Lettre ouverte de plusieurs organisations dont la LDH
Mesdames les députées, Messieurs les députés,
Le 10 septembre 2018, le Parlement adoptait la loi dite « loi pour une immigration maîtrisée, un droit d’asile effectif et une intégration réussie». Alors que l’enjeu de l’enfermement administratif des enfants avait émergé des débats, vous vous étiez engagés à élaborer une proposition de loi pour y mettre un terme.
Un an a passé depuis. Un an pendant lequel l’enfermement d’enfants en centre de rétention administrative et en zone d’attente a continué de se développer. En 2018, 1221 enfants ont été enfermés en rétention à Mayotte et 208 dans l’hexagone. 232 mineurs isolés ont été placés en zone d’attente la même année (77 d’entre eux ont été refoulés). Or les résultats de vos travaux ne sont toujours pas publics et nous craignons aujourd’hui que ne soit jamais déposée la proposition de loi que vous vous étiez engagés à rédiger.
Depuis début 2019, l’absence d’une nouvelle loi protectrice a pourtant condamné 152 mineurs isolés à être maintenus en zone d’attente et 236 enfants supplémentaires à souffrir de la rétention (pour la seule métropole). Ils s’ajoutent aux 37 603 enfants qui ont été enfermés en rétention depuis 2010, du fait du statut migratoire de leurs parents, et qui resteront durablement traumatisés par cette expérience. Âgés pour la plupart de moins de 6 ans, confrontés à une situation angoissante où leurs parents ne sont pas en mesure de les protéger et de les sécuriser, ces enfants subissent des traumatismes psychiques de long terme.
Un an que la situation dans les centres de rétention empire: taux d’occupation en hausse, allongement de la durée de rétention, multiplication des suicides, des automutilations, des grèves de la faim, des émeutes ou des tentatives d’incendie. Pour preuve, le signal d’alarme lancé par les associations au début de l’été.
Un an que les drames s’accumulent : en mai dernier, une jeune fille de 16 ans enfermée au Mesnil Amelot a tenté de mettre fin à ses jours en avalant des pièces de monnaie. Le mois dernier, ce sont des enfants de 1 et 6 ans qui y ont été privés de liberté. Pas plus tard qu’il y a trois semaines, Aicha, 4 ans, est restée enfermée seule pendant 3 jours, avec de la fièvre et une otite, dans la zone d’attente de l’aéroport d’Orly et la semaine dernière 6 mineurs de 15 à 17 ans ont été maintenus en zone d’attente de Marseille après avoir traversé la méditerranée dans un container et manqué d’y suffoquer.
Dernièrement, plus de 170 000 personnes ont montré leur opposition à l’enfermement des enfants en signant la pétition de la Cimade ou en soutenant la campagne #VousAvezLaClé. Une mobilisation qui a notamment permis de rendre visibles les conditions insupportables de rétention au Cra du Mesnil Amelot, de rencontrer le préfet qui a placé le plus d’enfants en rétention l’année dernière et d’interpeller le Ministre de l’Intérieur. Une certitude : tant que l’enfermement administratif des enfants et des familles ne sera pas proscrit par la loi, les préfets continueront de l’utiliser, même par « commodité ».
En cette année de trentième anniversaire de la Convention des droits de l’enfant, et compte tenu de l’examen prochain par le Comité des droits de l’enfant des Nations unies de la situation en France, c’est le moment de mettre enfin un terme à cette pratique. Le Comité l’a rappelé à maintes reprises : le fait d’enfermer un enfant au motif du statut migratoire de ses parents est toujours contraire à l’intérêt supérieur de l’enfant et constitue une violation de ses droits. Cette position est d’autant plus pertinente lorsqu’un enfant se présente seul aux frontières.
Mesdames les députées, Messieurs les députés, vous avez su faire en sorte que cette question fondamentale émerge des débats et fasse l’objet d’un travail approfondi. Il est temps désormais de transformer cette opportunité en mesure concrète pour des centaines de jeunes enfants et d’adolescents. Votre responsabilité est grande. Nos associations espèrent que vous saurez l’assumer et déposer enfin la proposition de loi qui permettra de mettre un terme définitif à l’enfermement administratif des enfants en France.
Signataires : Sébastien Lyon, directeur général de l’Unicef France; Alexandre Moreau, président de l’Anafe; Christophe Deltombe, président de la Cimade; Christelle Mézières, directrice de l’ASSFAM groupe SOS-solidarité; Katia Dubreuil, présidente du syndicat de la magistrature; Florent Gueguen, directeur général de la Fédération des acteurs de la solidarité; Patrick Doutreligne, président de l’Uniopss; Véronique Fayet, présidente du Secours catholique – Caritas France; Jean François Quantin, co-président du Mrap; Joran Le Gall, président de l’Anas; Bernadette Forhan, présidente de l’Acat; Cécile Coudriou, présidente d’Amnesty international France; Philippe de Botton, président de Médecins du monde; Malik Salemkour, président de la Ligue des droits de l’Homme; Colette Duquesne, présidente de DEI-France
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Le 6 novembre 2019