Par Daniel Boitier, coresponsable du groupe de travail « Laïcité »
L’ouvrage collectif Paniques identitaires dirigé par Laurence de Cock et Régis Meyran (Editions du croquant, 2017) peut être lu comme un parcours des mots-clefs qui paralysent le débat public d’aujourd’hui : IDENTITE, COMMUNAUTARISME… La généalogie et la déconstruction de ces (trop grosses) notions, parues parfois assez récemment dans le discours journalistique et politique, font le programme des chercheurs mobilisés. Cela autour de quelques concepts.
Concepts :
Le concept de « panique identitaire » fait le titre de l’ouvrage. Il permet de décrire ce qui se passe dans l’espace public et le débat politique et comment des faits mal établis se trouvent promus en vérité ultime. Contre la logique essentialiste qui attribue à une essence figée (donnée comme une culture naturalisée), les lecteurs pourront recomposer les effets de l’histoire et du contexte économique et social.
Deux concepts sont posés dès l’ouverture du livre : celui de « panique identitaire » et celui, associé, de « entrepreneur de morale » :
– une panique identitaire « est causée par un groupe donné qui diffuse dans l’espace public un mélange de faits discutables et d’idéologies, avec l’objectif plus ou moins explicité de canaliser les peurs des individus, dans le but de convaincre le plus grand nombre de rejoindre le groupe ».
– un entrepreneur de morale est « une personne qui mène une croisade morale (un combat moral contre un groupe supposé menacer la nation et ses valeurs) à des fins idéologiques mais aussi de carrière personnelle ».
(Voir pages 12 et 13)
Parcours :
On pourra commencer par le « fétiche des paniques identitaires », MAI 68. Ludivine Bantigny refait l’histoire populaire de 68 (celle des tentatives de rapprochement des étudiants et de la classe ouvrière), contre Laurent Bouvet pour qui ce mouvement n’est que le produit d’ « une élite détachée du peuple ». On continuera avec COMMUNAUTARISME, terme dont Fabrice Dhume montre l’introduction tardive (1997) dans le discours français ; IDENTITÉ, dont Régis Meyran analyse les usages contradictoires et la généalogie mal connue (à partir des travaux d’Erikson sur la «crise d’identité »). On détricotera le ROMAN NATIONAL avec Laurence de Cock, qui manifeste comment Paul Yonnet et Pierre Nora ré- initièrent ce roman identitaire contre (sic) «le récit immigrationiste et antiraciste » et des droits de l’Homme.
En montrant comment cette série de notions articule les polémiques médiatiques, les auteurs déconstruisent les « mythologies identitaires » qui soutiennent les logiques sécuritaires. Ainsi Fabrice Dhume analyse la fonction d’embrayeur de la dénonciation du « communautarisme » et du « multiculturalisme » et comment s’élaborent des représentations catastrophistes de la réalité sociale. Fanny Gallot dévoile les ambiguïtés qui entourent la référence au genre et les dérives du féminisme vers ce qu’elle appelle (avec Sara Faris) « femonationalisme ».
Cet ouvrage collectif tient donc sa double promesse de rigueur conceptuelle et d’analyse des « identité(s) et idéologie(s) au prisme des sciences humaines » (son sous-titre) en renvoyant les promesses aux pratiques : l’article de Réjane Sénac sur la notion de DIVERSITÉ ou celui de Laurent Mucchielli sur les usages de l’INSÉCURITÉ.
On aura au passage retrouvé quelques-uns des « entrepreneurs de morale », animateurs de la revue Le Débat ou inspirateurs de Causeur ou des politiques nationales identitaires.