En salle le 13 décembre 2023
En février 1975, les ouvrières de la société de nettoyage travaillant sur le campus de l’Université catholique de Louvain (UCL) se mettent en grève à la suite de la décision de délocaliser une partie de l’équipe. Elles « licencient leur patron » et se constituent en coopérative. Trois semaines après le déclenchement de la grève, la direction de l’UCL accepte de soutenir le projet de coopérative en signant un contrat, d’abord de 3 mois, qu’elle renouvellera pendant 14 ans.
Découvrant cette histoire dont elle n’avait jamais entendu parler pendant ses études, la réalisatrice, Coline Grando, se plonge dans les archives et retrouve des protagonistes de l’époque : nettoyeuses, laveurs de vitre mais aussi militants et permanents syndicaux qui avaient soutenu l’initiative pendant la grève. « Mais je ne voulais pas, dit-elle, un film uniquement tourné vers le passé. Je voulais faire résonner cette histoire au présent. Je suis donc allée rencontrer les personnes qui nettoient aujourd’hui l’Université. »
Aujourd’hui, une cinquantaine de personnes travaille sur le campus qui représente une ville de 350 000 m2 à nettoyer. Elles se sentent bien plus appartenir à l’UCL qu’aux sociétés de nettoyage qui changent tous les 5 ans. Pour Catherine, cheffe d’équipe : « Le patron n’est là que pour le portefeuille, payer les machines, les produits… Je saurais gérer le chantier avec ma collègue, sans patron, ça ne me fait pas peur. Il n’est jamais venu ici. S’il vient, il sera perdu. C’est facile d’indiquer des prix et des mètres carrés sur un document mais il faut voir en quoi consiste réellement le travail. »
Et la réalisatrice montre admirablement ce qu’est le travail de ces « invisibles » : elle filme la pénibilité, les postures douloureuses, les gestes répétitifs, la rapidité exigée face aux immenses surfaces des bâtiments ; elle montre également la solitude, l’isolement, dans lesquels ce travail est effectué, qui contrastent avec la solidarité et les rires d’autrefois.
Le film alterne ces séquences de travail avec des moments de rencontre et d’échange entre les générations, autour d’une table, moments filmés avec délicatesse – toutes et tous ne sont pas à l’aise d’emblée devant la caméra. Le dispositif ne se cache pas, la réalisatrice pose des cadres pour favoriser l’émergence de la parole. Les conversations ont lieu dans les salles de l’Université, comme pour permettre au personnel de nettoyage de se réapproprier l’espace dans lequel il travaille. A travers les témoignages des anciennes, les travailleuses d’aujourd’hui découvrent, ébahies, la dégradation des conditions de travail : « Quoi ? Elles étaient cinq ou six pour faire la même surface qu’une seule personne maintenant ! »
Une séquence essentielle vers la fin du film fait dialoguer les délégués syndicaux actuels qui témoignent de leurs difficultés à réunir leurs collègues isolés et dispersés, et d’anciens syndicalistes qui leur expliquent que les nettoyeuses du Balai Libéré n’étaient pas syndiquées pour la plupart avant la grève, qu’elles n’imaginaient certainement pas pouvoir mettre leur patron à la porte : « la solidarité, disent-ils, c’est quelque chose qui se construit ».
La priorité aujourd’hui dans l’entreprise est d’organiser des rencontres, d’instaurer du dialogue, de recréer du lien comme autrefois, et comme le film le fait modestement, à son échelle, en donnant des perspectives et des outils pour les combats actuels.
En mettant en lumière une réalité de travail rarement montrée, Le Balai Libéré ouvre à des débats sur plusieurs thèmes, notamment sur la question de la sous-traitance qui donne lieu à des conflits particulièrement violents, et plus généralement sur la perte de sens au travail.
Réalisation : Coline Grando
Production : Centre Vidéo de Bruxelles, 2023 ; Distribution : Le Parc Distribution ; durée : 1h28min