Décret présidentiel du 10 mars 1899
portant règlement relatif à la circulation automobile.
Au tournant du siècle, l’apparition de l’automobile en France sème le trouble parmi les usagers habituels des routes. Ce nouveau véhicule est accusé d’affoler les chevaux, d’abîmer la chaussée qu’il emprunte et de lever un nuage de poussière fort désagréable sur son passage. Quant à son conducteur, le chauffeur et bientôt le chauffard, son imprudence est la cause d’accidents qui risquent maintenant davantage de tuer ou de blesser. Aussi ses détracteurs demandent aux pouvoirs publics de prendre position.
Voici donc le premier texte de loi traitant des véhicules automobiles .Celui-ci a pour but d’apporter un remède aux désagréments qu’ils causent. Aussi afin de civiliser son utilisation, le décret présidentiel instaurent des mesures de sûreté ayant trait au démarrage de l’automobile ou à son équipement en freins. Il réglemente également la vitesse de parcours, celle-ci ne doit pas excéder les 30 Km/h en rase campagne et les 20 Km/h en agglomération, et édicte des règles de circulation. Le certificat de capacité délivré par le préfet, bientôt le permis de conduire, est désormais rendu obligatoire.
Malgré la précision des dispositions adoptées, ce décret se révèle insuffisant pour encadrer le phénomène automobile. Il sera complété deux années plus tard par un nouveau texte de loi, un nouvel exercice de casuistique émanant de l’État au total tout aussi inefficace, témoignant une nouvelle fois que la législation ne peut qu’accompagner l’évolution des mentalités, en accélérer les mutations mais en aucun cas les modeler.
SECTION I
AUTOMOBILES AVEC OU SANS AVANT-TRAIN MOTEUR,
BOGGIE OU NON, CIRCULANT ISOLEMENT.
TITRE I er . MESURES DE SÛRETÉ.
2 . Les réservoirs, tuyaux et pièces quelconques destinés à des produits explosifs ou inflammables seront construits ne laisser échapper ni tomber aucune matière pouvant causer explosion ou un incendie.
3 . Les appareils devront être disposés de telle manière que emploi ne présente aucune cause particulière de danger et ne puisse effrayer les chevaux ni répandre d’odeurs incommodes.
4 . Les organes de manœuvre seront groupés de façon que le conducteur puisse les actionner sans cesser de surveiller sa route.
Rien ne masquera la vue du conducteur vers l’avant, et les appareil; indicateurs qu’il doit consulter seront placés bien en vue éclairés la nuit.
5 . Le véhicule devra être disposé de manière à obéir sûrement à l’appareil de direction et à tourner avec facilité dans les courbes petit rayon. Les organes de commande de la direction offriront les garanties de solidité désirables.
Les automobiles dont le poids à vide excède deux cent Kilogrammes (250 Kg) seront munis de dispositifs permettant la marche en arrière.
6 . Le véhicule devra être pourvu de deux systèmes de distincts, suffisamment efficaces, dont chacun sera capable de supprimer automatiquement l’action motrice du moteur ou de la maîtriser.
L’un au moins de ces systèmes agira directement sur les roues sur des couronnes immédiatement solidaires de celles-ci et sera capable de caler instantanément les roues.
L’un de ces systèmes ou un dispositif spécial permettra d’arrêter toute dérive en arrière.
Dans le cas d’un véhicule à avant-train moteur à boggie, l’un systèmes de freinage à la disposition du mécanicien devra agir sur les roues arrière du véhicule.
7 . La constatation que les voitures automobiles satisfont aux diverses prescriptions ci-dessus sera faite par le service des mines, sur la demande du constructeur ou du propriétaire. Pour les voitures construites en France, le fabricant devra demander la vérification de tous les types d’automobiles qu’il a établis ou qu’il établira. Pour les- voitures de provenance étrangère, l’examen sera fait avant la mise en service en France, sur le point de territoire désigné par le propriétaire de la voiture.
Lorsque le fonctionnaire des mines délégué à cet effet aura constaté que la voiture présentée satisfait aux prescriptions réglementaires, il dressera de ses opérations un procès-verbal dont une expédition sera remise soit au constructeur, soit au propriétaire, suivant, le cas.
