Lorsque des décisions ministérielles d’interdiction d’entrée et de séjour sur le territoire français sont prises au soutien de l’interdiction préfectorale de manifester contre le projet de liaison ferroviaire entre Lyon et Turin, la LDH se mobilise.
Le projet de liaison ferroviaire entre Lyon et Turin s’inscrit dans l’axe prioritaire du réseau transeuropéen des transports. Confié à la société Lyon-Turin ferroviaire, il concentre les projets les plus coûteux en raison du franchissement des Alpes et Préalpes françaises.
La pertinence d’un tel projet est mise en doute non seulement par les associations dédiées à la préservation de l’environnement, mais également par la Cour des comptes.
Aussi, une grande manifestation des opposants au chantier de la ligne ferroviaire entre Lyon et Turin est alors prévue le week-end du 17 et 18 juin 2023. Le 15 juin 2023, le préfet de Savoie l’interdit à raison « de risques de débordements ».
Une dizaine d’organisations ayant déclaré la manifestation, associations, partis politiques et syndicats réunis ont alors introduit un référé-liberté contre l’arrêté d’interdiction de manifester. La LDH (Ligue des droits de l’Homme) a décidé d’intervenir volontairement au soutien de cette requête.
C’est dans ce contexte que de nombreuses personnes ont franchi la frontière afin de participer à un rassemblement, prévoyant notamment la tenue de débats, suivis d’une manifestation exprimant l’opposition de plus d’une dizaine de partis politiques et associations à la construction de la ligne Lyon-Turin, les 16, 17 juin et 18 juin 2023 sur le territoire de la commune de La Chapelle, où les rassemblements n’étaient pas interdits.
C’était sans compter sur les contrôles des forces de l’ordre françaises au Col du Mont-Cenis, contrôles à l’issue desquels une vingtaine d’arrêtés ministériels d’interdiction administrative – prenant fin le 22 juin 2023 – et de décisions de refus d’entrée sur le territoire français ont été notifiés à des ressortissants italiens venus manifester.
Il convient de préciser que l’interdiction administrative du territoire a été créée par la loi du 13 novembre 2014 renforçant les dispositions relatives à la lutte contre le terrorisme, qui vise à empêcher l’entrée sur le territoire français de personnes à l’encontre desquelles il existerait des informations crédibles permettant de croire qu’il existe des motifs crédibles et raisonnables selon lesquels les intéressés chercheraient à entrer sur le territoire français dans un but terroriste.
Une vingtaine de recours en annulation contre ces décisions d’interdiction administrative et de refus d’entrée sont donc introduits. Le 26 février 2023, la LDH intervient volontairement au soutien des requêtes déposées.
Le 26 mars 2024, sur une première salve de recours instruits, le tribunal administratif de Paris annule les arrêtés ministériels prononçant l’interdiction administrative du territoire ainsi que les décisions refusant l’entrée sur le territoire.
Le tribunal a en effet jugé que les seuls éléments de portée générale et relatifs à la seule manifestation des 17 et 18 juin 2023 en Savoie, produits par le ministère de l’Intérieur, ne sont pas de nature à révéler par eux-mêmes l’existence, dans le comportement personnel des requérants, du point de vue de l’ordre ou de la sécurité publics d’une menace réelle, actuelle et suffisamment grave pour un intérêt fondamental de la société au sens de l’article L. 222-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile. Le ministre de l’intérieur a fait une inexacte application de ces dispositions justifiant l’annulation de l’interdiction administrative du territoire. Par suite, l’interdiction d’entrée sur le territoire est entachée d’illégalité.
En outre, le tribunal condamne l’Etat à la réparation du préjudice moral des requérants.