Lettre ouverte sur la politique de la France menée à l’égard de la Chine

Paris, le 1er avril 2016

 

Monsieur le Ministre,

À l’occasion de votre nouvelle prise de fonction et sachant l’importance que vous accordez au respect des droits de l’Homme, aussi bien comme magistrat élu de Nantes que comme ministre, nous tenons à vous exprimer les inquiétudes que suscite en nous la politique menée depuis des années à l’égard de la Chine.

Le 22 octobre 2013, la Ligue des droits de l’Homme a demandé à votre prédécesseur que le gouvernement français ne soutienne pas la candidature de la Chine au Conseil des Nations unies pour les droits de l’Homme « compte tenu des violations répétées et continues que le gouvernement de ce pays commet au fil des années ». La puissance économique et démographique ne suffit pas pour donner droit à arbitrer sur les droits de l’Homme. La Chine a pourtant été élue.

Nous constatons que les recommandations adressées à la Chine lors de l’Examen périodique universel, – y compris celles de la France – ne sont suivies d’aucun effet. Les pays qui les ont formulées semblent s’en contenter, comme si l’essentiel était non pas le résultat à atteindre mais la parole à prononcer. Les autorités chinoises ne peuvent que se réjouir des faiblesses exposées par leurs interlocuteurs et se sentent encouragées à ne faire aucun cas de leurs observations.

Le 23 décembre 2014, la Ligue des droits de l’Homme a adressé une lettre au président de la République à l’occasion du cinquantenaire des relations diplomatiques franco-chinoises. Elle s’y interrogeait sur les fondements et la qualité des liens noués dans le cadre du « partenariat stratégique global » décidé en 2004, au regard des espérances formulées par le général de Gaulle en 1964. Cette année du cinquantenaire fut en effet marquée par une intensification de la répression à l’encontre des militants des droits civiques, défenseurs de valeurs identiques aux nôtres et dont on ne peut que se sentir solidaire.

Cette répression, dont la lettre donnait de nombreux exemples, s’est depuis amplifiée. Elle touche les cybernautes, la presse – nationale et étrangère –, les avocats, les universitaires et les organisations non gouvernementales. Elle accompagne une concentration institutionnelle des pouvoirs sans précédent dans les mains du chef de l’Etat, chef du Parti, chef des armées et président de nombreux comités ad hoc constitués au sein du parti pour asseoir son autorité. La presse nationale, a-t-il récemment affirmé, doit être la voix du parti et ce dernier prend ouvertement la place de l’Etat. Cette évolution est dangereuse.

Elle s’exprime aussi à l’extérieur et la France ne peut y rester indifférente. Les tensions militaires s’accroissent dans le Pacifique occidental et en Asie du Sud-Est ; elles se traduisent par une course régionale aux armements qui devrait inquiéter les grandes puissances, l’Europe et les Nations unies. À tout le moins, la France pourrait s’abstenir d’y participer en respectant l’embargo sur les ventes d’armes décidé après le massacre du mouvement démocratique en 1989. Or une étude récente affirme qu’elle était le deuxième fournisseur d’armes de la Chine dans la période 2011-2015. Il nous semble préoccupant de substituer le commerce des armes à une politique de paix et de défense des valeurs universelles qui recueillerait l’adhésion enthousiaste du courant démocrate chinois.

Le gouvernement chinois ne trouve qu’avantage dans la complaisance des capitales occidentales qui font tout pour éviter qu’il perde la face et refusent voir ou de tenir compte de son expansion hégémonique. L’Europe, première puissance économique mondiale, dont la Chine a besoin pour son progrès industriel et technique, n’a pas plus à redouter de chantage économique que les Etats-Unis. Elle s’est exprimée pourtant ces dernières années lors de dialogues de routine sur les droits de l’Homme avec une discrétion et un manque de fermeté qui ne sont pas à son honneur.

Nous souhaitons que votre gouvernement se prononce avec clarté et conviction quand sont violés en Chine ces droits de l’Homme qui font partie de notre identité nationale. Nous souhaitons aussi qu’il use de son influence pour que l’Europe s’exprime avec la même netteté et sans craindre de rétorsions économiques, lesquelles ne nuiraient qu’à la Chine.

Plus précisément nous attendons de votre ministère,

1) dans son action nationale :

  • qu’il place les relations franco-chinoises dans un cadre purement interétatique et s’abstienne de parler constamment d’amitié avec un régime qui rejette ouvertement les fondements de notre vie sociale ;
  • qu’il réintègre les droits de l’Homme dans la liste des problèmes abordés dans le « dialogue de haut niveau sur les échanges humains » initié par votre prédécesseur ;
  • qu’il tienne à jour une liste des prisonniers politiques ou des prisonniers de conscience et interroge à leur sujet les autorités chinoises lors des discussions renouvelées sur les droits de l’Homme ;
  • qu’il demande leur libération sur la base des engagements pris au titre de la Déclaration universelle des droits de l’Homme, du Pacte pour les droits civiques et politiques et de la Constitution chinoise ;
  • qu’il tire des conséquences concrètes des acceptations ou des refus de la partie chinoise, faute de quoi ces discussions n’auraient aucun intérêt ;
  • qu’il respecte l’embargo sur les livraisons d’armes tant que le régime chinois n’aura pas reconnu ses responsabilités dans la sanglante répression du mouvement démocratique de 1989 et tant que ne seront pas retombées les menaces liées à la tension militaire dans la mer de Chine méridionale ;

2) dans son action extérieure :

  • qu’il redonne vigueur aux discussions sur les droits de l’Homme au niveau européen en favorisant des prises de position solidaires dans le dialogue avec la Chine, notamment dans une action concertée avec la République fédérale d’Allemagne ;
  • qu’il redonne toute son importance au Conseil des droits de l’Homme de l’ONU et exige de la Chine qu’elle réponde de façon concrète et précise aux questions posées lors de l’Examen périodique universel ;
  • qu’il exige, sous peine de nullité de la consultation, que des ONG authentiques chinoises aient la possibilité de présenter leurs observations au Conseil des droits de l’Homme, comme le prévoit la procédure de l’EPU ;
  • qu’il lutte pour le respect de l’embargo européen sur les livraisons d’armes à la Chine, tant que la direction chinoise continuera de nier le massacre de 1989 et tant que la course aux armements se poursuivra en Asie orientale ;
  • qu’il veille au respect des engagements pris par la Chine lors de la COP 21 en matière de réduction des gaz à effet de serre, alors même que ce pays prévoit d’accroître sa consommation de charbon dans les années prochaines.

Vous comprendrez que je rende publique cette lettre.

Je vous prie d’agréer, monsieur le Ministre, l’expression de ma haute considération.

 

Françoise Dumont
Présidente de la LDH

 

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