ces formes contestées de défense.
Un autre site de défense politique de l’époque est celui de la Cour de sûreté de l’État – cette cour d’exception comportant des militaires, héritée de la guerre d’Algérie – devant laquelle, après les militants accusés de reconstitution de ligue dissoute, furent également traduits membres des comités de soldat, militants autonomistes bretons ou basques. Devant ces cours, c’est en particulier la figure d’Henri Leclerc lors d’une de ces audiences qui revient en mémoire à Michel Tubiana : « C’était rituel. Il y avait un président qui s’appelait David, qui était au demeurant pas mal, il n’avait pas besoin de recevoir des instructions… Je crois qu’on lui aurait transmis des instructions, il aurait très mal pris de recevoir des instructions… Et l’avocat général qui était un gougnafier, pendant que les avocats de la défense plaidaient – il est vrai pour la 345ème fois – qu’il s’agissait d’une juridiction d’exception, il lisait ostensiblement le Figaro.. Et Henri je me souviens… Il y avait toujours beaucoup d’animation dans ces audiences, et il y avait un capitaine des gardes, qui était une vieille baderne gendarme au demeurant très gentil, et avec lequel on finissait toujours par s’arranger voilà… Il voulait pas d’emmerdes. Et donc il était au milieu, à droite il y avait Jean-Pierre – Mignard pour le coup – et moi j’étais à gauche. Et puis Henri plaide sur le caractère d’exception de la Cour etc. Et je ne sais pas si vous savez mais il y avait un magistrat et deux militaires, et quand ils rentraient il y avait des militaires qui présentaient armes, et on entendait : « Présentez, armes ! ». Et Henri qui donc plaide : « Et cette Cour, d’autant plus d’exception, qu’à chaque fois vous rentrez on vous présente les armes ! Et ce : « Présentez, armes ! », qui résonne dans ma tête à chaque fois comme « En joue : feu ! »». Et là le capitaine de garde qui fait : « Pff, ce Leclerc ! Il faut avoir vingt ans de carrière pour faire ça » ! (rires) ». Henri Leclerc, pendant cette période est à la fois de plusieurs luttes communes avec Jean-Jacques de Félice, et se distingue par sa participation au cabinet collectif d’Ornano, créé avec Georges Pinet, qui cherche à remettre en cause les fondements traditionnels de la profession d’avocat (tarification, exercice individuel), au profit des populations défavorisées ou des mouvements politiques et sociaux.
L’EXPÉRIENCE DE LA NOUVELLE-CALÉDONIE
Si des mouvements politiques et sociaux nouveaux émergent dans les années 1970, les mobilisations précédentes sont loin d’avoir disparu. L’accession à l’indépendance de la plupart des anciennes colonies françaises, et en particulier de l’Algérie qui avait constitué le terrain formateur de l’engagement de Jean-Jacques de Félice, n’épuise pas ces combats extra-métropolitains. Dans les années 1970, Jean-Jacques de Félice est ainsi, relate Michel Tubiana, contacté par la Fédération protestante pour défendre des Kanaks et des Européens qui avaient fait Mai 68 à Paris et qui, arrivant à Nouméa, avaient monté une organisation appelée « Les foulards rouges ». Cette dernière, au gré de leurs actions qui n’avaient jamais été violentes, était l’objet de poursuites. Jean-Jacques de Félice, accompagné d’Yves Jouffa (lui aussi de la LDH) était donc parti au début des années 1970 défendre ces militants à Nouméa, ce qui constituait une véritable expédition à l’époque. Des liens forts se tissent, qui sont aussi l’occasion d’établir des liens entre des causes a priori éloignées : « il y avait un autre lien entre Jean-Jacques et les Kanaks, qui était le lien qu’il avait largement contribué à créer entre le Larzac et les Kanaks, des liens très étroits entre les paysans du Larzac et les milieux militants kanaks […] Il y a eu des tonnes de délégations qui sont allées dans un sens comme dans l’autre, il y a eu des stages de formation à la non-violence ! […] ». C’est ainsi que se créent des liens multiples, liens qui vont quelques années plus tard conduire Michel Tubiana à se rendre également à Nouméa.
