Tribune collective dont Malik Salemkour, président de la LDH, est signataire
À l’occasion de la Journée internationale contre l’abus et le trafic de drogues, ce vendredi 26 juin, des associations partisanes de l’approche de réduction des risques interpellent le Premier ministre afin de rappeler l’importance d’une politique des drogues fondée sur le respect des droits humains et de leur santé.
Monsieur le Premier Ministre,
Le 26 juin consacre la Journée internationale contre l’abus et le trafic de drogues. Certains pays soutiennent encore le paradigme selon lequel « un monde sans drogue » serait possible et l’idée que l’interdit pénal resterait le meilleur rempart face aux dangers de la drogue.
Ce même jour, les partisans de la réduction des risques liés aux usages de drogues participent à la campagne de mobilisation internationale « Soutenez. Ne punissez pas ! » promouvant une approche sur les drogues fondée sur les droits humains et la santé publique, dans la droite lignée de ce que défendait Kofi Annan, Prix Nobel de la Paix, ancien Secrétaire général des Nations Unis, membre de Commission Globale de politique en matière de drogues. Ce dernier, convaincu de l’impérieuse nécessité de faire évoluer les politiques en matière de drogues, s’était exprimé lors du discours à la 68ème Assemblé mondiale de la santé à Genève, le 19 mai 2015 :
« Je l’ai dit auparavant, et je le répète ce soir : je pense que les drogues ont détruit de nombreuses vies, mais que de mauvaises politiques gouvernementales en matière de drogues en ont détruit encore plus ».
Dans un contexte de crises sanitaires et économiques globales, c’est donc cette même approche que nous prônons en France pour sortir de l’impasse de la « guerre à la drogue » et améliorer la vie des personnes usagères des drogues.
L’année 2020 marque le 50e anniversaire de la loi des stupéfiants de 1970, et alors qu’elle devrait être une année de réflexion et d’évaluation de la loi, votre gouvernement lance une campagne de pénalisation massive des personnes usagères des drogues à travers l’instauration de l’amende forfaitaire délictuelle pour usage de stupéfiants et le lancement de son expérimentation en ce mois de juin dans les villes de Rennes, Reims, Créteil et Boissy-Saint-Léger, puis à Marseille et Lille.
Nous avions déjà annoncé l’échec de ce type de répression systématique dans un livre blanc associatif publié en novembre 2018. Or, l’instauration de l’amende forfaitaire délictuelle s’est accompagnée de la création d’un fichier de contrôle automatisé qui partage les données des condamnations sans respect de la vie privée des personnes, y compris avec des pays utilisant la peine de mort pour des infractions liées aux drogues.
Une fois de plus, les consommateurs les moins exposés dans l’espace public parce que bénéficiant d’une stabilité économique, d’un logement et d’un capital social seront quant à eux relativement protégés de ces dispositions. En estimant « régler » le problème de l’interdit, la forfaitisation va accroître des inégalités et une défiance vis-à-vis de l’impartialité des forces publiques.
La « guerre contre la drogue » est surtout une guerre contre les personnes, en particulier celles vulnérabilisées socialement et économiquement. L’activité policière contre les drogues est chronophage et coûteuse (2,4 milliards d’euros chaque année soit 0,1% du PIB). La situation dans les quartiers les plus pauvres ne cesse de se dégrader avec la stigmatisation et la discrimination des personnes qui consomment, en particulier les personnes racisées, qui s’ajoutent à la marginalisation et la précarisation socio-économique des acteurs impliqués dans les bas échelons du trafic, à l’inégal accès à la santé et aux outils de prévention et de réduction des risques liés aux usages.
Monsieur le Premier ministre, pour améliorer la santé et la sécurité publiques il est nécessaire d’appréhender la question des drogues dans toute sa complexité. Il est temps que l’État pense cette question de façon moderne et sorte de recettes éculées qui ont montrés au mieux leur inefficacité, sinon leurs effets délétères sur le plan social, moral et économique. Une approche renouvelée, basée sur des données probantes, est indispensable et doit s’inscrire dans les objectifs de protection des droits humains, de santé et bien-être publics, de justice sociale et d’efficacité de l’action publique.
Persister dans la voie du tout répressif empêche toute pensée constructive et la recherche de solutions pragmatiques fondées sur des données probantes. Encore une fois, nos organisations demandent l’abandon de la répression des usagers à travers l’amende forfaitaire délictuelle et l’ouverture des états généraux pour réguler les marchés des drogues, en fonction de la dangerosité des produits, afin de mieux les contrôler et protéger la population. La nécessité de penser une régulation claire, efficace et protectrice des personnes reste un des enjeux majeurs de notre XXIème siècle.
Organisations signataires
AIDES, Aurélien Beaucamp, président ; ASUD, Jean-Maxence Granier, président ; Collectif police contre la prohibition, Bénédicte Desforges ; Cannabis sans Frontières, Farid Ghehiouèche, porte-parole ; Fédération Addiction, Jean Michel Delile, président ; Ligue des droits de l’Homme, Malik Salemkour, président ; L630, Yann Bisiou, président ; Médecins du Monde, Dr. Philippe de Botton, président ; Norml France, Olivier Bertrand, président ; Principes Actifs, Fabienne Lopez, présidente ; Syndicat de la Magistrature, Katia Dubreuil, présidente ; Syndicat des Avocats de France, Estellia Araez, présidente ; Techno Plus, Maxime Laglasse, président.