Par le groupe de travail « Outre-mer »
En 2015, la France a été auditionnée, dans le cadre de l’examen de son rapport périodique concernant son observance des conventions internationales qu’elle a ratifiées, par le Comité pour l’élimination de toute forme de discrimination raciale (Cerd), le 15 mai 2015[1], et le Comité des droits de l’Homme pour les droits civils et politiques, le 10 juillet 2015[2].
Il s’est ensuivi un certain nombre de critiques et de recommandations, dont certaines concernent l’outre-mer et confortent nombre de nos analyses, dont celles publiées dans notre lettre n° 4[3]. La Ligue des droits de l’Homme y a contribué par ses rapports alternatifs, et un certain nombre de ses remarques ont été suivies par les experts indépendants qui composent les organes de contrôle des Nations unies. Elles concernent essentiellement les droits des autochtones, le droit dérogatoire en matière du droit des étrangers et la situation de Mayotte. On peut comprendre que l’ONU soit vigilante sur cette exception française qui a vu se maintenir en France des départements et collectivités d’outre-mer, témoignant d’une décolonisation incomplète, ou pire, d’une décolonisation en dehors du droit international en ce qui concerne Mayotte. Mais on est en droit de relever un paradoxe pour l’ONU dans sa dénonciation d’un accès incomplet au droit dans ce nouveau département, ce qui signifie une reconnaissance implicite du statut de Mayotte. Cette question reste sensible, comme l’a montré la réaction des Comores lors des Jeux de l’océan Indien, en août 2015[4], à La Réunion. Les athlètes comoriens ont quitté avec fracas l’île lorsque les Mahorais ont chanté l’hymne français, contrairement aux accords passés. Cette attitude n’empêchant pas, du reste, le gouvernement des Comores d’accepter de négocier avec la France un accord franco-comorien[5] sur la (non)-circulation vers Mayotte, alors que l’on sait que les eaux entre Anjouan et Mayotte sont un autre grand cimetière marin[6]. On sait aussi que l’ONU vient de se déconsidérer récemment en nommant le représentant de l’Arabie saoudite à un poste stratégique au Conseil des droits de l’Homme.
Cependant, il est positif de voir reprises dans ces recommandations de nombreuses demandes des associations et organismes français de défense des droits qui n’arrivent plus à se faire entendre dans le cadre national, comme le montre récemment le mépris du ministre de l’Intérieur à l’égard du Défenseur des droits à propos de son rapport sur Calais.
I. LES DROITS DES AUTOCHTONES
Ils sont particulièrement ciblés dans les recommandations des observations finales des comités onusiens.
On peut comprendre que l’ONU y soit attentive, car la France a toujours refusé de signer les articles des conventions internationales qui donneraient aux autochtones des droits opposables, comme la Convention 169 de l’OIT, au nom d’une incompatibilité avec l’article 1er de la Constitution. La France affirme alors, de rapport en rapport, qu’elle n’a pas besoin de signer ce texte pour traiter correctement les peuples autochtones, comme elle s’y est engagée au niveau international. Nous reviendrons sur les arguments développés à ce sujet par la LDH.
Il est donc compréhensible que les Nations unies soient particulièrement attentives à la situation des autochtones dans les départements et territoires d’outre-mer. Nous nous limiterons ici à la situation en Guyane et Mayotte, laissant à la section de Nouvelle-Calédonie le soin d’examiner la situation calédonienne dans un autre article de cette lettre.
Les recommandations portent sur la reconnaissance des droits fondamentaux des populations autochtones, c’est-à-dire essentiellement sur les droits collectifs.
La plus importante de ces recommandations est cependant celle faite le 15 mai 2015 par le Comité pour l’élimination de toute discrimination raciale[7], qui non seulement recommande de signer la convention 169 de l’OIT, mais émet un avis contraignant dans le paragraphe 11, ce qui signifie que la France devra « l’informer dans l’année qui suit l’adoption des présentes observations finales de la suite qu’il aura donnée aux recommandations figurant aux paragraphes 4, 11 et 17 ».
