Lettre ouverte aux député-e-s de la plateforme En finir avec les contrôles aux faciès, dont la LDH est membre, sur le projet de loi renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme : des dispositions alarmantes
Madame la députée, Monsieur le député,
Le projet de loi renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme a été examiné par la Commission des lois de l’Assemblée le 12 septembre dernier. La plateforme En finir avec les contrôles au faciès s’alarme de ce que ce texte inscrive des mesures de l’état d’urgence dans le droit commun et affaiblisse l’État de droit.
Notre plateforme lutte pour promouvoir des réformes en vue de diminuer la pratique de contrôles d’identité discriminatoires. Ce combat nous oblige à attirer en particulier votre attention sur les dispositions contenues au chapitre III du projet de loi portant sur les « Contrôles dans les zones frontalières ». Ces dispositions augmentent encore plus le risque de contrôles au faciès.
L’article 10 du projet de loi élargit notamment le champ des pouvoirs de contrôle dans le temps et dans l’espace :
- La durée des contrôles d’identité peut ainsi être prolongée jusqu’à 12 heures (contre 6 actuellement).
- Le périmètre de contrôle est lui étendu « aux abords » des zones frontalières intérieures (ports, aéroports, gares ferroviaires ou routières ouvertes au trafic international) ainsi que dans un rayon de 20 km autour des points de passages frontaliers.
Cette extension des pouvoirs de contrôles, déjà particulièrement large, est bien éloignée de l’objectif affiché de la loi, la lutte contre le terrorisme. Plus sûrement, des pouvoirs de contrôles aussi larges augmenteront la stigmatisation de personnes « perçues comme étrangères » et dégraderont encore la relation entre la police et la population. Dans une opinion du 8 novembre 2016, la Commission nationale consultative des droits de l’Homme (CNCDH) avait déjà décrit le problème des contrôles discriminatoires comme un « abcès de fixation des tensions police-population ». Aussi, cette nouvelle loi ne pourra qu’avoir des conséquences sur le maintien de l’ordre et à la lutte contre le terrorisme.
Comme vous le savez, de nombreux acteurs nationaux et internationaux dénoncent depuis plusieurs années la multiplication des contrôles au faciès et exhortent de manière répétée les autorités françaises à prendre des mesures pour mettre fin à ces pratiques[1].
Alors que les jurisprudences européennes et internationales les avaient déjà jugées illégales[2], la Cour de cassation a tout dernièrement condamné l’Etat pour faute lourde dans des hypothèses de contrôles d’identité au faciès, le 9 novembre 2016.
Les autorités sont, en effet, tenues par des obligations positives de droit d’instaurer une législation, des procédures et des pratiques qui empêchent la discrimination. Le Défenseur des droits a souligné ces obligations positives dans une décision produite devant la Cour de cassation, estimant à cette occasion que : « Le manquement à de telles obligations équivaudrait à fermer les yeux sur la gravité de tels actes et à les considérer comme des actes ordinaires… ».
Au lieu d’initier des réformes essentielles pour réduire ces pratiques, ce projet de loi sur lequel vous allez vous prononcer augmente le risque de contrôles discriminatoires.
Une simple déclaration du ministre de l’Intérieur indiquant que cette nouvelle loi n’engendra pas de contrôles au faciès ne peut éviter les effets délétères qui découleront de l’application de ces pouvoirs de police élargis.
Il vous revient désormais, élu-e-s de la Nation, de repousser ces dispositions, sans lien avec la lutte contre le terrorisme, du projet de loi. Si néanmoins elles sont maintenues, nous vous appelons a minima à y introduire des procédures permettant de contrôler l’utilisation de ces pouvoirs et donc à mettre en place un récépissé des contrôles d’identité.
A cette fin, un alinéa pourrait être ajouté selon lequel :
« Les contrôles d’identité réalisés en application du présent article donnent lieu, sous peine de nullité du contrôle d’identité et des actes dont il est le support, à l’établissement d’un document spécifiant l’heure du contrôle, la date du contrôle, le lieu du contrôle, le motif du contrôle et les suites du contrôle dont les modalités seront fixées par décret en conseil d’Etat. »
Nous, organisations non gouvernementales, acteurs de la société civile, chercheurs, vous appelons à vous saisir de cette question, et nous tenons à votre disposition pour évoquer ce sujet.
Dans l’espoir de vous voir donner une suite favorable à notre demande, veuillez agréer, Madame la Députée, Monsieur le Député, notre considération distinguée,
Les membres de la plateforme « En finir avec les contrôles au faciès »
Paris, le 25 septembre 2017
[1] Voir document « Éléments de contexte sur le profilage racial en France », joint à ce courrier
[2] Timishev v. Russie, Cour européenne des droits de l’homme, 13 Décembre 2005 ; Rosalind Williams Lecraft v. Spain, Comité des droits de l’homme des Nations Unies, 27 juillet 2009.