Par Daniel Boitier, groupe de travail LDH « Laïcité »
Alain Finkielkraut ouvre son dernier livre par des considérations biographiques (que sont devenus les « jeunes gens en colère de 1968 ?« ) et sociologiques sur l’état du monde : tout a changé, même le changement et d’abord l’Ecole qui sera un des objets de L’Identité malheureuse. Mais, qu’est-ce donc que cette « discordance des usages » que le philosophe propose comme clef de l’analyse de la crise que vit la France ?
Première question : quel est l’objet exact du livre ? La laïcité, la mixité, la culture générale, la démocratie, l’identité… l’immigration. Le symptôme, c’est le voile des musulmanes ; mais, ce n’est pas une affaire de laïcité : le refus du voile montre que la France n’a pas renoncé à la « tradition galante » (p. 65). Ce n’est pas non plus un problème d’égalité entre hommes et femmes (p. 53), mais si « la France défend encore, face au défi du voile islamique, la relation spécifique qu’elle a instaurée entre les hommes et les femmes« , « pourra-t-elle rester longtemps une patrie féminine si elle n’est plus une patrie littéraire ? » (p. 167). Si nous ne sommes plus la patrie de Proust, c’est que « la démocratie a eu raison de la culture générale » (p. 207) et d’abord de l’Ecole où « plus personne ne s’incline devant rien » (p. 199). C’est qu’on est passé de la France où « le peuple habitait les quartiers populaires et ses enfants entraient dans l’enseignement professionnel ou suivaient le cursus technique au lycée » à « l’ère de la diversité » (p. 122) produit « des transformations démographiques voulues par personne » (p. 214) ou de l’Europe « continent d’immigration malgré lui » (p. 21).
Seconde question : quelles réponses propose Alain Finkielkraut. Si nos maux viennent du « démon de l’universel » (p. 100), si le politiquement correct obéit à « la sacro-saint règle méthodologique du traitement social des questions ethno-religieuses » (p. 180), cessons le combat contre les discriminations et sortons du « posthumaniste » qui nous conduit « à refuser de faire le tri entre les hommes » (p. 208, mais aussi, pp. 167 et 213). Revenons à l’aidos grec comme « la réserve, la modestie, la pudeur qui naissent en nous du regard des autres« . Plus simplement contre « le répertoire des délicatesses françaises contemporaines » (Renaud Camus dénonçant nos incorrections de langage), « mettons les formes » (p. 159)… Et si cela ne suffit pas dans « cette guerre des respects » (sixième chapitre), tournons-nous vers Hobbes « qui nous aide à comprendre que la violence qui caractérise la France du XXIe siècle ne découle pas de la révolte contre les inégalités […] mais du désir d’être respecté […] de la colère suscitée par une admonestation […] un regard de travers ou un regard tout court lorsqu’il faut manifester sa soumission » ( p. 170).
Impossible de ne pas se dire que ce « malheur » dans l’identité dont nous parle l’ex-jeune homme en colère est le produit de ce regroupement familial, de cette immigration subie qui a amené dans le pays de la courtoisie, ces jeunes ensauvagés qui ignorent nos codes et introduisent dans la belle unité française « la discordance des usages« . Les citations de Péguy, de Simone Weil , les détours littéraires ne sauvent pas le livre d’Alain Finkielkraut de cette trivialité.
L’Identité malheureuse
Alain Finkielkraut
Stock, 2013
19,50 euros