Déclaration de la FIDH et de ses organisations membres, dont la LDH, contre le racisme envers les Noirs aux Etats-Unis et dans le monde
La FIDH, et ses organisations membres soussignées, font part de leur indignation face au racisme et aux brutalités policières qui ont éclaté alors que des manifestations de masse dénoncent dans le monde entier les meurtres de George Floyd, Breonna Taylor, Atatiana Jefferson, Tony McDade, Rayshard Brooks et d’autres victimes noires tuées par la police aux États-Unis d’Amérique.
Les mobilisations de la population ont mis en lumière la persistance d’un Etat raciste et de la violence exercée par l’Etat dans de nombreux pays. Nous reconnaissons que le racisme envers les Noirs est un phénomène généralisé dans le monde entier qui trouve ses origines dans le colonialisme européen et dans la traite transatlantique des esclaves, et qui s’est maintenu, voire renforcé avec les politiques néolibérales.
Nous réaffirmons notre engagement à lutter contre les systèmes et les structures qui défendent et perpétuent les idéologies dangereuses anti-négritude dans le monde entier. Nous appelons tous les dirigeants politiques à lutter de manière efficace contre un racisme structurel et institutionnalisé, notamment en ayant recours à des mécanismes visant à établir la responsabilité des auteurs d’actes racistes et à obtenir des recours et réparation pour les victimes.
Dans ce contexte, nous avons salué la tenue d’un débat organisé en urgence au sein du Conseil des droits de l’Homme des Nations unies (CDH) les 17 et 18 juin 2020 pour répondre à la crise du racisme institutionnalisé et des violences policières. Des Etats membres et la société civile ont grandement contribué à ce débat sur les origines du racisme envers les Noirs aux Etats-Unis, telles que le colonialisme, l’esclavage et l’apartheid.
L’adoption historique d’une résolution des Nations unies, condamnant l’usage excessif de la force et autres violations des droits humains par des agents des forces de l’ordre à l’encontre d’individus africains et d’origine africaine, et une étude mandatée par les Nations unies sur la question, nous ont encouragés dans notre démarche.
Nous nous réjouissons également que le groupe africain des Etats membres du CDH, guidé par des principes fondamentaux, ait pris les devants pour engager le débat, et se soit ainsi fait l’écho des manifestations mondiales en soutien au Movement for Black Lives et des principaux appels lancés par la famille de George Floyd et plus de 600 organisations de la société civile, le Comité pour l’élimination de la discrimination raciale des Nations unies, le Rapporteur spécial des Nations unies sur les formes contemporaines de racisme, et de nombreux mandats d’expertise des Nations unies.
Le débat a néanmoins mis en lumière le malaise omniprésent qu’éprouvent les acteurs de la scène politique dans la lutte mondiale contre le racisme envers les Noirs et le système qui le perpétue. Les États-Unis qui ont boycotté le CDH pour avoir régulièrement dénoncé les atteintes aux droits fondamentaux des Palestiniens par les autorités israéliennes, ont contesté la nécessité d’ouvrir une enquête. Une grande majorité des États occidentaux et des États d’Amérique latine se sont opposés à ce que les États-Unis soient tenus responsables des violations institutionnalisées, en avançant des excuses infondées, au lieu de nommer les auteurs individuellement afin qu’ils rendent des comptes. Cette opposition peut s’expliquer par la pression exercée par le gouvernement américain ou par la crainte d’être la prochaine victime d’une telle initiative. Il est regrettable que la version initiale du projet de résolution, qui incluait la création d’une commission d’enquête internationale, ait été considérablement affaiblie en raison de la pression écrasante qui s’est exercée.
