Tribune de Malik Salemkour, président de la LDH
De la liberté, l’égalité, la fraternité, mots qui pour beaucoup sonnent creux, il fait une boussole et trace un chemin radical, visionnaire, dans la droite lignée de la pensée des Lumières, et dans la perspective ouverte par la Déclaration universelle des droits de l’Homme de 1948.
D’aucuns mettent tant de passion et de talent au service d’une cause qu’ils en deviennent la parfaite incarnation. Michel en faisait partie. Il aura de façon stupéfiante réussi à incarner la cause des droits de l’Homme, dans sa diversité, ses évolutions complexes, ses remises en cause. Il l’aura surtout incarnée dans ses engagements et ses combats. Car c’était un combattant pugnace, intransigeant sur le fond, toujours attentif aux rapports de forces et soucieux de rassemblement. Il l’était avant de rejoindre la Ligue des droits de l’Homme en 1978, à l’âge de 26 ans. Si cette adhésion n’ajoute rien à ses convictions, elle va lui permettre de les déployer sur l’ensemble du front de la défense des droits. Au fil des ans, Michel va ainsi affronter avec détermination toutes les formes d’injustice et d’arbitraire en France et dans le monde. De la liberté, l’égalité, la fraternité, mots qui pour beaucoup sonnent creux, il fait une boussole et trace un chemin radical, visionnaire, dans la droite lignée de la pensée des Lumières, et dans la perspective ouverte par la Déclaration universelle des droits de l’Homme de 1948.
C’est cette double exigence intellectuelle et pratique, philosophique et politique qui le guide dans ses engagements, comme avocat, comme militant, comme militant du droit. C’est ainsi qu’il devient l’un des avocats de la cause des Kanaks. En Nouvelle-Calédonie, il découvre un racisme qui lui rappelle les violences d’Etat dont il avait été témoin enfant en Algérie, qu’il avait quittée en 1962, comme la majorité́ des pieds-noirs. Il assume, avec Jean-Jacques de Felice, Gustave Tehio et Alain Ottan, la défense des militants kanaks entre 1980 et 1990, et noue de solides amitiés notamment avec Jean-Marie Tjibaou. Pied à pied, il combat la justice d’exception et traduit sa conviction de l’importance de l’autodétermination des peuples et du dialogue pacifique nécessaire pour y parvenir. Après la répression meurtrière de la prise d’otages d’Ouvéa, il est un des acteurs majeurs des accords de Matignon de 1988, permettant d’imposer un règlement politique, malgré le sang versé. Il suivra ensuite les accords de Nouméa de 1998. Alors qu’est prévu un troisième et ultime référendum sur l’avenir de la Nouvelle-Calédonie en décembre prochain, Michel Tubiana, comme la section LDH locale avec laquelle il restait en contact étroit, insistait sur la nature de la paix à construire. Quelle que soit l’issue du scrutin, disait-il, il faudra agir fortement contre les inégalités sociales et les discriminations, sans quoi des tensions grèveront la paix civile et la démocratie.
Un semeur de paix par-delà les frontières
Farouche opposant des justices d’exception, particulièrement antiterroristes, dont il n’aura de cesse de dénoncer les abus et les dérives, il interviendra ainsi en Corse et au Pays basque avec le même objectif d’ouvrir des voies de dialogue et de pacification. C’est dans ce cadre qu’il accompagnera avec d’autres le désarmement volontaire et public des indépendantistes basques, agissant comme un véritable semeur de paix.
Michel effectuera sa première mission en Palestine en 1982 au titre de la LDH et de la Fédération internationale des Ligues des droits de I’Homme (FIDH), dont il deviendra un vice-président influent. C’était au moment du massacre de Sabra et Chatila. Là encore profondément marqué par cette guerre sans fin et toutes ses victimes, il persévérera à défendre le respect du droit international et des résolutions de l’ONU, le droit de chaque peuple à vivre dans des frontières stables et reconnues. Sans ignorer le déséquilibre des rapports de forces, il restait convaincu que seule une voie pacifique négociée entre les Palestiniens et les Israéliens eux-mêmes ouvrirait une solution, d’où l’énergie qu’il mettait à réunir et à faire débattre les acteurs de la société civile des deux camps. Persuadé que le combat pour la justice n’a pas de frontières, il sera l’artisan d’un grand nombre d’actions contentieuses, portées avec la FIDH, contre des dictateurs en Egypte, Syrie, Lybie, Rwanda, Colombie, contre des entreprises françaises ou multinationales, marchandes d’armes ou complices des dictateurs… Avec EuroMed Droits, qu’il présidera au titre de la Ligue française, il sera le moteur d’un dialogue et d’une solidarité féconde entre les acteurs civils des deux rives de la Méditerranée, comme un défenseur acharné de la démocratie et de ses militants.
Face à l’histoire, il est en 1994 la voix de la LDH au procès Touvier, chef de la milice de Lyon commanditaire de l’assassinat en 1944 d’un président de la LDH, Victor Basch, et de sa femme. Six mois durant, il suit le procès de Maurice Papon, expose ses responsabilités et son antisémitisme assassin. Le souvenir de cette condamnation obtenue pour crime contre l’humanité éclaire l’impunité du Maurice Papon qui, préfet de Paris en octobre 1961, sera l’ordonnateur d’une des plus meurtrières répressions qu’aient eu à subir les Algériens manifestant à Paris pour leur indépendance.
Un authentique amoureux de la liberté
Inflexible face à la haine, à ses porteurs et ses entrepreneurs, Michel était surtout un humaniste, un libertaire, un authentique amoureux de la liberté, un allié inconditionnel de ses partisans. Cela valait pour le monde comme pour la France, pour la protection de Salman Rushdie comme pour la cause des SDF et des sans-papiers, en France. Pour tous, il en appelait à « l’insurrection des consciences » face aux essentialismes – ennemis naturels des individualités et des libertés –, face au racisme et à l’antisémitisme. Défenseur d’une laïcité aux antipodes de tout esprit d’exclusion et de moralisme, il s’inquiétait encore tout récemment en ces termes des attaques qu’elle subissait : « Ce que je crains c’est que la loi sur les séparatismes ne soit pas une loi qui permette de mieux lutter contre des manifestations de terrorisme ou des manifestations de discrimination, mais que ça soit une loi de direction des consciences. Une loi qui prétend dicter la doxa : il faut que vous viviez comme ça. Il faut que vous pensiez comme ça. »
Michel nous a quitté. Trop tôt, trop vite. Il a été un dirigeant marquant de la Ligue, jusqu’à en devenir président de 2000 à 2005, puis un président d’honneur actif et éclairant jusqu’aux derniers jours. Il nous reste le souvenir attachant d’un type bourru dont les rugissements exprimaient l’impatience face aux lenteurs de l’évolution humaine et trahissaient la crainte de laisser transparaître son extraordinaire générosité. Il nous reste aussi, inséparables, les actes qu’il laisse en héritage, comme autant de cailloux semés pour marquer le chemin.
Paris, le 25 octobre 2021
Malik Salemkour, président de la LDH