Communiqué commun signé par la LDH
Ce 20 avril 2022, la justice britannique se penchera à nouveau sur le sort de Julian Assange, le fondateur de WikiLeaks, traqué, emprisonné, torturé et menacé d’extradition aux États-Unis pour avoir révélé des informations d’intérêt général. Une persécution d’autant plus inique qu’elle est là pour l’exemple : Julian Assange incarne aujourd’hui la menace faite à nos dirigeants de devoir rendre des comptes. Une menace que les détracteurs d’Assange voudraient réduire à néant, alors qu’elle est la garantie d’une démocratie qui fonctionne correctement.
C’est en ce sens que nous avons, à différentes reprises, appelé les autorités britanniques, françaises et européennes à faire cesser la persécution de Julian Assange. C’est avec cette conviction qu’à nouveau, et au regard de l’évolution du droit de l’alerte en France et en Europe, nous renouvelons, avec urgence et insistance, notre demande aux États-Unis de retirer leur demande d’extradition ; au Royaume-Uni de libérer immédiatement Julian Assange ; et à la France de lui accorder l’asile politique.
Le fondateur de WikiLeaks fait en effet partie de ces « facilitateurs » que la directive pour la protection des lanceurs d’alerte adoptée par l’Union européenne en 2019 est venue protéger et reconnaître : ces personnes qui, selon le droit français, « aide[nt] un lanceur d’alerte à effectuer un signalement ou une divulgation ». La France s’est positionnée en fer de lance de la transposition de ce texte, le revendiquant comme un « marqueur démocratique ». Elle a élargi les possibilités offertes aux lanceurs d’alerte de divulguer leurs informations à la presse. Peut-elle dans le même temps ignorer la partition grave pour la liberté d’alerter et d’informer qui se joue outre-Manche ?
Lorsque des crimes graves ou systémiques sont commis, que les alertes ne sont pas entendues, la vertu démocratique des leaks n’est plus à prouver. Panama Papers, Implant Files, Football Leaks… Ces « fuites d’informations » ont permis de faire éclater des scandales et de soulever des débats de société majeurs qui ont fait évoluer les mentalités et – malheureusement plus rarement – les législations dans le bon sens : celui de l’éthique. Ils donnent de la matière aux journalistes d’investigation. Ils arment les citoyens pour exiger des règles du jeu plus justes et plus éthiques. Ils interpellent les dirigeants qui ne peuvent plus se dédouaner en disant qu’ils « ne savaient pas ».
Tout cela, WikiLeaks l’a préfiguré en s’attaquant, entre autres, aux crimes de guerre d’un État puissant. Pour cette raison, son fondateur, Julian Assange, se retrouve aujourd’hui sur le banc des accusés. Resterions-nous indifférents si de telles accusations étaient portées à l’encontre des personnes qui permettent de documenter ce qu’il se passe aujourd’hui en Ukraine ou avant cela, en Syrie ?
Julian Assange risque 175 ans de prison pour avoir donné à des lanceurs d’alerte la possibilité de divulguer les actes répréhensibles dont ils ont été les témoins. Ces éléments seuls invitent à la clémence. Car personne ne devrait être sanctionné pour avoir défendu l’intérêt général. Ni Julian Assange ni tous ceux qui facilitent ou portent eux-mêmes des alertes et qui, par la portée symbolique de son extradition, seraient réduits au silence.
C’est pourquoi, aujourd’hui, il nous apparaît crucial de rappeler au Royaume-Uni que ce qui se joue dans la demande d’extradition qu’elle étudiera le 20 avril n’est ni plus ni moins que le sort du droit d’alerter. Assange, WikiLeaks, les consortiums de journalistes, les associations et les médias indépendants forment un écosystème qui entoure, soutient et protège les lanceurs d’alerte ; un écosystème grâce auquel ils ne sont plus seuls et peuvent faire entendre leur voix dans l’intérêt de tous les citoyens. S’attaquer à l’une de ses composantes aussi emblématique, c’est chercher à démontrer qu’il est dangereux de dénoncer des crimes d’État et éroder ainsi un des principaux garde-fous démocratiques. C’est tenter de faire un exemple afin de décourager toutes tentatives d’alertes ultérieures.
Il n’est pas concevable que la justice britannique porte cette responsabilité et, à défaut de l’abandon des poursuites par la justice américaine, nous lui demandons donc de refuser l’extradition et de libérer sans délai M. Julian Assange.
Le 19 avril 2022
Signataires : Maison des Lanceurs d’alerte, Fédération internationale des journalistes, Informer n’est pas un délit, Syndicat national des journalistes (SNJ), Syndicat national des journalistes CGT (SNJ-CGT), Reporters sans frontières, Transparency International France, Sciences citoyennes, APESAC, L214, Sud, Recherche EPST – Solidaires, Gisti, Anticor Ligue des droits de l’Homme (LDH)