Nous exprimons notre solidarité avec le Movement for Black Lives aux Etats-Unis et nous sommes consternés de constater que les manifestations en faveur de la défense de la vie des Noirs et contre les violences policières ont fait l’objet de répression par les forces armées sur les manifestants pacifiques ainsi que d’attaques à l’encontre de journalistes, et que les manifestants ont été assimilés à des terroristes nationaux. La réponse du gouvernement, qui est emblématique du racisme anti-noirs et de l’impunité des forces de l’ordre, est précisément la raison pour laquelle ils étaient si nombreux à descendre dans la rue en pleine période de pandémie. Nous sommes également extrêmement préoccupés par la perpétration d’actes racistes de plus en plus violents aux États-Unis, comme en témoignent les lynchages dont auraient récemment été victimes au moins six individus noirs. Aux États-Unis, les acteurs de la scène politique doivent cesser immédiatement d’avoir recours à une rhétorique du racisme qui remet en cause le vécu des individus noirs et d’origine africaine dans le pays, et ils doivent condamner avec la plus grande fermeté les actes racistes. Conjointement avec l’ensemble des États membres des Nations unies, les Etats-Unis doivent prendre des mesures décisives pour garantir que soient respectés les principes de vérité, de justice et de non-discrimination relatifs aux droits humains, notamment en établissant de nouvelles priorités, en redistribuant les ressources publiques et en obtenant réparation pour les individus d’origine africaine, en vertu des Principes fondamentaux et directives concernant le droit à un recours et à réparation des victimes de violations du droit international relatif aux droits de l’homme et du droit international humanitaire, élaborés par l’ONU en 2005.
En réponse à la suffisance institutionnelle générale et en vue de lutter contre le racisme profondément enraciné dans la société, la FIDH propose les recommandations énumérées ci-dessous.
À l’attention de la Haute-Commissaire des Nations unies aux droits de l’homme et aux titulaires de mandats spéciaux concernés, de :
• veiller à ce que le rapport commandé se concentre sur les spécificités d’un racisme institutionnalisé aux États-Unis – notamment sur l’usage excessif de la force par les forces de l’ordre, et sur les faits et circonstances qui ont conduit à la mort de George Floyd, Breonna Taylor, Atatiana Jefferson, Tony McDade, Rayshard Brooks et d’autres individus d’origine africaine – dans le but de contribuer à l’établissement de la responsabilité des auteurs d’actes racistes et à l’obtention de recours pour les victimes ;
À l’attention des autorités des Etats-Unis, de :
• s’assurer que des enquêtes sont menées en toute transparence, que la responsabilité des auteurs est établie et que la justice est faite pour la mort de George Floyd, Breonna Taylor, Atatiana Jefferson, Tony McDade, Rayshard Brooks et d’autres afro-américains qui ont été tués par la police, sans oublier ceux comme Ahmaud Arbery qui ont été tués par des vigiles privés dans une société qui méprise la vie des Noirs ;
• s’engager publiquement à lutter contre les préjugés raciaux des responsables du maintien de l’ordre et du système de justice pénale aux États-Unis, et soutenir les démarches de la société civile, des organisations communautaires et des mouvements pour la justice sociale visant à repenser foncièrement le rôle de la police dans notre société ;
• lutter contre le racisme institutionnalisé envers les Noirs et la discrimination au sein du système de justice pénale, qui conduit à l’incarcération disproportionnée d’individus d’origine africaine dans des prisons et des centres de détention d’immigrés, et notamment :
▪ assurer le suivi et appliquer les recommandations du Groupe de travail des Nations unies sur la détention arbitraire et du Groupe de travail d’experts sur les personnes d’ascendance africaine des Nations unies au lendemain de leurs missions respectives aux États-Unis d’Amérique ;
▪ libérer immédiatement tous les prisonniers politiques – notamment le célèbre journaliste et ancien membre des Black Panther, Mumia Abu-Jamal – qui font l’objet d’accusations prononcées pour la plupart à l’époque du mouvement des droits civiques des années 1960, lorsque le gouvernement des États-Unis avait pris pour cibles, surveillé, arrêté, voire assassiné des militants qui se battaient pour la liberté, dans le cadre du programme de contre-espionnage COINTELPRO. Aujourd’hui, ces détenus font partie de la population carcérale âgée et sont, à ce titre, particulièrement vulnérables à la pandémie de la Covid-19 ;
▪ rouvrir les affaires de tous les prisonniers politiques qui ont été incarcérés, puis libérés depuis pour étudier convenablement l’ensemble des preuves, révoquer les jugements, et accorder des compensations pour les décennies d’incarcération.