Voici le paragraphe 11 :
« 11. Le Comité reste préoccupé par l’absence d’une pleine reconnaissance de l’existence des peuples autochtones dans les collectivités territoriales d’outre-mer. Il craint que cette situation soit de nature à empêcher l’État partie d’adopter les mesures les plus adéquates et les plus ciblées répondant aux préoccupations et besoins spécifiques, notamment les peuples autochtones et les personnes d’ascendance africaine, en ce qui concerne en particulier la jouissance des droits économiques, sociaux et culturels à égalité avec le reste de la population (articles 2, 5).
« Le Comité recommande à l’État partie d’envisager de revoir sa position sur la non–reconnaissance des peuples autochtones des collectivités d’outre-mer. Il recommande également à l’État partie de veiller à conduire des politiques mieux ciblées et adaptées aux besoins et à la situation spécifique de ces populations, notamment les peuples autochtones et les personnes d’ascendance africaine, afin d’assurer une égalité de traitement entre les différentes composantes de sa population, en particulier en ce qui concerne la jouissance des droits économiques, sociaux et culturels. »
Le paragraphe 12 donne de nombreux détails sur les peuples autochtones de Guyane :
« Peuples autochtones de la Guyane
« 12. Le Comité est préoccupé par : a) le fait que le droit communautaire à la terre n’est pas reconnu à ces peuples autochtones et que le régime juridique d’usage des terres ancestrales détenues et utilisées par ces communautés depuis les temps immémoriaux ne leur permet pas de mener leur mode de vie traditionnelle ; b) les nombreuses difficultés quant à l’accès à l’éducation du fait notamment de l’éloignement des centres scolaires ; c) le fait que ces populations ne jouissent pas pleinement de leurs droits au logement et rencontrent des obstacles à l’exercice de la liberté de circuler ; d) les difficultés d’accès aux services publics, notamment en matière d’état civil et de justice ; e) les conséquences négatives de l’orpaillage sur leur santé et leur environnement. Le Comité note, en outre, avec préoccupation les informations selon lesquelles les peuples autochtones ne sont pas souvent consultés sur les projets menés sur leurs territoires, notamment l’exploitation minière (art. 5).
« À la lumière de sa recommandation générale n° 23 (1997) concernant les droits des peuples autochtones, le Comité recommande à l’État partie de :
« a) Envisager la reconnaissance des droits communautaires aux peuples autochtones, en particulier le droit aux terres ancestrales détenues et utilisées par ces communautés depuis les temps immémoriaux ainsi qu’aux ressources traditionnellement utilisées par elles ;
« b) Intensifier ses efforts afin de garantir une égalité de traitement avec le reste de la population, en ce qui concerne l’accès à l’éducation notamment dans les langues de ces populations ;
« c) Faciliter et assurer la liberté de circulation de ces populations et lever les obstacles à leur accès au logement, aux services publics, en particulier à l’état civil et à la justice ainsi qu’aux soins de santé ;
« d) Trouver des solutions durables, y compris avec les pays voisins, propres à remédier aux conséquences de l’orpaillage sur la santé et l’environnement de ces populations ;
« e) Consulter et coopérer avec les peuples autochtones avant l’approbation de tout projet ayant des incidences sur l’utilisation de leurs terres ou territoires et autres ressources. »
Plusieurs remarques sont à faire sur ces recommandations du Cerd
On note d’abord que le Comité critique la non-reconnaissance des peuples autochtones par la France et met en doute la capacité de la France à mettre en œuvre une politique ciblée et efficace vis-à-vis des populations concernées, contrairement à ce qu’elle affirme. Il est remarquable que le comité s’appuie sur de nombreuses critiques faites par divers rapports, dont celui de la LDH, dans les pages 21 à 31[8], et rejoint les remarques des deux autres organismes internationaux.
