En septembre 2020, plus de 850 organisations de la société civile, dont la LDH, ont lancé un appel pour la reconnaissance du droit à un environnement sain par le Conseil des droits de l’Homme des Nations unies.
Intitulé « The Time is Now », cette lettre affirme : « Il n’y a pas de droits de l’homme sur une planète morte ».
A Son Excellence, Mme Elisabeth TICHY-FISSLBERGER, représentante permanente de l’Autriche auprès de l’Office des Nations unies à Genève, Présidente du Conseil des droits de l’Homme des Nations unies,
A Leurs Excellences, représentants permanents des membres du Conseil des droits de l’Homme des Nations unies,
A leurs Excellences, les représentants permanents auprès de l’Office des Nations unies à Genève,
Genève, le 10 septembre 2020
Excellences,
Nous, organisations de la société civile, peuples autochtones, mouvements sociaux et communautés locales signataires de cette lettre, sommes heureux de vous présenter cet appel au Conseil des droits de l’Homme*, à reconnaître sans délai le droit fondamental de tous à un environnement sûr, propre, sain et durable.
Un environnement sain est essentiel à la vie et à la dignité humaines. L’air que nous respirons, l’eau que nous buvons, la nourriture que nous mangeons et le climat propre au maintien de la vie dont nous jouissons dépendent tous d’écosystèmes sains, diversifiés, entiers et fonctionnels. Au vu de la crise environnementale mondiale qui actuellement met en péril et viole les droits de l’homme de milliards de personnes sur notre planète, la reconnaissance au niveau universel de ce droit est une question de la plus haute urgence. Comme nous le savons tous, il n’y a pas de droits de l’homme sur une planète morte.
Les preuves scientifiques de la crise environnementale sont indéniables
Depuis des décennies, il existe un consensus scientifique mondial sur l’état critique de l’environnement et ses conséquences pour les vies humaines et l’avenir de la vie sur Terre. Les cinq évaluations précédentes du groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (Giec) ont fourni des preuves de l’ampleur de la crise climatique et de ses menaces les plus graves. L’évaluation mondiale de la plateforme intergouvernementale scientifique et politique sur la biodiversité et les services écosystémiques (IPBES) a observé que «la nature dans la majeure partie du monde a maintenant été considérablement modifiée par de multiples facteurs humains, la grande majorité des indicateurs des écosystèmes et de la biodiversité déclin »1et que« la plupart des contributions de la nature aux êtres humains ne sont pas entièrement remplaçables, et certaines sont irremplaçables. »2
Face à de telles tendances, la communauté scientifique a identifié le genre d’actions à mettre en œuvre et a souligné le besoin urgent de changements rapides, profonds et transformateurs. Ces actions comprennent le remplacement des combustibles fossiles par des énergies renouvelables, l’élimination de la pauvreté et la réduction des inégalités3, une gestion rationnelle des produits chimiques qui élimine les déchets et la pollution et favorise la durabilité4, et le renforcement de la protection de la biodiversité et des écosystèmes sains. Il est important de noter que ces actions doivent garantir la protection des droits de l’homme, des terres et des moyens de subsistance des peuples autochtones et de toutes les autres communautés vivant de manière durable dans les zones de conservation [5]. « La nature », comme l’IPBES nous l’a rappelé, « peut être conservée, restaurée et utilisée de manière durable tout en atteignant simultanément d’autres objectifs sociétaux mondiaux, grâce à des efforts urgents et concertés favorisant un changement transformateur. » [6]
La Covid-19 démontre l’urgence de la question
La pandémie actuelle de Covid-19, qui fait suite à des zoonoses à transmission vectorielle de plus en plus fréquentes, a des effets dévastateurs sur la réalisation de tous les droits de l’Homme dans le monde. Il existe des preuves manifestes que la dégradation de l’environnement à grande échelle et la perturbation des écosystèmes naturels provoquée par l’Homme sont étroitement liées à de telles maladies, passant plus fréquemment des animaux aux humains. Pour éviter de futures voire de pires catastrophes et assurer un rétablissement juste et équitable, conformément à l’appel du secrétaire général des Nations unies à « reconstruire en mieux (Build Back Better) » [7], les Etats doivent reconnaître, respecter, protéger et assurer le droit fondamental de tous à bénéficier d’un environnement sûr, propre, sain et durable.