Le constructeur aura la faculté de livrer au public un nombre quelconque de voitures suivant chacun des types qui auront été reconnus conformes au règlement. Il donnera à chacune d’elles un numéro d’ordre dans la série à laquelle elle appartient et il devra remettre à l’acheteur une copie du procès-verbal et un certificat attestant que la voiture livrée est entièrement en conformité du type.
Chaque voiture portera en caractères bien apparents :
I° . Le nom du constructeur, l’indication du type et le numéro d’ordre dans la série du type ;
2° . Le nom et le domicile du propriétaire.
En cas de refus par les ingénieurs des mines de dresser un procès-verbal constatant que le véhicule présenté satisfait aux prescriptions réglementaires, les intéressés pourront faire appel au ministre des travaux publics, qui statuera après avis de la commission centrale des machines à vapeur.
TITRE II . MISE EN CIRCULATION.
8. Tout propriétaire d’un automobile devra, avant de le mettre en circulation sur les voies publiques, adresser au préfet du département ou il réside une déclaration dont il lui sera remis récépissé. Cette déclaration sera communiquée sans délai au service des mines.
9 . La déclaration fera connaître le nom et le domicile du propriétaire.
Elle sera accompagnée d’une copie du procès-verbal dressé en vertu de l’article 7.
10 . La déclaration faite dans un département suffira pour toute la France.
TITRE III . CONDUITE ET CIRCULATION.
11 . Nul ne pourra conduire un automobile s’il n’est porteur d’un certificat de capacité délivré par le préfet du département de résidence, sur l’avis favorable du service des mine.
Un certificat de capacité spéciale. sera institué pour les conducteur de motocycles d’un poids inférieur à cent cinquante kilogrammes (150 Kg).
12 . Le conducteur d’un automobile sera tenu de présenter à toute réquisition de l’autorité compétente :
1° . Son certificat de capacité ;
2° . Le récépissé de déclaration du véhicule.
13 . Les divers organes, du mécanisme moteur, les appareils de sûreté, la commande de direction, les freins et leurs systèmes de commande, ainsi que les transmissions des essieux, seront constamment entretenus en bon état.
14 . Le conducteur de l’automobile devra rester constamment maître de sa vitesse. IL ralentira ou même arrêtera le mouvement toute les fois que le véhicule pourrait être la cause d’accident, de désordre ou de gêne pour la circulation.
La vitesse devra être ramenée à celle d’un homme au pas dans les passages étroits ou encombrés.
En aucun cas, la vitesse n’excédera celle de trente kilomètres (30 Km) à l’heure en rase campagne et de vingt kilomètres (20 Km) à l’heure dans les agglomérations, sauf exception prévue à l’article 31.
15 . L’approche du véhicule devra être signalée en cas de besoin au moyen d’une trompe.
Tout automobile sera munie à l’avant d’un feu blanc et d’un feu vert.
16 . Le conducteur ne devra jamais quitter le véhicule sans avoir pris les précautions utiles pour prévenir tout accident, toute mise en route intempestive, et pour supprimer tout bruit moteur.
SECTION II
AUTOMOBILES REMORQUANT D’AUTRES VÉHICULES.
TITRE IV . MESURES DE SÛRETÉ.
17 . Les automobiles remorquant d’autres véhicules ne pourront circuler sur les voies publiques qu’autant qu’ils satisferont, en ce qui concerne les appareils moteurs, les organes de transmission, de freinage et de conduite, aux prescriptions des articles 2, 3, 4, 5, 6, du présent réglemente.
18 . Indépendamment des freins de l’au mobile prévus par l’article 6, chaque véhicule remorqué sera muni d’un système de freins suffisamment efficace et rapide, susceptible d’être actionné soit par le mécanicien à son poste sur l’automobile, soit par un conducteur spécial.
19 . Les véhicules remorqués porteront en caractères bien apparents le nom et le domicile du propriétaire.
20 . Aucun automobile destiné à remorquer d’autres véhicules ne pourra être mis en service qu’en vertu d’une autorisation du préfet, délivrée après avis du service des mines.
Le fonctionnaire délégué à cet effet visitera l’automobile et pourra procéder à des essais ayant pour but de constater qu’il ne présente aucune cause particulière de danger en raison du servie auquel il est destiné.
L’autorisation délivrée à la suite de ces vérifications sera valable pour tous les départements.
TITRE V . MISE EN CIRCULATION.