Il s’agit essentiellement du refus de la France de signer la Convention 169 de l’OIT :
Dans son rapport alternatif, la LDH répond aux arguments du gouvernement contre la reconnaissance des droits collectifs et le refus de ratification de la Convention 169 de l’OIT en faisant porter son analyse sur deux points : le principe de discrimination positive reconnu par la Constitution, et les articles existant dans la Constitution qui permettent une adaptation du droit dans les outre-mer (articles 72, 73 et 75).
Il faut noter en second lieu que les critiques et les recommandations énoncées dans ces articles 11 et 12 abordent la plupart des questions évoquées dans les rapports des associations, tant dans celui de la LDH que dans celui de l’ONAG[9], Organisation des Amérindiens de Guyane.
On notera en particulier les recommandations pour la scolarisation avec une demande de réduire le trop grand éloignement des centres de scolarisation de leur lieu de vie et la nécessité de leur procurer un enseignement dans leurs langues maternelles. On notera aussi la recommandation de ne pas entraver leur liberté de circulation quand on sait que ces populations sont confrontées aux « frontières internes » mises en place par les barrages de la PAF (police aux frontières) à Iracoubo, Regina et à l’aéroport par où passent souvent ces populations de l’intérieur. Or certains sont « sans papiers ».[10]
Enfin, mention est faite de leurs difficultés d’accéder aux services publics, en particulier à un état civil, comme l’a fait remarquer la LDH dans son récent rapport de mission en Guyane.[11]
Ces recommandations des Nations unies concernant les peuples autochtones de Guyane rejoignent celles suggérées par la LDH telles qu’elles figurent dans le rapport cité ou celui pour le Pidesc (Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels) publié dans la précédente lettre sur l’outre-mer.
Une troisième remarque sur les recommandations du Comité pour l’élimination de toute forme de discrimination raciale (Cerd) en ce qui concerne la Guyane porte sur la mention qui y est faite du sort des « personnes d’ascendance africaine » qui sont associées aux peuples autochtones dans le paragraphe 11 où le comité se dit « préoccupé par l’absence d’une pleine reconnaissance des peuples autochtones et personnes d’ascendance africaine ».
La LDH a attiré à maintes reprises l’attention de l’État sur la situation de ces descendants d’esclaves qui se sont libérés dès leur arrivée sur les plantations au Surinam et dont il ne fait jamais mention dans ses rapports nationaux. Nous signalions cet oubli dans un article de la lettre 4 sur les outre-mer[12] : « celui des populations marron de Guyane que la Cour interaméricaine des droits de l’Homme reconnaît pourtant comme autochtones, dans son arrêt rendu en 2007 puis en août 2008 contre le Surinam ».
Si les termes utilisés par le comité sont « allusifs » et pourraient s’appliquer aussi aux descendants d’esclaves présents en Guyane jusqu’à l’abolition et dont les descendants sont appelés « créoles », leur mention à côté des peuples autochtones ne fait guère régner le doute. Il s’agit déjà d’un petit pas vers leur reconnaissance, pour laquelle la LDH est partie prenante.
Il y a donc actuellement à diffuser le plus possible ces recommandations.
II. MAYOTTE SOUS L’ŒIL DE l’ONU
Sans revenir sur le paradoxe signalé en introduction de ce dossier, force est de constater que Mayotte fait l’objet d’une attention particulière des organismes internationaux. Les recommandations concernant ce nouveau département tiennent une grande place, surtout en ce qui concerne le droit à la santé.
L’article 14 des recommandations du Cerd est entièrement consacré à la situation de Mayotte :
« Art 14. Le Comité est préoccupé par le fait que la fin du statut local à Mayotte aurait eu pour résultat de priver certains Mahorais de leurs droits à la santé, au logement social, à l’éducation et aurait accru les obstacles à la liberté de circulation (art 5).
