Madame, Monsieur, Une proposition de loi vous est présentée afin de mieux définir les conséquences d’un handicap non détecté au moment de la grossesse à la suite d’une faute médicale. Bien entendu, cette proposition de loi s’inscrit dans les suites des arrêts rendus par la Cour de cassation qui ont admis la recevabilité d’une indemnisation de la personne atteinte de ce handicap. Nous voudrions, tout d’abord, relever qu’il appartient au législateur de faire la loi que les magistrats ont en charge d’appliquer. Nulle critique ne nous paraît donc recevable sur la volonté éventuelle du législateur de modifier la loi, même si cela vient contredire une décision de justice. En revanche, les conditions dans lesquelles ce débat vient devant le Parlement, au gré, notamment, des pressions d’une partie du corps médical, ne nous paraissent pas garantir la sérénité d’autant plus nécessaire que le sujet est douloureux, nécessairement empreint de passions, et met en jeu des conceptions parfois très opposées mais toujours respectables. Nous regrettons ainsi, que l’Assemblée comme le Sénat ne prennent pas le temps nécessaire à une réflexion plus approfondie. Cela aurait permis, par exemple, d’éviter de préciser dans la loi ce qui relève de l’évidence : « la personne née avec un handicap dû à une faute médicale peut obtenir la réparation de son préjudice lorsque l’acte fautif a provoqué directement le handicap ou l’a aggravé, ou n’a pas permis de prendre les mesures susceptibles de l’atténuer ». Ceci n’est que la stricte application des dispositions de l’article 1382 du Code civil et le législateur aurait pu se dispenser de décliner une des conséquences de cette disposition qui trouve à s’appliquer dans de si nombreux domaines qu’il est impossible d’en dresser la liste. Cette précision est d’autant plus inutile que la Cour de cassation a, constamment, rappelé l’obligation de moyens et d’information qui pèse sur tout le corps médical. Au fond des choses, la proposition de loi qui vous est soumise nous paraît critiquable pour plusieurs raisons. Il faut, en premier lieu, relever que l’on vous propose d’affirmer que « nul ne peut se prévaloir d’un préjudice du seul fait de sa naissance, fût-il né handicapé ». Cette pétition de principe, dont la première partie est d’une valeur éthique incontestable, ne répond nullement à l’argumentaire de la Cour de cassation et de son rapporteur qui a sanctionné non le fait d’être né, mais la faute médicale commise. Et c’est bien cette faute médicale qui justifie qu’ensuite l’on vous propose d’autoriser les « titulaires de l’autorité parentale » à demander une indemnité « destinée à la personne handicapée, correspondant aux charges particulières découlant, tout au long de sa vie, de son handicap ». Sauf à faire dire à ce texte ce qu’il ne dit pas, il s’agit donc d’indemniser le préjudice de la personne née et qui est atteinte d’un handicap, avec comme seule différence que ce sont les titulaires de l’autorité parentale qui forment cette demande et non l’intéressé lui-même. Dès lors, il vous est proposé d’admettre les conséquences inverses de la prohibition édictée dans l’article de la proposition de loi. Malgré cette incohérence, il nous paraît important que soit reconnues les conséquences d’une faute médicale qui a pour effet d’exposer la personne atteinte de ce handicap à des charges particulières. En revanche, nous regrettons que cette proposition de loi ne réaffirme pas le droit des parents à obtenir une indemnisation en raison des contraintes propres qu’ils supportent et de l’impossibilité dans laquelle ils se sont trouvés, particulièrement la mère, de mettre en œuvre une éventuelle interruption volontaire de grossesse ce qui est, rappelons-le, un droit auquel il ne saurait être dérogé. Dans la mesure où il vous est demandé de réaffirmer les conséquences de l’article 1382 du Code civil à propos de la faute médicale, il aurait été utile de réaffirmer aussi les conséquences de l’impossibilité de recourir au droit de pratiquer une I.V.G. Cette différence de traitement ne nous paraît pas satisfaisante. Une autre disposition nous paraît hautement contestable. Il s’agit du recours à la notion de faute lourde pour permettre l’engagement de responsabilité d’un médecin dans le cas où le handicap n’a pas été détecté au cours de la grossesse malgré les examens pratiqués. Cette notion n’a nullement, en droit civil, la même portée qu’en droit administratif et enferme les recours dans des considérations qui, sous la réserve de l’appréciation des tribunaux, risquent de fermer la porte aux demandes qui pourront être présentées. On ne voit pas les raisons, sauf à établir une discrimination dans le régime général de la responsabilité du fait de ses propres actes, qui peuvent justifier qu’une faute simple soit requise pour toutes les fautes médicales (et plus largement toutes les fautes dans l’exercice d’une profession) à l’exception des examens anténataux. Il y a là une rupture d’égalité des citoyens devant la loi qui ne nous paraît ni satisfaisante ni justifiable. De la même manière, on peut s’interroger sur la légalité de l’abandon de tout recours des organismes sociaux à l’encontre de l’auteur de la faute. Il s’agit là d’un abandon, par des organismes disposant de prérogatives de la puissance publique, d’une partie de leurs ressources au profit de personnes privées (qu’il s’agisse de l’auteur de la faute lui-même ou de sa compagnie d’assurances). Le grief d’anticonstitutionnalité nous paraît encouru. Telles sont les observations que la LDH souhaitait vous présenter en soulignant qu’en tout état de cause, et au-delà de la proposition de loi dont vous êtes saisi, nous considérons que ce débat ne doit pas cacher une autre réalité : celle de l’insuffisance radicale des moyens consacrés à l’accueil des handicapés et au respect de leurs droits. C’est là une responsabilité qui pèse sur la collectivité tout entière et il est à craindre que la création d’un observatoire chargé d’examiner la situation matérielle des handicapés ne soit qu’un alibi. Cette mesure, par exemple, ne compensera pas la différence de traitement que subiront les enfants nés avec un handicap qui n’est pas consécutif à une faute médicale. Je vous prie de croire, Madame, Monsieur, en l’assurance de mes sentiments les meilleurs. Michel TUBIANA, président de la LDH Paris, le 25 janvier 2002