Sortie le 8 novembre 2023
Ce film, dont le titre rappelle les paroles scandaleuses de Didier Lombard, ex PDG, évoquant en 2006 les 22 000 départs à réaliser dans l’entreprise, relate l’affaire « France Télécom ».
Il est né de la volonté de syndicalistes qu’elle soit racontée par celles et ceux qui y ont travaillé/travaillent, et Ariane Ascaride leur a prêté sa voix.
Ce documentaire très dense, nourri d’importantes archives, de nombreux constats, témoignages, analyses, devrait passionner celles et ceux qui s’intéressent au travail, particulièrement les victimes de « souffrances au travail » et celles et ceux qui sont attaché-e-s au service public.
Le réalisateur commence son film par les conclusions du deuxième procès (en appel) qui confronte les témoins à l’équipe dirigeante, en septembre 2022, et les réactions, souvent émouvantes, qu’elles entraînent, puis, de manière très pertinente et pédagogique, remonte le temps pour présenter l’ensemble de cette douloureuse histoire en trois parties.
« Ne m’appelez pas privatisation», premier épisode, démarre en 1987 : la Commission européenne vient de publier le Livre vert qui ouvre les télécommunications à la concurrence, et le film rappelle les dénégations des gouvernements successifs quant à une éventuelle privatisation. Si une forte mobilisation des salariés l’empêche pendant une dizaine d’années, la machine est en marche… En 1997, malgré les promesses antérieures des socialistes, une partie du capital est ouverte au marché. Le choc est grand pour les salarié-e-s, très attaché-e-s aux valeurs du Service Public. En 2004, suite à un endettement phénoménal, la privatisation est actée. Depuis quelque temps, les conditions de travail se détériorent, entraînant des suicides…
Le deuxième épisode « Les années noires » est consacré à la période Lombard, arrivé en 2005, et à son management « par la terreur ». 22 000 suppressions d’emploi, « par la fenêtre ou par la porte », sont donc annoncées pour les 2 années à venir. Les salarié-e-s, toujours fonctionnaires ne peuvent être licencié-e-s, il faut trouver d’autres moyens… Les dirigeants tentent un véritable lavage de cerveau auprès des cadres, DRH, comme en témoignent médecins du travail, syndicalistes, avocats, ainsi que la Compagnie de théâtre Naje, sollicitée pour construire un spectacle à ce sujet. Devant le malaise grandissant chez les salarié-e-s, et le nombre important de suicides, en 2007 le syndicat SUD s’allie à la CFE CGC pour fonder « L’Observatoire du stress et des mobilités forcées » dont le questionnaire emporte un grand succès. L’année suivante, cet Observatoire décide de comptabiliser le nombre de suicides, alors que Didier Lombard est nommé « Manager 2008 » par BFM… En 2009, ces suicides font la une de la presse et Didier Lombard est convoqué au Ministère du Travail… Fin 2009, SUD porte plainte contre l’entreprise auprès du procureur de la République, début 2010 une inspectrice du travail remet au procureur un signalement qui établit la responsabilité des trois dirigeants. Deux juges d’instruction sont saisis.
Le troisième épisode « 10 ans après» rappelle d’abord le premier procès, en 2019, qui condamne les dirigeants pour harcèlement institutionnel, avec 1 an de prison dont 4 mois fermes. Sauf l’un d’eux, ils font appel et les conclusions du deuxième procès sont décevantes pour le personnel et les familles des victimes : les 4 mois fermes disparaissent. Mais la Cour d’appel confirme la condamnation des dirigeants pour harcèlement institutionnel, ce qui est une grande victoire pour les salarié-e-s, et un avertissement à tous les chefs d’entreprise.
Cet épisode est aussi abondamment nourri par des réflexions, analyses, notamment celles des différents chroniqueurs (écrivain-e-s, sociologues, juristes dessinateurs…) qui, à la demande des syndicats, ont assisté aux deux procès. « Ce qu’on a mondialisé, souligne le psychanalyste Roland Gori, c’est la cruauté d’un management par les chiffres ». Beaucoup, dont Jean Auroux, ministre du travail sous François Mitterrand, insistent sur le rôle capital qu’ont joué les CHSCT, que le Président Macron a supprimé… Sans eux, ces procès n’auraient pu avoir lieu. Leur suppression est une grave atteinte aux droits des travailleur-e-s.
Mais restent ce film et ce combat exemplaire des salarié-e-s de France Telecom, reste cette condamnation tout aussi exemplaire. « La notion de harcèlement institutionnel est un outil juridique puissant dont vont pouvoir s’emparer les organisations syndicales » estiment les protagonistes du film. Souhaitons que le plus grand nombre de travailleur-e-s s’emparent de ce film pour faire bouger les lignes, interpeller les politiques : quel type de travail pour demain ? Il y va de la dignité de tous les salarié-e-s.
Long-métrage – 1h29′ – France – 2023
Réalisation : Jean-Pierre Bloc
Avec Ariane Ascaride
Distribution : VraiVrai Films
Mots clefs : conditions de travail, dignité des travailleurs, harcèlement institutionnel.