« Le Comité recommande à l’État partie d’accroître ses efforts, compte tenu du nouveau statut de Mayotte, visant à ce que les Mahorais jouissent pleinement, et à égalité avec le reste de la population de l’État partie, de leurs droits sociaux, économiques et culturels, et à lever les obstacles à leur liberté de circulation. »
Cette situation fait allusion surtout à l’accès à l’état civil, rendu très difficile avec la fin de la commission de révision de l’état civil (GREC), signalée par la LDH dans son rapport alternatif[13] à propos des vingtième et vingt et unième rapports périodiques de la France.
« 144. Pour autant, à compter de la fin de la coexistence d’un statut personnel de droit local et celui de droit commun à Mayotte, il peut être relevé qu’une partie de la population, majoritairement autochtone, souffre de difficultés quant à l’obtention d’un acte d’état civil révisé.
« 145. A cet effet, l’ordonnance du 8 mars 2001[14] avait institué la commission de révision de l’état civil (CREC) dont la mission consistait à établir, pour les personnes de statut civil de droit local, un état civil de droit commun. Pour ce faire, un nom patronymique, étranger au droit coutumier, devait être attribué à chaque personne.
« 146. Le profond bouleversement de l’ordre social et juridique de Mayotte résultant de la cessation du statut personnel de droit local n’est pas sans conséquence au regard de l’accès aux droits. En effet, en l’absence d’un état civil révisé, selon les normes de droit commun, un bon nombre de Mahorais se trouvent privés de leurs droits fondamentaux, au nombre desquels figurent le droit à la santé, à l’éducation, au logement social, la liberté de circulation, l’accès à l’emploi ou aux concours, etc. De surcroît, étant dans l’incapacité d’obtenir une carte nationale d’identité française ou un passeport, à défaut d’état civil, les Mahorais peuvent être interpellés au même titre que les étrangers en situation irrégulière et se voir ainsi appliquer une mesure de reconduite à la frontière. »
L’article 19 des observations finales du Comité des droits de l’Homme[15] concerne intégralement la situation d’exception des étrangers à Mayotte pour la dénoncer dans quasiment les mêmes termes que ceux des associations[16] : le régime dérogatoire privant les personnes étrangères de la possibilité d’un recours suspensif, l’enfermement des enfants et leur rattachement arbitraire à un adulte auquel ils ne sont pas apparentés en vue de leur expulsion, l’absence de prise en charge de mineurs isolés.
« 19. Le Comité s’inquiète : a) de la situation particulièrement préoccupante des étrangers et demandeurs d’asile à Mayotte, dont beaucoup sont des mineurs isolés ; de l’introduction pour le département de Mayotte de normes et de procédures excessivement restrictives en matière d’asile et de séjour par le biais d’un régime dérogatoire au Code de l’entrée et de séjour des étrangers et du droit d’asile (Ceseda) ;
c) des informations selon lesquelles, à Mayotte, des mineurs isolés seraient parfois rattachés à des adultes qu’ils ne connaissent pas pour permettre leur expulsion du territoire ; d) que des mineurs isolés continuent à être maintenus en zone d’attente pour une durée pouvant aller jusqu’à 20 jours ; e) du fait que des mineurs accompagnés de leurs parents soient encore régulièrement placés dans des centres et locaux de rétention administrative ; f) du délai d’intervention du juge des libertés et de la détention qui prive la plupart des étrangers retenus d’un contrôle de la légalité de leur placement en rétention ou du maintien en zone d’attente et de leurs conditions de rétention (articles 7, 9, 10 et 13).
