En salle en septembre 2023
Zou est l’histoire d’Ahmad Shah arrivé à Lille en 2009 après une longue errance depuis l’Afghanistan. On a pu voir de nombreux documentaires traitant de l’arrivée en France d’Afghans chassés de leur pays par les talibans, films qui dénonçaient leur sort et les conditions de leur survie dans la jungle de Calais. Dès le générique de Zou [1], on sait qu’on ne va pas voir un document de plus sur la question mais une œuvre originale.
La réalisatrice plasticienne Claire Glorieux a suivi Ahmad Shah en France pendant dix ans. Elle utilise merveilleusement toutes sortes de dispositifs plastiques (photographies, animation, papier, découpage, collage) pour raconter son histoire : « J’ai créé, dit-elle, des décors sous forme de dioramas, des petites maquettes en papier, pour donner un effet ‘conte’ au récit. »
Images animées et musique accompagnent tout d’abord le récit en voix off d’Ahmad Shah. Une voix et un récit qui nous rendent immédiatement attachant cet homme qu’on ne verra qu’un peu plus tard à l’écran. On pénètre dans son univers et dans son passé. Ses premiers souvenirs remontent à l’âge de 7 ans, les Russes occupaient son pays et il se souvient de sa peur. Il apprend la couture, et, à 14 ans, ouvre son propre atelier. Sa jeunesse est marquée par la guerre entre les talibans et leurs opposants dont son frère faisait partie. La famille est constamment menacée. En 1999, une roquette tombe sur leur maison : son père, sa mère et sa sœur sont tués. En 2002, il se marie et a une première fille en 2003, deux autres enfants naîtront en 2007 et 2008. En 2004, il saute sur une mine placée devant la porte de sa maison, sa jambe droite est arrachée. Les talibans abattent son frère. Quatre ans plus tard, se sentant menacé à son tour, et il décide de partir avec sa famille au Pakistan « jusqu’à ce que les choses s’apaisent », dit-il. De là, commence un long périple qu’il va accomplir seul, laissant sa famille au Pakistan. Ce pénible et douloureux voyage, souvent à pied en claudiquent avec sa prothèse, est matérialisé par une carte en tissu sur laquelle il coud le trajet parcouru depuis le Pakistan jusqu’en France, en passant par l’Iran, la Turquie, la Grèce et l’Italie.
La deuxième partie du film raconte à deux voix l’histoire d’une amitié et d’une intégration réussie. A Lille, Ahmad Shah rencontre un prêtre qui va l’héberger pendant deux ans avant qu’il soit régularisé et lui trouver des travaux de couture pour survivre. L’attente des papiers, ajoutée à la séparation d’avec ses enfants, est vécue comme un calvaire. Ahmad Shah, avec ses papiers obtenus en 2011, va pouvoir apprendre le métier de prothésiste et réussira à faire venir sa famille en France.
Pour la réalisatrice, le « membre fantôme », la jambe manquante d’Ahmad Shah, est le signe du manque qui n’a jamais cessé de le faire avancer. Le découpage, le collage, la couture sont autant de manières pour elle de tirer le fil, de recoller les morceaux : « Le découpage fait écho à l’amputation et à l’exil, dit-elle. La couture ou le reprisage évoquent la suture ou la réparation. » Un travail avec des matières de fortune qui illustre intelligemment cette douloureuse aventure humaine.
Ce film poétique d’une profonde humanité pourra être le support de discussions autour de l’accueil des réfugiés en France et de leur intégration.
Zou. Réalisation : Claire Glorieux. Production : Quilombo Films, La Chaîne normande, Tënk, Pictanovo, 2021. 56 min
Mots-clés : Immigration, réfugiés, demandeurs d’asile, régularisation
[1] En pachtouk, zou signifie « On y va ! ». Le film commence par une scène de jeu en Afghanistan qui consiste à prendre sa respiration et à dire le mot zou le plus longtemps possible en marchant. On s’arrête quand on n’a plus de souffle. Celui qui est allé le plus loin a gagné.