2I. Nul ne pourra faire circuler dans un département des automobiles remorquant d’autres véhicules, sans une autorisation délivrée par le préfet de ce département, après avis soit de l’ingénieur en chef des ponts et chaussées, soit de agent voyer en chef, ou de ces deux chefs de service, suivant la nature des routes et chemins empruntés.
La demande devra indiquer :
I° . Les routes et chemins que le pétitionnaire a l’intention de suivre ;
2° . Le poids de l’automobile, celui de chacun des véhicules chargés et la charge maximum par essieu ;
3° . La composition habituelle des trains et leur longueur totale.
22 . L’autorisation déterminera les conditions particulières de sécurité auxquelles le permissionnaire sera soumis indépendamment des prescriptions générales du présent règlement.
Les intéressés pourront faire appel de la décision du préfet devant le ministre des travaux publics, qui statuera après avis de la commission centrale des machines à vapeur.
TITRE VI . CONDUITE ET CIRCULATION.
23 . Tout train portera, la nuit, un feu rouge à l’arrière, sans préjudice du feu blanc et du feu vert prévus par l’article 15.
24 . La vitesse des trains en marche ne dépassera pas vingt kilomètres (20 Km) à l’heure en rase campagne et dix kilomètres (10 Km) à l’heure dans les
25 . Lorsque les freins des véhicules remorqués ne seront pas actionnés par le mécanicien, la manœuvre de ces freins sera confiée à des conducteurs spéciaux dont le nombre sera proportionné à l’importance du convoi, eu égard aux déclivités du parcours et à la vitesse de marche.
Dans tous les cas, des dispositions efficaces seront prises pour empêcher toutes dérives en arrière des véhicules remorqués.
26 . Le stationnement de trains sur la voie publique ne devra, en aucun cas gêner la circulation ni entraver l’accès des propriétés.
Pour les services publics de voyageurs, les points de stationnement seront désignés par l’arrêté préfectoral d’autorisation.
27. La marche, la conduite et l’entretien des automobiles et véhicules remorqués seront soumis aux prescriptions des articles 11, 12, 13, aux deux premiers alinéas de l’article 14 qui le concerne, ainsi qu’aux articles 15 et 16 du présent règlement.
28 . Les dispositions du présent règlement, à l’exception des articles 18 à 27, seront applicables aux automobiles remorquant une voiturette dont le poids, voyageur compris, ne dépasse pas deux cent kilogrammes (200 Kg), pourvu que les freins soient capables de servir efficacement pour l’ensemble.
SECTION III
TITRE VII . DISPOSITIONS GÉNÉRALES.
29. Indépendamment des prescriptions du présent règlement, les automobiles demeureront soumis aux dispositions des règlements sur la police du roulage.
30. L’appareil d’où procède la source d’énergie sera soumis aux dispositions des règlements sur les appareils du même genre, en vigueur ou à intervenir.
31. Les courses de voitures automobiles ne pourront avoir lieu sur la voie publique sans une autorisation spéciale délivrée par chacun des préfets des départements intéressés, sur l’avis des chefs des services de voirie.
Cette autorisation ne dispensera pas les organisateurs des courses de demander, au moins huit jours à l’avance pour chacune des communes intéressées, l’agrément du maire. La vitesse pourra excéder celle de trente kilomètres (30 Km) à l’heure en rase campagne ; elle ne pourra, en aucun cas, dépasser celle de vingt kilomètres (20 Km) à l’heure dans les agglomérations
32. Après deux contraventions dans l’année, les certificats de capacité délivrés en vertu de l’article 11 du présent règlement pourront être retirés par arrêté préfectoral, le titulaire entendu et sur l’avis du service des mines.
33. Les contraventions aux dispositions qui précèdent seront constatées par des procès-verbaux et déférées aux tribunaux compétents, conformément aux dispositions des lois et règlements en vigueur ou à intervenir.
34 . Les attributions conférées aux préfets des départements par le présent décret sont exercées par le préfet de policé dans toute l’étendue de son ressort.
35 . Les ministres de l’intérieur et des travaux publics sont chargés, chacun en ce qui le concerne, de l’exécution du présent décret, qui sera publié au Journal officiel et inséré au Bulletin des lois.
Fait à Paris, le 10 mars 1899.
Signé Émile Loubet.
© Les Forums de l’Histoire, 2001