C’est alors que l’expérience coloniale vécue pendant l’enfance resurgit. En 1984, dans la salle des pas-perdus du Tribunal de Nouméa, Michel Tubiana est confronté à une dizaine de personnes qui viennent vers lui et, le reconnaissant comme le fils d’Armand Tubiana qu’ils ont connu en Algérie, lui disent leur surprise de le voir défendre les Kanaks – c’étaient des pieds-noirs venus s’installer en Nouvelle-Calédonie après la décolonisation. Les continuités existent aussi du côté judiciaire : « la première fois que je suis allé en Calédonie [à la fin des années 70], c’était une caricature de la magistrature là-bas, c’était une carte de la décolonisation française… Au fur et à mesure que les confettis d’Empire disparaissaient… ». Le contact avec la Nouvelle-Calédonie s’est donc fait par l’intermédiaire de Jean-Jacques de Félice, quelques années plus tôt, lors d’une réunion du Mouvement d’action judiciaire, en présence également de Frank Natali. Jean-Jacques de Félice lance à la volée : « J’ai un dossier de pénal financier à Nouméa, je n’y connais rien, qui peut le traiter ? Je vous donne ma parole, tout le tout le monde a regardé Jean-Jacques avec un œil écarquillé, en disant : mais qu’est ce que tu nous emmerdes là avec ton dossier, on est en train de refaire le monde, tu nous parles d’un dossier pénal financier ! Et la réunion se poursuit. Et Jean-Jacques à la fin de la réunion remet le sujet sur le tapis, en disant : j’y connais rien, et m’interpellant sur le sujet – c’est vrai que moi j’avais une formation, justement parce que mon père était agréé au Tribunal de commerce – etc., qui sortait un peu de la norme habituelle dans le milieu – Est-ce que tu veux pas t’en occuper ? » Prenant le dossier en ayant une idée un peu vague de la situation géographique exacte de la Nouvelle-Calédonie, Michel Tubiana se rend donc pour la première fois à Nouméa pour une affaire qui a priori n’est pas politique, en passant par Singapour pour ce qui est pour lui au départ une expérience plutôt touristique. « Puis j’ai découvert cet univers qui était à la fois fascinant, révulsant, stupéfiant enfin une kyrielle d’adjectifs, qui bouleversait y compris toutes mes catégories ». La découverte de la situation en Nouvelle-Calédonie le passionne et l’interpelle, il y noue des contacts personnels déterminants – dont la future mère de ses enfants, militante indépendantiste européenne et institutrice dans des villages kanaks. Il est confronté à une inversion des normes et des valeurs qui étaient les siennes, qu’il s’agisse de la franc-maçonnerie et des Eglises. Membre de la Franc-maçonnerie et anticlérical comme son père, il se sent proche de la position des Eglises en Nouvelle-Calédonie. En revanche, il est très éloigné des francs-maçons locaux qui désapprouvent la cause kanake. Cet investissement important de 1984 à 1989 de Michel Tubiana en Nouvelle-Calédonie correspond à un moindre investissement direct de Jean-Jacques de Félice sur ce terrain, bien qu’il ait toujours soutenu politiquement les Kanaks. Ces derniers lui ont d’ailleurs manifesté leur affection lors de sa disparition.
Empreint d’une subjectivité que nous n’avons pas cherché à gommer, le témoignage de Michel Tubiana est une manière d’appréhender la dimension collective des luttes dans lesquelles fut engagé Jean-Jacques de Félice. Cette dimension collective se jouait à la fois dans des défenses communes, qu’elles soient partagées ou transmises, et dans la participation à des organisations telles que le Mouvement d’action judiciaire et la Ligue des droits de l’Homme. Plus ou moins connues, médiatisées à l’époque ou quelques peu oubliées aujourd’hui, de l’Affaire Croissant à la défense des militants kanaks en Nouvelle-Calédonie, ces causes transformèrent leurs avocats au moins autant qu’ils contribuèrent à les défendre, dans et hors des prétoires. Lire la suite et l’ensemble des notes
AFP, Le Figaro, L’Express, Sud Radio, Le Point.fr, Bourse Direct, Boursorama, Orange Pro, L’Avenir.net | 2 10 2021 | Décès de Michel Tubiana, président d’honneur de la Ligue des droits de l’Homme
Le Monde | 2 10 2021 | L’avocat Michel Tubiana est mort
Libération | 2 10 2021 | Mort de Michel Tubiana, avocat, militant des droits de l’homme et «phare» de la LDH
Mediapart | 2 10 2021 | France : décès de Michel Tubiana, président d’honneur de la Ligue des droits de l’Homme.
