Lettre ouverte aux parlementaires
Paris, le 3 novembre 2016
Madame, monsieur,
Une des rares avancées de la loi du 7 mars 2016 relative au droit des étrangers en France a consisté à rétablir l’intervention du Juge des libertés et de la détention (JDL), après deux jours de rétention administrative. En 2011, la loi Besson avait retardé cette intervention jusqu’au cinquième jour de rétention, privant ainsi une grande part des personnes enfermées du contrôle de ce juge. Ce retour au délai de quarante-huit heures doit s’appliquer à toute la France ce 1er novembre 2016.
La rapidité de l’intervention de ce juge est primordiale pour les personnes enfermées : garant des libertés individuelles, il décide de l’opportunité de prolonger l’enfermement initialement décidé par le préfet et vérifie si les droits ont été respectés en amont, de l’interpellation à l’arrivée au centre de rétention.
En mars, les député-e-s amendaient donc le projet de loi du gouvernement pour imposer le retour au délai de deux jours, marquant ainsi leur opposition à un recul des droits hérité de la présidence de Nicolas Sarkozy et ouvertement justifié à l’époque par la volonté d’expulser davantage en contournant les juges.
Ce sont pourtant ces mêmes député-e-s qui, avec un avis favorable du gouvernement, viennent d’adopter un amendement en première lecture du projet loi relatif à l’égalité réelle outre-merexcluant Mayotte du bénéfice de ce dispositif : les personnes retenues ne seraient présentées au JLD qu’après cinq jours de rétention.
Les arguments avancés sont de ceux qui, classiquement, tiennent Mayotte à l’écart de l’égalité réelle avec les autres départements français.
D’abord, le Tribunal de grande instance ne disposerait pas des effectifs suffisants. Si ce constat est exact, il incombait à l’Etat d’y remédier avant le 1er novembre, date d’entrée en vigueur du dispositif ; à défaut, il convient de doter ce tribunal des moyens dont il manque, plutôt que de supprimer des droits à Mayotte.
Ensuite, la « pression migratoire » serait telle que la nécessité d’expulser justifierait de renoncer au droit à un contrôle judiciaire de la rétention garanti par notre Constitution. Pourtant, c’est bien à Mayotte que les expulsions sont les plus nombreuses et les plus rapides et que les droits sont le plus massivement susceptibles d’être violés sans un contrôle judiciaire effectif[1].
Nos organisations demandent aux parlementaires de ne pas abdiquer le principe d’égalité et de s’opposer à cette nouvelle tentative d’introduire un droit d’exception en outre-mer.
Recevez, madame, monsieur, nos salutations distinguées.
Migrants Outre-Mer (MOM) :
ADDE (Avocats pour la défense des droits des étrangers), AIDES, CCFD (Comité catholique contre la faim et pour le développement), La Cimade, Collectif Haïti de France, Comede, GISTI (Groupe d’information et de soutien des immigrés), Elena, FASTI (Fédération des associations de solidarité avec tou-te-s les immigré-e-s), LDH (Ligue des droits de l’Homme), MDM (Médecins du monde), MRAP (Mouvement contre le racisme et pour l’amitié entre les peuples), OIP (Observatoire international des prisons).
Observatoire de l’enfermement des étrangers (OEE) :
ACAT (Action des Chrétiens pour l’Abolition de la Torture), ANAFE (Association nationale d’assistance aux frontières pour les étrangers), ADDE (Avocats pour la défense des droits des étrangers), Comede, Droits d’urgence, FASTI (Fédération des associations de solidarité avec tou-te-s les immigré-e-s), GISTI (Groupe d’information et de soutien des immigrés), Genepi, La Cimade, LDH (Ligue des droits de l’Homme), MRAP (Mouvement contre le racisme et pour l’amitié entre les peuples), Observatoire citoyen du CRA de Palaiseau, Revue Pratiques, SM (Syndicat de la magistrature), SMG (Syndicat de la médecine générale), SAF (Syndicat des avocats de France).
[1] La préfecture y expulse 15 à 20 000 personnes chaque année, soit davantage que dans tous les départements métropolitains, dont 4 à 5 000 enfants.