« L’État partie devrait : a) revoir le régime dérogatoire appliqué au département de Mayotte afin d’assurer aux étrangers et demandeurs d’asile les mêmes garanties que celles offertes en métropole ; b) interdire toute privation de liberté pour les mineurs en zone de transit et dans tous les lieux de rétention administrative en métropole et en outre-mer ; c) s’assurer que les mineurs isolés étrangers reçoivent une protection judiciaire et le soutien de l’aide sociale à l’enfance ; d) veiller à ce que le contrôle du juge judiciaire intervienne avant toute exécution d’une mesure d’éloignement ou de refoulement du territoire. »
On ne peut qu’être très inquiet sur la pérennisation de ce régime dérogatoire prévu dans la nouvelle loi Ceseda actuellement en cours de discussion au Parlement quand on voit qu’a été perdu le recours au Conseil d’État contre l’habitude de légiférer par ordonnance sur le droit des étrangers à Mayotte, alors que le recours déposé au Conseil d’État par des associations dont la LDH a été perdu : Mayotte continuera donc à échapper au débat parlementaire[17].
III. SITUATION DES ÉTRANGERS EN OUTRE-MER
Si Mayotte tient une place importante dans les recommandations de l’année 2015, l’ONU est préoccupée par les atteintes aux droits des étrangers en outre-mer, et ce dans les deux rapports :
Le Cerd mentionne dans son article 16 sur les demandeurs d’asile le caractère non suspensif du recours
« Demandeurs d’asile et mineurs non accompagnés
« 16. […] Le Comité est préoccupé par les faiblesses et les insuffisances du dispositif national d’accueil des demandeurs d’asile, notamment dans les collectivités d’outre-mer et par les conditions de vie inadéquates des migrants dans la zone de Calais. Le Comité est également préoccupé par le fait que le recours n’est pas suspensif contre une décision d’éloignement du territoire, dans certaines collectivités d’outre-mer ou centres de décision, ou contre la décision en première instance dans le cadre de la procédure prioritaire. Enfin, le Comité note avec préoccupation la possibilité de renvoi de certains mineurs non accompagnés qui arrivent sur le territoire de l’État partie (articles 5, 6).
« Le Comité recommande à l’État partie d’envisager un effet suspensif du recours contre les décisions prises en première instance sur les premières demandes d’asile sur tout le territoire, y compris dans les collectivités d’outre-mer. Il recommande également à l’État partie d’améliorer les conditions d’accueil des demandeurs d’asile et des migrants. Le Comité recommande enfin à l’État partie de prêter une plus grande attention à l’accueil et à l’examen de la situation des mineurs non accompagnés, y compris en évitant leur sortie du territoire. »
L’article 18 du Comité des droits de l’Homme insiste lui aussi sur l’absence de recours suspensif en outre-mer :
« Immigrants/demandeurs d’asile
« 18. Le Comité est préoccupé par le classement automatique en procédure prioritaire de certaines demandes d’asile effectuées notamment par des personnes venant de pays dits “pays d’origine sûrs”. Il s’inquiète de ce que cette procédure prive le demandeur du droit à un recours suspensif contre un refus initial de l’office français de protection des réfugiés et des apatrides (Ofpra) et offre des garanties procédurales moindres, l’exposant ainsi à un risque de refoulement. Tout en saluant l’extension du recours juridictionnel suspensif à tous les demandeurs d’asile, prévue par le projet de loi de réforme du droit d’asile, le Comité s’inquiète des exceptions qui persisteront, notamment pour les demandeurs d’asile en outre-mer (articles 2, 6 et 7).
« L’État partie devrait veiller à ce que le placement en procédure prioritaire se fasse sur la base d’un examen individuel de chaque situation. Il devrait prendre des mesures nécessaires pour garantir en pratique un droit égal au recours suspensif et pleinement effectif pour tous les demandeurs d’asile et immigrants, notamment en garantissant l’accès à un interprète professionnel et à une assistance juridique dans les centres de rétention administrative et en zone d’attente en métropole et en outre-mer. »
Les associations ont donc été entendues par les instances onusiennes alors qu’elles ne l’ont pas été au niveau national sur ces points.
IV. AUTRES POINTS SOULEVÉS PAR L’ONU
La situation en prison est évoquée dans les recommandations du Comité des droits de l’Homme avec mention expresse de l’outre-mer.
