Lettre ouverte de 230 organisations, dont la LDH, adressée à la présidente de la Commission européenne
Dans une lettre adressée à la Présidente de la Commission européenne, 230 organisations de la société civile en appellent à la Commission pour que la proposition de loi européenne sur “l’ingérence étrangère dissimulée” ne soit en contradiction au droit international et européen en matière de droits de l’Homme, et en particulier l’exercice des libertés civiques, la liberté d’association et la liberté d’expression. La LDH l’a signée.
En mai 2023, la Commission européenne proposera un nouveau paquet de mesures “pour la défense de la démocratie”, comprenant des propositions bienvenues visant à renforcer la participation démocratique et à protéger l’espace civique. Cependant, certains éléments de ce paquet menacent de saper les politiques actuelles et futures menées en ce sens, et tout particulièrement un nouvel instrument juridique visant la société civile organisée, dont les associations.
Un rapport financé par la Commission européenne plaide en faveur d’un nouvel « instrument juridique (directive) visant à introduire des normes communes de transparence et de responsabilité pour les services de représentation d’intérêts qui seraient payés ou commendités depuis l’extérieur de l’UE, afin de contribuer au bon fonctionnement du marché intérieur et de protéger la sphère démocratique de l’UE contre les ingérences extérieures dissimulées ».
Si ce rapport met en avant les notions transparence et responsabilité, cette proposition semble reprendre l’idée de « législations sur l’influence étrangère » prises dans des pays non démocratiques, régulièrement condamnés par l’UE en particulier dans des pays hors Union européenne, mais pas seulement. Ces lois ont considérablement réduit l’espace de la société civile indépendante et ont été utilisées pour faire taire les voix critiques.
Une telle proposition semble faire écho à certains débats au Parlement européen et aux arguments avancés par certains gouvernements de l’UE pour justifier des restrictions sévères aux financements venant de l’étranger. Cette approche est très risquée car elle peut conduire à des restrictions significatives de l’espace civique dans l’Union européenne et dans le monde.
La société civile a toujours été une fervente partisane du renforcement de la transparence et continue à accueillir favorablement toute initiative qui la renforce de façon à conforter l’espace des activités d’une société civile indépendante.
En tant qu’organisations de la société civile ayant une grande expérience des libertés civiques, les signataire appellent la Commission européenne à tenir compte de trois facteurs clés avant toute proposition législative :
- Réaliser une analyse d’impact de la loi proposées sur le respect des droits fondamentaux, ce qui n’a pas été fait jusqu’à maintenant
L’Union européenne exige une analyse d’impact avant toute législation susceptible d’avoir des répercussions économiques, sociales ou environnementales importantes. En outre, la stratégie européenne pour la mise en œuvre effective de la Charte des droits fondamentaux exige que les droits et principes consacrés par la Charte soient correctement pris en compte à chaque étape du processus législatif. Comme le texte sur la base duquel le rapport à été commandé indique qu’aucune évaluation d’impact n’est prévue, les organisations signataires exigent qu’elle soit réalisée avant toute poursuite du processus législatif.
- Clarté quant aux objectifs politiques dont le rapport doit traiter
Le texte sur la base duquel le rapport à été commandé n’identifie pas le besoin spécifique auquel la nouvelle législation répondrait et la raison pour laquelle une directive de l’UE est un instrument nécessaire ou approprié. Il ne définit pas non plus quels sont les « services de représentation d’intérêts ou « l’ingérence extérieure dissimulées » qui doivent être pris en compte. Plusieurs États membres de l’UE ont déjà adopté ou proposé des législations et des politiques qui restreignent volontairement ou involontairement l’espace civique, ce qui a donné lieu à des protestations et contestations tout ce qu’il y a de plus justifié. Il est d’autant plus nécessaire que l’approche des institutions européennes prennent en compte les risques de la législation pour l’espace civique avec une évaluation minutieuse des conséquences, y compris involontaires. Un manque de clarté quant aux objectifs de la législation envisagée risque d’ouvrir la voie à des abus et à des discriminations indues à l’encontre des organisations de la société civile.
- Obligations en matière de droits fondamentaux
D’un point de vue juridique et dans le cadre de la Charte des droits fondamentaux, l’Union européenne doit respecter et promouvoir activement les droits qui sont à la base de démocraties dynamiques et saines. Trois références références méritent d’être signalées :
- Le mois dernier, le Conseil européen a adopté, pour la première fois, des conclusions du Conseil pour l’espace civique, faisant écho à la déclaration des Nations unies sur les défenseurs des droits de l’Homme, et affirmant que « la liberté de rechercher, de recevoir et d’utiliser […] des ressources fait partie intégrante du droit à la liberté d’association ».
- En 2020, la Cour de justice de l’Union européenne s’est prononcée dans une décision qui a fait jurisprudence, à savoir “Commission européenne contre Hongrie (C-78/18)”, que la liberté d’association, consacrée par l’article 12(1) de la Charte, « constitue l’une des bases essentielles d’une société démocratique et pluraliste ». L’arrêt a identifié le droit d’accès au financement comme un élément substantiel de la liberté d’association et a affirmé l’effet dissuasif de lois telle que celle adoptée en Hongrie, qui créent un climat de défiance vis à vis du travail des associations. En résumé, le jugement a conclu que la Hongrie avait introduit des restrictions discriminatoires, injustifiées et inutiles sur les dons étrangers à la société civile.
- Les lignes directrices de l’OSCE et de la Commission de Venise sur la liberté d’association stipulent que « le droit à la liberté d’association d’association serait privé de sens si les groupes souhaitant s’associer n’avaient pas la possibilité d’accéder à différents types de ressources, y compris financières, en nature, matérielles et humaines, et provenant de différentes sources, notamment publiques ou privées, nationales, étrangères ou internationales ».
Ces trois éléments indiquent clairement la nécessité d’un examen exceptionnellement attentif et d’une étude d’impact formelle pour déterminer si une telle mesure est nécessaire et proportionnée à ce qui est actuellement un objectif très peu défini.
Les organisation demandent aussi un dialogue ouvert et structuré avec toutes les parties prenantes. En particulier, toutes les propositions ou révision de la législation affectant la société civile doivent être préparées en dialogue étroit avec la société civile.