• accepter la demande transmise au Rapporteur spécial des Nations unies sur les formes contemporaines de racisme de se rendre aux États-Unis et de formuler des recommandations en vue de lutter contre le racisme institutionnalisé dans ce pays, notamment le racisme structurel des responsables du maintien de l’ordre et du système de justice pénale ;
• mettre fin immédiatement à une rhétorique politique du racisme et condamner avec la plus grande fermeté des attaques à caractère raciste, notamment les lynchages ;
• garantir la mise en place de mécanismes visant à établir la responsabilité des auteurs d’actes racistes et à obtenir des recours significatifs pour les victimes de violences contre les Noirs et de racisme institutionnalisé, y compris des réparations ;
• réduire considérablement les dépenses en matière de sécurité consacrées aux forces de l’ordre et aux forces armées et investir davantage de ressources publiques dans des politiques économiques et sociales afin de permettre aux individus de jouir de leurs droits fondamentaux au travail, à la santé, à l’éducation et à un logement décent ;
• mettre un place une commission indépendante et permanente pour la défense des droits humains en mesure d’évaluer la législation, de recueillir des plaintes individuelles et de garantir la conformité des lois nationales, à l’échelle locale et fédérale, avec les standards et obligations internationaux, au titre des Principes de Paris concernant les institutions nationales de défense des droits humains ;
• le Congrès américain doit respecter ses obligations en vertu du Pacte international relatif aux droits civils et politiques et de la Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale ; ratifier l’ensemble des traités que les Etats-Unis ont signés, notamment le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels ; et ratifier également tous les traités relatifs aux droits humains auxquels ils n’ont pas encore adhéré ;
À l’attention d’autres Etats, comme les Etats occidentaux et les Etats d’Amérique latine, de :
• s’assurer que des enquêtes sont menées en toute transparence, que la responsabilité des auteurs est établie et que la justice est faite lorsque des représentants des forces de l’ordre et des vigiles privés commettent des actes de violence et de racisme.
• soutenir les efforts de la société civile, des organisations communautaires et des mouvements de justice sociale visant à repenser fondamentalement le rôle de la police dans notre société ;
• s’engager à accorder réparation à la population noire pour les préjudices qu’elle a subis du fait du colonialisme, de l’esclavage et de l’apartheid ;
• adopter une approche de principe lorsqu’il s’agit faire face au racisme dans des échanges bilatéraux et multilatéraux ;
• permettre la conduite d’évaluations indépendantes du racisme institutionnalisé au niveau national et mettre en œuvre les recommandations faites au gouvernement sur la question.
Paris, le 10 juillet 2020
Signataires : Armanshahr|OPEN ASIA ; Albanian Human Rights Group, AHRG ; Bahrain Centre For Human Rights, BCHR ; Odhikar ; Ligue des droits Humains, LDH belge ; Ligue Tchadienne des droits de l’Homme, LTDH ; China Labour Bulletin, CLB ; Corporación Colectivo de Abogados José Alvear Restrepo, CAJAR ; Liga Lidskych Prav (Human Rights League) ; Comisión Nacional de los Derechos Humanos ; Ecumenical Commission for Human Rights ; Finnish League for Human Rights ; Ligue des droits de l’Homme, LDH France ; Réseau national des droits de l’Homme en Haïti, RNDDH ; Commonwealth Human Rights Initiative, CHRI ; League for the Defence of Human Rights in Iran, LDDHI ; Unione Forense per la Tutela dei Diritti Umani, UFTDU ; Ligue Ivoirienne des droits de l’Homme, LIDH ; Lao Movement for Human Rights, MLDH ; Latvian Human Rights Committee, LHRC ; Palestinian Human Rights Organizations Council, PHRO ; ALTSEAN-Burma ; Human Rights Commission of Pakistan, HRCP ; Alhaq ; Asociacion Pro Derechos Humanos, Aprodeh ; Portuguese League for Human Rights – Civitas ; Observatoire des droits de l’Homme au Rwanda, ODHR ; Comisión de Derechos Humanos de El Salvador, CDHES ; Organisation nationale des droits de l’Homme, ONDH ; Lawyers For Human Rights, LHR ; Asociación Pro Derechos Humanos de España, APDHE ; Ligue Suisse des droits de l’Homme ; Al-Marsad – Arab Human Rights Centre in Golan Heights ; Ligue tunisienne pour la défense des droits de l’Homme, LTDH ; Human Rights Association, IHD ; Foundation for Human Rights Initiative, FHRI ; Vietnam Committee on Human Rights, VCHR ; Sisters’ Arab Forum for Human Rights, SAF