Une reconnaissance généralisée du droit à un environnement sain
Une large majorité d’Etats a déjà incorporé le droit à un environnement sain dans leurs Constitution et lois. [8] Les systèmes régionaux reconnaissent également explicitement ce droit et ont développé une jurisprudence croissante pour le mettre en œuvre et le réaliser. Il y a plus de deux ans, le rapporteur spécial des Nations unies sur les droits de l’Homme et l’environnement a présenté les principes-cadres sur les droits de l’Homme et l’environnement [9] au Conseil des droits de l’Homme, illustrant les fondements et la vaste acceptation dans le monde entier du droit à un environnement sain. Cette évolution générale montre que le moment de la reconnaissance universelle de ce droit est venu.
La reconnaissance de ce droit est nécessaire sans délais
Le moment historique et urgent dans lequel nous vivons exige que le Conseil des droits de l’Homme des Nations unies officialise la reconnaissance du droit à un environnement sûr, propre, sain et durable sans plus tarder. La dignité de toute personne doit être protégée de la dégradation naturelle et humaine de l’environnement et des effets des changements climatiques, que ce soit individuellement ou collectivement et tant sur le fond que sur le plan procédural. Les droits de l’Homme doivent également être garantis quand nous sommes confrontés à de nouveaux défis environnementaux, comme des risques systémiques, des dégradations irréversibles, des pertes irremplaçables et des dommages irréparables, même lorsque de l’incertitude persiste. Ces défis doivent désormais être pris en compte lors de la mise en œuvre des droits de l’Homme. Le droit à un environnement sain garantit l’interdépendance et l’indivisibilité des droits de l’Homme et leur pertinence par rapport aux réalités environnementales. Les approches fragmentées ne peuvent rien donner.
La large reconnaissance du droit à un environnement sain reflète l’évolution juridique et l’acceptation en cours. Par exemple, un instrument régional contraignant reconnaît ce droit à la fois dans ses dimensions individuelles et collectives.10Une telle pluralité de développements juridiques illustre comment la protection des droits de l’Homme évolue et s’est renforcée sur les questions environnementales. En décrivant ce droit comme un droit à un environnement sûr, propre, sain et durable, le Conseil des droits de l’Homme des Nations unies prendra en compte ces développements et permettra d’atteindre un terrain d’entente entre les États qui facilitera l’échange d’expériences et la clarification des obligations découlant du droit de l’environnement et de celui des droits de l’homme.
Les droits de l’Homme et le droit international de l’environnement partagent des principes fondamentaux. Les deux reconnaissent le principe de « ne pas nuire ». Tous deux reconnaissent les principes d’accès à l’information et de participation du public à l’élaboration et à la mise en œuvre des politiques. Les deux appliquent le principe de l’équité intergénérationnelle. Les deux appellent à la protection des ressources naturelles et des écosystèmes sur lesquels les générations présentes et futures comptent à égalité pour la pleine jouissance de leurs droits de l’Homme et la réalisation des Objectifs de développement durable. Toutes seront renforcées par la reconnaissance universelle d’un droit de l’homme à un environnement sain.
