Par Henri Leclerc, président d’honneur de la LDH
L’Assemblée nationale a voté à l’unanimité, le 17 septembre, le projet de loi « renforçant les dispositions relatives à la lutte contre le terrorisme ». La majorité socialiste, l’opposition de droite et le Front de gauche ont voté le texte. Seuls les écologistes se sont abstenus. Doit-on se réjouir de cette union sacrée contre le terrorisme autour de ce nouveau texte répressif, ou s’en inquiéter ? C’est le ministre de l’Intérieur qui a proposé et défendu ce projet, alors qu’il contient essentiellement des dispositions d’ordre pénal normalement du domaine du ministre de la Justice. Le ministre n’avait pas jugé utile de demander l’avis de la Commission nationale consultative des droits de l’Homme (CNCDH), qui a dû s’autosaisir. Elle a dit ce qu’elle en pensait dans un avis consultable sur son site, voté lui aussi à l’unanimité lors de son assemblée plénière du 25 septembre, soit après le vote en première lecture par l’Assemblée nationale, et ce en raison de la procédure législative accélérée choisie par le gouvernement. Ce sont là les pratiques même de l’ère Sarkozy qui ont été reproduites ici par le gouvernement Valls : on s’appuie sur un fait divers tragique qui bouleverse l’opinion publique et on fait voter, dans la hâte, une loi sécuritaire. C’est ici l’assassinat de quatre personnes au musée juif de Bruxelles, le 24 mai, par Medhi Nemmouche, Français revenant du djihad. Comme c’était le cas, le 21 décembre 2012, avec la loi « relative à la sécurité et à la lutte contre le terrorisme », qui répondait aux crimes de Mohamed Merah. Depuis 1986, on empile ainsi, année après année, de nouvelles contraintes, de nouvelles sanctions, de nouvelles procédures répressives et on élargit la compétence de cette justice d’exception que constituent le parquet et les juges antiterroristes de Paris. Ainsi, les législateurs successifs répondent aux angoisses de l’opinion publique par un recul de la société démocratique, paradoxale victoire des terroristes dont rien ne dit qu’ils soient véritablement affaiblis par ces nouvelles dispositions.
La mesure phare de la loi est la possibilité administrative de prononcer une interdiction de sortie du territoire pour un citoyen français pendant une période de six mois renouvelable, « lorsqu’il existe des raisons sérieuses de croire » qu’il va se livrer à des activités précisées dans le texte, en fait terroristes, motivation floue qui reposera sur des renseignements de police avec des garanties procédurales tout à fait insuffisantes alors que le retrait du passeport et de la carte d’identité qui accompagne la mesure a des conséquences sociales graves. Deuxième disposition : la nouvelle infraction « d’entreprise individuelle terroriste ». Elle est en contradiction avec les principes du droit pénal de légalité et de respect de la présomption d’innocence, et permet de poursuivre des actes préparatoires dont le lien avec une action criminelle éventuelle est très ténu. Le « blocage administratif de l’accès aux sites Internet incitant à commettre des actes terroristes ou en faisant l’apologie » pourra être ordonné sans aucune garantie judiciaire, alors qu’il s’agit d’une atteinte grave à la liberté d’expression. Le retrait de la loi sur la presse des délits de provocation ou d’apologie du terrorisme et leur renvoi vers le droit pénal de droit commun est une mesure que n’avaient pas osé prendre les rédacteurs des lois scélérates de 1893 contre les anarchistes. Et encore une fois, le périmètre d’action des juges antiterroristes est étendu. Enfin, la loi prévoit, entre autres, de donner à l’administration pénitentiaire le pouvoir d’enregistrer les conversations téléphoniques clandestines, pourtant interdites, à l’intérieur des prisons.
Certes, la loi doit encore passer devant le Sénat mais le changement de majorité en son sein ne laisse guère d’espoir d’une amélioration dans le sens que recommande la CNCDH.