La lettre 4 faisait mention de la situation déplorable dans les prisons d’outre-mer, notamment en Nouvelle-Calédonie[18]. L’actualité évoquée dans un autre article de cette lettre sur la révolte de juin 2015 à la prison de Remire y revient également.
« § 17 : Surpopulation carcérale
1. Le Comité salue les efforts de modernisation du parc pénitentiaire et l’adoption de la loi du 15 août 2014 relative à l’individualisation des peines et renforçant l’efficacité des sanctions pénales et le développement des aménagements de peine. Il demeure néanmoins préoccupé par la persistance de la surpopulation carcérale et l’insuffisance des aménagements de peines, en particulier dans les territoires d’outre-mer (article 10).
« L’État partie devrait poursuivre ses efforts visant à réduire la surpopulation carcérale, en portant une attention particulière aux territoires d’outre-mer et en développant les aménagements de peines. »
Les langues font aussi l’objet des recommandations du Cerd (paragraphes 9, 12 et 13), mais seules la Guyane et la Nouvelle-Calédonie sont expressément citées. Mayotte, où la population n’est pourtant majoritairement pas francophone, n’est pas citée
Enfin, le Comité pour le Cerd, dans sa recommandation 20, rappelle que l’ONU a proclamé les années 2015 à 2025 « Décennie internationale des personnes d’ascendance africaine », et le Comité recommande : « que la France prépare et mette en œuvre un programme approprié de mesures et de politiques. Le Comité demande également à l’État partie d’inclure dans son prochain rapport des informations précises sur les mesures concrètes prises dans ce cadre, en prenant en compte sa Recommandation générale n° 34 (2011) sur la discrimination raciale à l’égard des personnes d’ascendance africaine ».
Si la Ligue des droits de l’Homme ne peut que se féliciter de voir un certain nombre de ses demandes reprises par les différents organismes de l’ONU, il nous appartient de faire connaître ces recommandations et d’exercer notre vigilance pour qu’elles débouchent sur des mesures effectives.
[1] http://tbinternet.ohchr.org/Treaties/CERD/Shared%20Documents/FRA/INT_CERD_COC_FRA_20492_F.pdf
[2] https://www.justsecurity.org/wp-content/uploads/2015/07/CCPR_C_FRA_CO_5_2119
[3] http://www.ldh-france.org/peuples-autochtones-en-outre-mer-engagements-internationaux-respectes/
[5] http://www.migrantsoutremer.org/Un-projet-d-accord-franco-comorien
[6] http://www.migrantsoutremer.org/Anjouan-Mayotte-la-mer
[7]http://tbinternet.ohchr.org/Treaties/CERD/Shared%20Documents/FRA/INT_CERD_COC_FRA_20492_F.pdf
[8] http://www.ldh-france.org/transmission-dun-rapport-alternatif-ldh-au-cerd/
[10]http://www.migrantsoutremer.org/Guyane-recours-contre-le-barrage
[12] http://www.ldh-france.org/peuples-autochtones-en-outre-mer-engagements-internationaux-respectes/
[13] http://www.ldh-france.org/transmission-dun-rapport-alternatif-ldh-au-cerd/
[14] Ordonnance n° 2001-218 du 8 mars 2001 révisée par la loi pour le développement de l’outre-mer du 27 mai 2009 – Site : www.legifrance.gouv.fr
[15] https://www.justsecurity.org/wp-content/uploads/2015/07/CCPR_C_FRA_CO_5_2119
[16] http://www.migrantsoutremer.org/
[17] http://www.migrantsoutremer.org/Le-Conseil-d-Etat-valide-les
[18] http://www.ldh-france.org/prison-nouvelle-caledonie/
Le rapport alternatif de la Ligue des droits de l’Homme, extraits : la France doit ratifier la convention 167 de l’OIT
« A ce jour encore, la France refuse de ratifier cette Convention en justifiant, pour l’essentiel, de son incompatibilité avec la Constitution française du 4 octobre 1958, plus particulièrement avec ses articles 1er et 2 consacrant le principe d’indivisibilité du peuple français. A cet égard, le gouvernement français considère les populations vivant de manière traditionnelle et selon le droit coutumier sur le même plan que les autres citoyens français.
