Communiqué commun, dont la LDH est signataire
Quatre enfants âgés de 10 ans ont été interpelés jeudi 5 novembre 2020, soupçonnés d’avoir tenu des propos « violents » et « inquiétants » lors de l’hommage rendu dans leur classe à Samuel Paty. Ils ont été retenus pendant neuf heures au commissariat d’Albertville. Ailleurs, à Strasbourg, deux enfants de 12 ans sont visés par une enquête pénale.
Ces actions interrogent profondément sur leurs sens et leur portée éducative à l’égard de ces enfants subissant un traitement particulièrement violent et traumatisant.
Ainsi le fait de garder des enfants de 10 ans (voire moins) en retenue au poste de police pendant une journée est purement scandaleux et inacceptable…Que dire encore de l’intervention des policiers au petit matin chez une famille, pour chercher une enfant de 10 ans et l’interroger pendant 9 heures pour des propos aussi choquants soient-ils, prononcés en classe ?
Il ne fait aucun doute que les propos tenus doivent être désapprouvés et repris dans le cadre d’un travail éducatif et pédagogique. Mais, face à des mots d’enfants, l’institution et les forces de police ont dérapé, utilisant des moyens et des procédures proches de celles réservées aux adultes et sans tenir compte des spécificités inhérentes à leur âge, de leur impossibilité à penser l’impensable et à se projeter dans une mécanique judiciaire qui leur reste incompréhensible.
En effet, comment imaginer qu’un enfant, dont la maturité psychique est en construction, puisse faire preuve de suffisamment de discernement face à une situation aussi déstabilisante et complexe ? Une approche spécialisée et éducative, toujours prévue dans la loi, aurait dû être enclenchée car elle est la mieux à même de mesurer à quel point cet enfant a ou non conscience de ses propos et dans quel contexte familial, sociétal, ils sont prononcés.
Aujourd’hui nous faisons le constat que l’esprit de la justice pénale des mineurs en France et marqué par un alignement sur celle des majeurs ; cela va à l’encontre de tous les principes Constitutionnels énoncés par l’ordonnance du 2 février 1945 sur l’enfance délinquante, qui priorise l’éducation sur celui de la répression. Mais ces interpellations s’inscrivent pleinement dans les préceptes du Code de Justice Pénale des Mineurs, qui entrerait en vigueur le 31 mars 2021, pour laisser toute la place à toujours plus de contrôle et de répression à l’encontre des enfants, nos enfants, vos enfants ! Par ailleurs, le projet de code de la justice pénale des mineurs qui doit être présenté par une procédure rapide au Parlement début décembre ne met pas fin à de tels procédés et maintient d’ailleurs l’existence de la retenue d’enfants de moins de treize ans. Plus largement, il délaisse l’éducatif au profit de mesures expéditives et plus coercitives éludant ainsi la dimension spécialisée que cette justice doit avoir à l’égard des enfants.
Nos organisations défendent le principe d’éducation et de protection de tous les enfants, particulièrement dans ce genre de situations où seule la pédagogie est à même de faire comprendre à ces jeunes enfants la portée de leurs propos et de faire œuvre de prévention. Dans ce contexte de commémoration des droits de l’enfant, il nous semble important de rappeler que face à ces comportements ou propos l’ensemble des citoyens et des éducateur-trices, enseignant-es, éducateur-trices, travailleur-ses sociaux-ales, mouvements d’éducation populaire… doivent pouvoir continuer à:
– prioriser et maintenir une réponse éducative d’échange, de discussion quel que soit l’âge de ces enfants afin de déconstruire de tels propos,
– refuser la répression pénale des jeunes enfants, au travers de la fixation réelle d’un seuil d’irresponsabilité pénale qui pourrait être, au regard des exemples de nos voisins européens, de 14 ans.
L’éducation et le respect des principes de la Convention Internationale des Droits de l’enfant doivent s’appliquer en France.
Paris, le 24 novembre 2020