Par Arié Alimi, membre du Comité central de la LDH
Dans la nuit du 13 au 14 novembre 2015, le Président François Hollande décrétait l’état d’urgence. Il sera prolongé cinq fois par les parlementaires jusqu’au 15 juillet 2017. L’état d’urgence résulte d’une loi du 3 avril 1955 qui le fera entrer en vigueur pour la première fois sur le territoire d’Algérie à l’issue des événements de la Toussaint Rouge. Il sera plusieurs fois voté au cours des événements de la guerre d’Algérie, notamment à l’issue du Putsch des généraux partisans de l’Algérie Française.
Le 8 février 1962, une manifestation interdite par arrêté préfectoral de Maurice Papon, pris sur la base de l’état d’urgence conduira à la mort de neuf personnes à la station de métro Charonne. L’état d’urgence est un état d’exception légal qui permet au ministère de l’Intérieur et aux préfets de prendre des mesures attentatoires à de nombreuses libertés publiques en cas de péril imminent résultant d’atteintes graves à l’ordre public. Depuis plus de vingt mois, les prolongations de cette mesure ont toutes été motivées par la persistance de la menace terroriste. Ainsi, les préfets peuvent instaurer des couvre-feux, instituer des zones de protection ou de sécurité où le séjour des personnes est règlementé, autoriser des contrôles d’identité, la fouille des bagages et la visite de véhicules, ordonner la remise des armes de catégorie B et C, ordonner la fermeture de salles de spectacles, débits de boissons ou lieux de réunion, interdire des manifestations, ordonner des perquisitions de jour comme de nuit, accéder aux données numériques, les saisir si elles révèlent un contenu lié à la menace et les exploiter éventuellement sous le contrôle du juge administratif. Enfin, l’état d’urgence permet au ministre de l’intérieur d’assigner à résidence toute personne dont il considère que le comportement constitue une menace pour la sécurité et l’ordre publics. Ces assignations à résidence peuvent contraindre une personne à résider en un même lieu plus de douze heures d’affilée dans la même journée et la contraindre à se signaler au commissariat jusqu’à trois fois par jour.
L’arsenal conféré au pouvoir exécutif sans le contrôle de l’autorité judiciaire pourtant constitutionnellement garant des libertés individuelles est massif. Pendant sa campagne présidentielle, Emmanuel Macron avait annoncé que l’état d’urgence ne pouvait être indéfiniment prorogé, il a déclaré dès après son élection qu’il le ferait proroger une dernière fois jusqu’au mois de novembre 2017. Le 7 juin 2017, le journal Le Monde publiait le texte d’un projet de loi visant à intégrer l’essentiel des mesures de l’état d’urgence dans le droit commun. L’état d’exception deviendrait ainsi la règle. Le 21 juin 2017, le Conseil d’Etat rendait un avis très critique sur ce projet de loi même s’il en validait le principe, en intégrant une approbation de certains actes par un juge judiciaire, le Juge de la liberté et de la détention.
Le terrorisme est une dramatique réalité qui a conduit à la mort violente et indistincte de nombreux Français, de tous âges, dans des conditions qui ont inspiré un profond traumatisme non seulement aux victimes, à leurs familles et proches mais au-delà à tous nos concitoyens. Cette réalité doit-elle nous conduire à accepter une transformation radicale de notre Etat de droit ? Et ce, alors que les chiffres de procédures antiterroristes ouvertes sur la base des mesures de l’état d’urgence sont anecdotiques en comparaison des procédures judiciaires antiterroristes ? Alors que du vice-président du Conseil d’Etat, en passant par l’ancien ministre de la Justice jusqu’à notre président de la République actuel, tous reconnaissent l’inefficacité de l’état d’urgence dans la lutte contre le terrorisme, doit-on accepter de voir l’équilibre si délicat de la séparation des pouvoirs établi au fil de l’histoire, balayé par un exécutif disposant déjà d’un pouvoir législatif largement acquis ? Le transfert des pouvoirs exorbitants du judiciaire vers l’exécutif et le juge administratif ne risque-t-il pas, par extension progressive, de transformer notre Etat de droit en Etat policier comme plusieurs syndicats de magistrats l’ont eux-mêmes affirmé ? Une seule chose est établie : ce ne sont plus de simples défis, mais de véritables combats principiels auxquels tous les défenseurs des droits de l’Homme sont dès aujourd’hui confrontés.