Par Alain Vantroys, délégué régional de la LDH du Nord-Pas-de-Calais
Les migrant-e-s ont été jusqu’à 6000 à 8000 autour de Calais avant le démantèlement des bidonvilles. Ils et elles sont aujourd’hui, selon les sources, entre 450 à 750 qui vivent dans l’errance et la précarité. Les autres ont renoncé ou, plutôt, sont parti-e-s tenter leur chance à Dunkerque, Zeebrugge ou ailleurs. On en retrouve en périphérie de ces ports, par exemple à Grande-Synthe, où plus loin pour éviter les contacts avec la police, comme à Bruxelles. D’autres enfin ont accepté le départ vers des Centres d’accueil et d’orientation (CAO), et déposé une demande d’asile.
Celles et ceux qui sont là veulent rejoindre la Grande Bretagne, où se trouvent souvent des membres de leur famille, et sont bloqué-e-s à une frontière « renforcée ». La coopération entre la France et le Royaume-Uni, sur les contrôles frontaliers (traité de Canterbury (1986), Protocole de Sangatte (1991), Traité du Touquet (2003)) a pour effet pratique concret de transférer la frontière sur le sol français. Cela se matérialise par 28 km de grillage renforcé de 4 à 5 mètres de haut, souvent doublé de rouleaux de barbelés, souvent longé par un chemin de ronde, surveillé par des caméras et la présence de forces de police aux points de passage. Ce dispositif a été renforcé fin 2016 par un mur de béton de 4m de haut et de 1km de long, financé par le Royaume-Uni, destiné à empêcher toute intrusion sur la rocade.
Ce préambule est nécessaire pour appréhender ce que représente le nombre de migrant-e-s présent-e-s à Calais. Non, il ne s’agit pas d’un flux tel que, comme à Ellis Island entre 1892 et 1954, plus de 500 migrant-e-s, en moyenne, passaient chaque jour. Il s’agit de migrant-e-s qui arrivent, petit à petit, et qui se trouvent bloqué-e-s : un goutte à goutte régulier, dans une cuvette étanche, et qui finit par remplir la cuvette. Ce que nous voyons est donc un nombre de migrant-e-s qui résulte essentiellement de décisions politiques, non d’un quelconque déferlement.
Le problème des migrant-e-s sur Calais, c’est leur invisibilité. Dès lors que la police s’acharne pour « éviter les points de fixation » ils sont obligés de se cacher. Plus facilement isolé-e-s ou en petits groupes, sans abri ni quoi que ce soit de fixe et visible, on les devine dans le paysage plus qu’on ne les voit. Il y a quelques semaines, je suis passé à Calais pour voir, sans prévenir les militant-e-s locaux. J’ai erré un moment, j’ai vu quelques dizaines de migrant-e-s alors que je savais qu’ils étaient entre et 450 à 750 sur zone. Dans la zone des dunes, j’en ai vu-e-s qui sortaient d’une cachette, dans les buissons, parce que des cars de policiers étaient là pour les expulser. Mais si je n’avais pas été là juste à ce moment, je serais passé sans rien voir parce qu’ils se cachent.
Celles et ceux qui sont là (sur)vivent dans le dénuement, à la merci des passeurs, sous la pression des pouvoirs publics qui veulent éviter un supposé « appel d’air ». Ainsi, début mars, la maire de Calais prenait un arrêté d’interdiction de distribution de repas aux migrant-e-s, comme on interdit de donner à manger aux pigeons pour éviter leur prolifération. Comme si, du fin fond du chaos érythréen, de la guerre syrienne ou du bourbier afghan, des foules allaient se mettre en marche juste pour une soupe dans la zone industrielle de Calais ! Avec d’autres associations, la LDH a déféré cet arrêté inique et dérisoire.
Plus que d’empêcher ces interdictions surréalistes, les associations et des migrant-e-s ont intenté une action pour faire cesser les atteintes portées aux libertés fondamentales des migrant-e-s sur la commune de Calais. Le 26 juin, le juge des référés du tribunal administratif de Lille leur a donné raison et a enjoint au préfet du Pas-de-Calais de mettre en place, sous astreinte, des maraudes quotidiennes à destination des mineur-e-s non accompagné-e-s, pour assurer leur orientation vers des lieux de prise en charge adaptés et d’organiser des départs, depuis la commune de Calais, vers les CAO ouverts sur le territoire français dans lesquels des places sont disponibles. Conjointement, le préfet et la commune de Calais doivent créer, sous astreinte, des points d’eau à l’extérieur du centre de Calais dans des lieux facilement accessibles aux migrant-e-s, leur permettant de boire, se laver et laver leurs vêtements, ainsi que des latrines et organiser un dispositif d’accès à des douches.
Cette ordonnance a été confirmée par le Conseil d’Etat le 31 juillet. La LDH a rencontré le sous-préfet de Calais le 2 août pour lui demander une mise en œuvre de bonne foi de cette décision. En complément, nous avons demandé l’assurance que, en tant que représentant de l’État, il interviendrait en cas de carence de Mme la maire de Calais, qui avait déjà signifié son refus de respecter l’arrêt du Conseil d’État qualifié de « diktat ».
Aujourd’hui, les migrant-e-s ont été orienté-e-s vers des CAO, des maraudes pour la prise en charge des mineur-e-s ont été mises en place, et des points très sommaires d’accès à l’eau ont été installés. Seules les personnes les plus vulnérables (malades…) ont accès aux douches. Pour les autres, c’est le robinet d’eau froide, les douches solaires mises en place par des associations pour compenser la carence des pouvoirs publics ou la baignade dans des canaux d’évacuation d’eau polluée, dans la zone industrielle.
Le harcèlement policier est permanent pour éviter tout « point de fixation » : Interdiction de rester sur un lieu fixe, destruction d’effets personnels et sacs de couchage. Dans la zone industrielle et d’autres quartiers en périphérie de Calais, on croise des individus ou des petits groupes en errance, dans l’attente d’un passage. Mais des policier-e-s gardent toujours chaque point de passage. Il n’y a aucun abri. L’hiver arrive.