Une justice, des politiques et des performances environnementales renforcées
En comblant cette lacune flagrante dans l’architecture du droit international des droits de l’Homme, la reconnaissance par le Conseil des droits de l’Homme du droit à un environnement sûr, propre, sain et durable jouera un rôle crucial dans la réalisation de la justice environnementale des communautés exposées à des environnements dégradés, menaçants ou dangereux. La reconnaissance de ce droit fournira un fondement pour le renforcement des politiques et de la législation environnementales des États, apportant un soutien et une légitimité plus larges et améliorant ainsi leur performance environnementale. Des recherches 11ont montré que la reconnaissance de ce droit conduit à de meilleurs résultats environnementaux, y compris un air plus pur, un meilleur accès à l’eau potable et à une alimentation saine et diversifiée, et une réduction des émissions de gaz à effet de serre, qui sont tous nécessaires pour garantir la jouissance de nombreux droits de l’Homme. De plus, comme l’a souligné le rapporteur spécial des Nations unies sur les droits de l’homme et l’environnement, « un climat sûr est un élément vital du droit à un environnement sain et est absolument essentiel à la vie et au bien-être humains. » [12] La reconnaissance de ce droit par le Conseil des droits de l’homme contribuera à souligner l’urgent besoin d’une action climatique efficace.
Un droit déjà reconnu pour les peuples autochtones et pour les paysans et autres personnes travaillant dans les zones rurales
Depuis de nombreuses années, les peuples autochtones du monde entier ont attiré l’attention sur le niveau de dégradation de l’environnement et sur les conséquences d’un développement non durable, dont ils ont souffert de manière disproportionnée et injustifiable. Ils se sont battus pour des modèles sociaux et économiques centrés sur le bien-être des personnes et de la planète. Le Conseil des droits de l’Homme des Nations unies, suivi de l’Assemblée générale des Nations unies, a reconnu la relation particulière des peuples autochtones à leur terre et à leur environnement, dans l’article 29 de la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones (UNDRIP): « Les peuples autochtones ont le droit à la conservation et à la protection de l’environnement et de la capacité de production de leurs terres ou territoires et ressources. » [13]
Pour les paysans et les travailleurs agricoles, le Conseil des droits de l’Homme des Nations Unies, suivi de l’Assemblée générale des Nations unies en 2018, a également reconnu le droit à un environnement sain à l’article 18 de la Déclaration des Nations unies sur les droits des paysans (UNDROP): « Les paysans et d’autres personnes travaillant dans les zones rurales ont droit à la conservation et à la protection de l’environnement et de la capacité de production de leurs terres, ainsi que des ressources qu’elles utilisent et gèrent. »14Rendre ce droit universel l’étendra à tous et contribuera non seulement à réduire la pression sur les écosystèmes dont ils dépendent, mais renforcera également la capacité des Peuples Autochtones, ainsi que des communautés locales et rurales, à identifier des solutions pour la restauration de l’environnement et la protection de l’intégrité des écosystèmes naturels, en accord avec les droits de l’Homme. » [15]
Une protection et capacité à agir renforcées des personnes particulièrement affectées
Le Conseil des droits de l’homme a clairement reconnu que l’égalité de genre et l’autonomisation des femmes et des filles sont importantes pour la sauvegarde de l’environnement, étant donné le rôle que jouent les femmes et les filles en tant que gestionnaires des ressources naturelles et agents de changement.16Ellessont généralement confrontées à des risques plus élevés et à des charges plus lourdes par la dégradation de l’environnement et le changement climatique en raison des inégalités préexistantes entre les genres et des formes croisées de discrimination17, et parce que, entre autres raisons, une majorité d’entre elles dépendent des ressources naturelles pour leurs moyens de subsistance. Les femmes et les filles jouent un rôle essentiel dans la réponse aux défis environnementaux et à la crise climatique, notamment avec leur éthique de soins, leur connaissance des ressources durables et leur leadership dans les pratiques durables. L’égalité de genre et le rôle des femmes et des filles seront renforcés par la reconnaissance universelle de ce droit.