« 130. De surcroît, le second argument soulevé par la France contre la reconnaissance des droits collectifs aux peuples autochtones relève de la consécration du principe de la discrimination positive. Or, tant en droit international qu’en droit français, le concept de la discrimination positive est reconnu. Argument d’autant plus surprenant que la France a adhéré à la Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale, dont l’article 1er alinéa 4 et l’article 2 alinéa 2 prévoient la discrimination positive.
« 131. Enfin, en droit interne, dans son rapport public de 1996, le Conseil d’État indique que “la discrimination positive est une catégorie particulière de discrimination justifiée, mise en œuvre par une politique volontariste et dont l’objectif est la réduction d’une inégalité. Ainsi définies, les discriminations positives se rencontrent fréquemment en droit français”.
« 132. Face à cette attitude contradictoire, il convient de souligner qu’il y a une violation des règles de droit positif qui veulent que “les États ne sont pas admis à agir de manière contradictoire dans l’ordre international”.[1]
« 133. Toutefois, si la France ne reconnaît pas de droits collectifs aux populations autochtones d’outre-mer, elle leur reconnaît une spécificité au titre des articles 72, 73 et 75 de la Constitution de 1958. En effet, c’est par le biais du principe de spécialité législative que sont abordées la majorité des questions qui affectent la vie des communautés indigènes vivant dans les départements et les territoires d’outre-mer. A cet égard, la France a pu reconnaître occasionnellement certaines manifestations de l’identité ethnique, telles que la mise en place de structures particulières sous forme de conseils consultatifs coutumiers en Nouvelle-Calédonie ou l’institution du Statut des chefs coutumiers en Guyane[2]. Ces quelques mesures sont à bien des égards insuffisantes en ce qu’elles n’assurent pas de manière efficiente la protection des peuples autochtones.
« 134. En refusant d’inscrire les droits des peuples indigènes au rang de ses principes constitutionnels, la France maintient ces peuples dans une véritable impasse sociale, économique et culturelle. La reconnaissance des différences culturelles conditionne le principe de l’égalité des droits. Sans être constitutive de privilèges, la reconnaissance des droits collectifs des autochtones se révèle être un moyen de protection efficace face aux inégalités créées par des processus d’institution nationale. A cet égard, il convient de souligner que les emplois précaires, le chômage, l’absence de soins ou encore l’échec scolaire touchent dans une plus grande proportion les populations autochtones.
« 135. En outre, en l’absence de ratification, la France continue à éluder toute la question des droits fondamentaux des peuples indigènes indispensables à leur survie, à savoir la propriété et l’usage des terres ancestrales et des ressources, libertés civiles et politiques, transmission aux générations futures de la culture et d’une identité propre. A cet égard, les revendications des autochtones sont assez explicites : ils n’acceptent pas que leur liberté d’exercer leurs activités traditionnelles, telles que la chasse, la pêche, la cueillette ou la culture sur brûlis, et plus généralement leur droit de décider de leur propre développement, soit limitée à la notion étroite de droits résiduels de chasse et de pêche que leur applique le gouvernement. De plus, l’absence de ratification de la Convention fait perdurer les atteintes à leur vie familiale et économique eu égard à l’établissement de frontières de la Guyane au Venezuela, en passant par le Surinam et le Guyana.
« En effet, un certain nombre de familles sont dispersées d’une rive à l’autre, et il leur semble impensable de demander un visa pour justifier de leur déplacement. Aussi, la Convention 169, et plus particulièrement son article 32, permet de résoudre ce problème par la reconnaissance, aux autochtones divisés par les frontières internationales, du droit d’établir des relations transfrontalières[3].