Le Huffington Post, Head Topics | 2 10 2021 | Michel Tubiana, président d’honneur de la Ligue des droits de l’Homme, est mort à 69 ans
TV5 Monde | 2 10 2021 | Décès de Michel Tubiana, président d’honneur de la Ligue des droits de l’Homme
Le Parisien, MSN France, Orange actu, Le Télégramme, La Provence | 2 10 2021 | Décès de Michel Tubiana, avocat et président d’honneur de la Ligue des droits de l’Homme
La Croix | 2 10 2021 | Michel Tubiana, président d’honneur de la Ligue des droits de l’Homme, est décédé
BFM TV, Yahoo News, Press Form | 2 10 2021 | Mort de Michel Tubiana, président d’honneur de la Ligue des droits de l’Homme
LCI | 2 10 2021 | Michel Tubiana, président d’honneur de la Ligue des droits de l’Homme, est décédé
RTL | 2 10 2021 | Décès de Michel Tubiana, président d’honneur de la Ligue des droits de l’Homme
RFI | 2 10 2021 | Mort de Michel Tubiana, président d’honneur de la Ligue des droits de l’Homme
Le Point, Yahoo News | 2 10 2021 | Michel Tubiana est mort, la Ligue des droits de l’homme en deuil
Ouest France | 2 10 2021 | Mort de Michel Tubiana, président d’honneur de la Ligue des droits de l’Homme
FranceTV Info | 2 10 2021 | L’avocat Michel Tubiana, président d’honneur de la Ligue des droits de l’Homme, est mort
France3 Régions | 3 10 2021 | Décès de Michel Tubiana, président d’honneur de la Ligue des droits de l’Homme et artisan de la Paix au Pays Basque
Paris Match, Planet.fr | 2 10 2021 | Décès de Michel Tubiana, président d’honneur de la Ligue des droits de l’Homme
Atlantico.fr | 2 10 2021 | Michel Tubiana, président d’honneur de la Ligue des droits de l’Homme, est décédé
France Bleu | 2 10 2021 | Mort de Michel Tubiana : le Pays Basque rend hommage à cet «artisan de la paix»
Planet.fr | 2 10 2021 | L’avocat Michel Tubiana est mort, annonce la Ligue des droits de l’homme
La Minute info | 2 10 2021 | Décès de Michel Tubiana, président d’honneur de la Ligue des droits de l’Homme
Sud Ouest | 2 10 2021 | Pays basque : l’avocat Michel Tubiana, infatigable défenseur de la paix, est mort
Sud Ouest | 2 10 2021 | Michel Tubiana, président d’honneur de la Ligue des droits de l’Homme, est mort
Dernières nouvelles d’Alsace, Vosges Matin, Est Républicain | 2 10 2021 | Michel Tubiana, président d’honneur de la Ligue des droits de l’Homme, est décédé
Vosges Matin, L’Alsace.fr, Journal de Saône-et-Loire, Le Dauphiné libéré, Le Progrès, Le Bien public, Le Républicain lorrain | 2 10 2021 | Disparition Michel Tubiana, président d’honneur de la Ligue des droits de l’Homme, est décédé
Nice-Matin.com | 2 10 2021 | Président d’honneur de la Ligue des droits de l’Homme, Michel Tubiana est mort
L’Humanité | 4 10 2021 | Disparition. Michel Tubiana, combattant infatigable des droits et des libertés
Les Nouvelles Calédoniennes | 4 10 2021 | L’ancien avocat du FLNKS, Michel Tubiana, est décédé | Politis | 4 10 2021 | Michel Tubiana, un tempérament de lutteur
Le Monde | 4 10 2021 | La mort de Michel Tubiana, ancien président de la Ligue des droits de l’Homme
Mensuel du Snesup | Octobre 2021 | Une grande voix des droits et libertés s’est éteinte