Lettre ouverte de la LDH adressée à Didier Le Gac, président de la Commission d’enquête parlementaire relative à la politique française d’expérimentation nucléaire
Monsieur le Président,
L’Assemblée nationale a lancé en janvier 2025 une « commission d’enquête relative à la politique française d’expérimentation nucléaire, à l’ensemble des conséquences de l’installation et des opérations du Centre d’expérimentation du Pacifique en Polynésie française, à la reconnaissance, à la prise en charge et à l’indemnisation des victimes des essais nucléaires français, ainsi qu’à la reconnaissance des dommages environnementaux et à leur réparation ».
Je ne peux que saluer la mise en place de cette nouvelle commission d’enquête, qui avait donné lieu à une première tentative au printemps 2024, mais n’avait pu aboutir, en raison de la décision par le président Emmanuel Macron de dissoudre l’Assemblée nationale.
La LDH (Ligue des droits de l’Homme) porte une attention toute particulière au respect du droit des victimes – ici celles des 210 explosions nucléaires réalisées par la France entre 1960 et 1998 – à obtenir réparation, comme à vivre dans un environnement sain. En cette année des commémorations des 80 ans de la destruction des villes d’Hiroshima et de Nagasaki, ainsi que des 40 ans du sabotage par la France du navire le Rainbow Warrior qui menait des missions de protestations contre les explosions nucléaires de la France, il est urgent de disposer d’information et d’un état des lieux sur les victimes des explosions nucléaires.
La loi Morin entrée en vigueur le 5 janvier 2010 ne semble pas répondre aux attentes des populations polynésiennes, comme algériennes, qui ont été confrontées aux conséquences sanitaires des explosions nucléaires. Le faible nombre de dossiers (2 846 selon le rapport 2023 du CIVEN, sur un total potentiel de près de 400 000 personnes ayant participé ou résidé sur les zones reconnues par la loi) déposés depuis 2010, comme celui de victimes reconnues (1026) démontrant la faiblesse des moyens accordés pour la mise en œuvre de la loi.
De même, de nombreux questionnements sont écartés par cette loi, notamment :
- L’absence de certaines pathologies (en particulier) du décret n° 2014-1049 du 15 septembre 2014 fixant au nombre de 23 les pathologies susceptibles d’être radio-induites ;
- De même, il faut constater l’absence de prise en compte de toute pathologie liée à des malformations alors que selon de nombreux témoignages, les populations du sud du Sahara se plaignent d’un nombre surélevé d’enfants nés avec des malformations ;
- Les risques transgénérationnels ;
- Les préjudices subis par les victimes « par ricochet ».
La LDH tient de plus à souligner que la France tient un double langage en direction des populations victimes des conséquences des explosions nucléaires :
- Ses votes négatifs (aux seuls côtés de la Russie, de la Corée du Nord et du Royaume-Uni) aux résolutions A/RES/78/240 (en 2023) et A/RES/79/60 (en 2024) de l’Assemblée générale des Nations unies intitulées « Le lourd héritage des armes nucléaires : assistance aux victimes et remise en état de l’environnement dans les États Membres touchés par l’emploi ou la mise à l’essai d’armes nucléaires » adoptées par une écrasante majorité des États (respectivement 161 et 174) envoie un message incompréhensible aux victimes françaises des explosions nucléaires et à la volonté de faire appliquer et avancer la loi Morin ;
- Le Rapporteur spécial sur les substances toxiques et les droits de l’homme, pour le Haut-commissariat aux droits de l’Homme des Nations unies, M. Marcos A. Orellana, a adressé en date du 13 septembre 2024 une lettre au gouvernement français (et algérien) « concernant l’impact à long terme et intergénérationnel des essais nucléaires français en Algérie». Cette lettre, selon les instruments juridiques et autres standards établis en matière de droits de l’homme, oblige à une réponse, or jusqu’à ce jour aucune communication par le gouvernement français n’a été réalisée ; venant une nouvelle fois interroger la volonté de la France d’agir en toute bonne foi.
La LDH, tout en apportant son soutien à cette nouvelle commission d’enquête, est ainsi gravement préoccupée par le manque d’action de la part des gouvernements successifs et restera attentive aux conclusions émises.
Vous comprendrez que nous ayons décidé de rendre publique cette lettre.
Nous vous prions de bien vouloir croire, Monsieur le Président, en l’expression de notre haute considération.
Nathalie Tehio, présidente de la LDH
Paris, le 31 mars 2025
Copies adressées à Mereana Reid Arbelot, rapporteure de la Commission d’enquête, et aux députées et députés, membres de la Commission d’enquête.