Objet: Visite officielle de M. le Président de la République du Congo Brazzaville
Monsieur le Président,
La Fédération internationale des ligues des droits de l’Homme (FIDH) et la Ligue française des droits de l’Homme et du Citoyen (LDH) entendent exprimer leurs très vives préoccupations concernant la visite en France et les conditions dans lesquelles celle-ci se déroule, d’une délégation des plus hautes autorités de la République du Congo Brazzaville conduite par son Président, M. Sassou Nguesso.
En effet, des plaintes ont été déposées depuis le mois de décembre 2001 par des rescapés des massacres de 1999 au « Beach » de Brazzaville, lesquels se sont constitués parties civiles, de même que la FIDH et ses affiliées française et congolaise en coopération avec le Collectif des Parents des Disparus du Beach, la Fédération des Congolais de la Diaspora et Survie.
Une instruction, confiée à deux juges du Tribunal de Grande Instance de Meaux, est en cours.
La FIDH et la LDH tiennent à rappeler qu’en l’espèce les juridictions françaises sont compétentes pour connaître notamment des crimes de torture, quelle que soit la nationalité de leur auteur et le lieu d’accomplissement des crimes, en vertu de l’article 689.2 du code de procédure pénale, à condition que la personne présumée auteur du crime soit trouvée sur le territoire français au moment du dépôt de la plainte.
Tel était le cas du Général Norbert Dabira, localisé en France ; tel sera le cas du Président de la République du Congo Brazzaville à compter de son arrivée en visite officielle sur le territoire français, ainsi probablement que d’autres responsables congolais visés par la plainte et susceptibles de faire partie de la délégation à l’occasion de cette visite.
La FIDH et la LDH s’étonnent d’autant plus de l’accueil que vous réservez à cette délégation, que certains membres de celle-ci ont récemment justifié de leur soustraction à la justice française au motif fallacieux de son incompétence et multiplié les manœuvres dilatoires aux fins de faire obstacle au déroulement de la procédure judiciaire en France.
En effet, il faut rappeler que les autorités congolaises, après trois ans d’inertie sur les dits évènements des « Disparus du Beach » ont récemment enjoint l’Inspecteur général des armées M. Norbert Dabira de ne pas répondre à la seconde convocation des juges d’instruction français. Elles ont, pour justifier cette mesure, argué de l’ouverture d’une procédure judiciaire au Congo Brazzaville dans ledit dossier, dont on ne peut manquer de souligner le caractère de pure opportunité à des fins évidentes de diversion, et annoncé une saisine de « la Cour internationale de la Haye pour engager une procédure de dessaisissement du Tribunal de grande Instance de Meaux ».
La contre-offensive engagée en réaction à l’instruction en cours en France ne peut tromper personne. Elle ne vise, en réalité, qu’à garantir aux auteurs des très graves crimes perpétrés en 1999 l’impunité dont ils avaient depuis lors bénéficié.
Dans ces conditions, la FIDH et la LDH, aux côtés des victimes rescapées, ne peuvent qu’exprimer leur stupéfaction et leur indignation de voir accueillir – avec les plus grands honneurs – des personnalités dont la justice française dans son indépendance et sa sérénité, est en train de déterminer, s’ils sont, comme nous l’alléguons, les auteurs des crimes les plus graves.
Nous ne vous cachons pas en outre notre surprise en apprenant, sauf démenti officiel, qu’actuellement certaines autorités publiques françaises et en particulier la Chancellerie travaillent conjointement sur cette plainte avec leurs homologues congolais.
La FIDH et la LDH sont enfin particulièrement préoccupées par la forte portée symbolique d’un tel accueil de ces visiteurs, qui ne manque pas de démontrer la prédominance manifeste des considérations politiques sur l’administration de la justice pourtant garante des libertés et des droits de l’homme dont la France se prévaut sur la scène internationale.
En vous remerciant de l’attention que vous porterez à la présente correspondance, nous vous prions d’agréer, Monsieur le Président, l’assurance de notre plus haute considération.
Sidiki KABA, Président de la FIDH et Michel TUBIANA, Président de la LDH
Paris, le 17 Septembre 2002