Le Conseil des droits de l’homme a souligné que les défenseurs environnementaux des droits de l’homme devaient bénéficier d’un environnement de travail sûr et propice à leurs activités, «en reconnaissance de leur rôle important d’aide aux États à s’acquitter de leurs obligations».18La reconnaissance universelle de ce droit renforcera encore la légitimité de leurs efforts et soulignera le rôle clé qu’ils jouent pour garantir que les États protègent efficacement l’environnement tout en respectant, protégeant et réalisant tous les droits de l’homme. Elle exhortera également les États à protéger les enfants, les jeunes et les adultes défenseurs environnementaux des droits de l’homme contre des niveaux extrêmement élevés de menaces et d’attaques.
Les enfants sont particulièrement vulnérables aux dommages environnementaux. Plus d’un quart des décès d’enfants de moins de cinq ans chaque année -environ 1,7 sur 5,9 millions -sont attribuables à des causes environnementales, largement évitables. Des millions d’autres souffrent d’impacts irréversibles et permanents. La mobilisation mondiale actuelle menée par les enfants et les jeunes pour l’environnement et contre les impacts croissants de la crise climatique met tous les gouvernements au défi d’honorer les engagements qu’ils ont pris et de faire en sorte que les jeunes générations puissent jouir d’un environnement naturel équivalent à celui dont les générations précédentes ont bénéficié.
Comme l’a reconnu le Conseil des droits de l’homme19, les incidences sur les droits de l’homme des dommages environnementaux sont ressenties de la manière la plus aiguë par celles et ceux qui sont déjà dans des situations de vulnérabilité. Alors que de plus en plus de personnes souffrent de dégradations environnementales, ces situations peuvent concerner des enfants, des jeunes, des personnes âgées, des femmes, des LGBTQI +,des personnes handicapées, des Peuples Autochtones et des communautés locales, des personnes d’ascendance africaine, des minorités, des paysans, des pêcheurs, des éleveurs, des travailleurs, des personnes vivant dans la pauvreté, des personnes en détention, celles de territoires occupés, des migrants, des réfugiés et des personnes déplacées. La reconnaissance universelle du droit à un environnement sûr, propre, sain et durable renforcera le rôle des personnes en situation de vulnérabilité en tant que titulaires de droits et en tant qu’agents de changement en matière d’environnement.
Le renforcement de la coopération internationale
La coopération internationale est essentielle pour faire face aux problèmes de dégradation de l’environnement, tels que la crise climatique, par exemple. La reconnaissance universelle du droit à un environnement sain fournira le cadre nécessaire pour renforcer la coopération internationale, notamment en encourageant une assistance technique accrue et le renforcement des capacités en matière d’environnement. Elle offrira des orientations, encouragera le renforcement des capacités et consolidera un terrain d’entente lors de la gestion des effets globaux découlant de problèmes environnementaux. Elle renforcera également les efforts existants pour assurer la responsabilisation des sociétés transnationales et autres entreprises commerciales quant à des dommages environnementaux.
Un droit qui doit désormais devenir universel
En tant qu’organe intergouvernemental prééminent de défense des droits de l’homme, chargé de renforcer la promotion et la protection des droits de l’homme dans le monde et de prévenir et combattre les violations des droits de l’homme, le Conseil des droits de l’homme a la responsabilité unique de traiter et prévenir les graves menaces pour les droits de l’homme que représente la dégradation de l’environnement. Par conséquent, conformément au rôle essentiel du Conseil dans le développement normatif, nous exhortons tous les États à soutenir l’adoption rapide d’une résolution au Conseil des droits de l’homme, reconnaissant que nous avons tous le droit à un environnement sûr, propre, sain et durable.
*Le terme «droits de l’homme» fait ici référence à la dénomination officielle utilisée en français par les Nations Unies, ceci afin d’éviter toute erreur d’interprétation. Son usage n’équivaut toutefois à aucune validation. Notons que certains Etats et nombres d’organisations préfèrent employer des termes épicènes, comme, par exemple, «droits humains», «droits fondamentaux» ou «droits humains fondamentaux», afin que la dénomination de ce droit reflète la pleine égalité en dignité et en droit qui fonde son contenu, notamment l’égalité entre femmes et hommes.