« 136. Enfin, comme l’expriment différents rapports, dont celui de Raphaël Porteilla, la mondialisation libérale contribue à renforcer les inégalités dont sont victimes les autochtones en les maintenant dans une situation de dépendance et de marginalisation. De surcroît, elle engendre une destruction massive des conceptions de vie des autochtones, et plus particulièrement de leur écosystème, afin d’ouvrir de nouveaux domaines à la marchandisation. “De telles pratiques sont le plus souvent organisées par les pouvoirs publics ou par des entreprises multinationales, avec le consentement des autorités nationales, dans le but d’en devenir propriétaires aux fins d’exploitation et de profit. Ces pratiques, imposées de manière unilatérale, entraînent des conséquences néfastes sur la santé, l’hygiène et la salubrité du milieu aquatique, faunistique ou floristique des autochtones, ajoutant ainsi des conditions de vie encore plus précaires”[4], et ce dans le déni le plus total de leurs droits fondamentaux.
« 137. La situation des Amérindiens de Guyane en est la parfaite illustration : empoisonnement au mercure des communautés amérindiennes victimes de l’orpaillage, la pollution de près de 6 200 kilomètres de cours d’eau nécessaires à la pêche et à l’approvisionnement en eau des villages, l’installation légalement autorisée d’un grand nombre de compagnies minières ayant entraînée la destruction de 11 500 hectares de forêts tropicales pour l’activité aurifère[5].
« 138. Ainsi, par le seul fait que les autochtones ne peuvent de manière efficiente s’opposer à la nuisance de leurs sites, étant dépourvus de tout pouvoir d’autodétermination et de titres de propriété, tels qu’entendus en droit positif, la discrimination est caractérisée, et leurs droits les plus fondamentaux, tels que le droit à un environnement sain et un développement durable, sont bafoués.
« Par ailleurs, concomitamment à la destruction du fondement de leur existence spirituelle, matérielle et culturelle, les politiques d’intégration ou d’assimilation participent largement à la marginalisation et à l’exclusion des autochtones d’outre-mer, non seulement de la sphère politique, mais aussi des sphères économiques, sociales et culturelles de la France.
« 139. En persistant à être réfractaire à la reconnaissance de l’histoire, du modèle social et de la culture spécifique du peuple autochtone, et en imposant des normes juridiques qui ne leur correspondent pas, la France porte atteinte au principe de non-discrimination reconnu tant par les instruments internationaux que nationaux.
« 140. Au regard de l’ensemble de ces éléments et de la nécessaire protection du droit des peuples autochtones à conserver leurs us et coutumes dans la communauté nationale au sein de laquelle ils vivent, la France doit ratifier la Convention 169 de l’OIT, permettant ainsi à ses autochtones de vivre selon leurs propres priorités en termes de développement grâce à la consécration du pouvoir d’autodétermination impliquant un réel pouvoir d’accès, de gestion et d’administration de leurs terres et de leurs ressources naturelles, et plus largement en les plaçant au cœur des processus décisionnels et des projets qui les affectent directement. D’une manière générale, la ratification de la Convention 169 assurerait la garantie effective des droits fondamentaux des peuples autochtones, et ce comme il l’a été très justement souligné dans le rapport du séminaire des Nations unies sur les effets du racisme et de la discrimination raciale sur les relations sociales et économiques entre les peuples autochtones et les États, en 1989 : “la protection effective des droits humains individuels et des libertés fondamentales des peuples autochtones ne peut pas être réellement atteinte sans la reconnaissance de leurs droits collectifs”. »
[1] Zoller E., La bonne foi en droit international, p. 227.
[2] Tiouka A., Droits collectifs des peoples autochtones : le cas des amérindiens en Guyane française.
[3] Survival, Des droits pour les peoples indigènes – Site : www.survivalfrance.org
[4] Raphaël Porteilla, Racisme et discrimination, la position des peuples autochtones.
[5] Survival, Des droits pour les peoples indigènes – Site : www.survivalfrance.org