Note de la LDH
La proposition de loi visant à sortir la France du piège du narcotrafic, adoptée au Sénat le 4 février 2025 dans le cadre de la procédure accélérée devrait être examinée par l’Assemblée nationale à partir du 17 mars.
Au 3 mars 2025, 500 amendements avaient été déposés sur ce texte.
Concernant les prisons de haute sécurité (analyse en fin de note), si Gérald Darmanin a précisé ne pas avoir « besoin de loi » pour instaurer ce strict régime carcéral, le garde des Sceaux a aussi déclaré qu’il soumettrait au vote de l’Assemblée nationale la création de prisons de haute sécurité par voie d’amendements gouvernementaux dans le cadre des débats parlementaires autour de la proposition de loi déjà adoptée en première lecture au Sénat..
I – Observations générales
– Le titre et les motifs de la proposition de loi sont expressifs d’une volonté de répression renforcée : « frapper au portefeuille, enjeu de taille pour éviter le sentiment d’impunité », « la prison n’effraie plus les trafiquants », « le narcotrafic » serait une « menace pour les intérêts fondamentaux de la nation » (expression qui n’est pas anodine mettant sur un même plan la lutte contre le trafic de stupéfiants et la lutte contre les atteintes à la sûreté de l’Etat).
Certes, le trafic de stupéfiants constitue un fléau social. Mais la lutte contre celui-ci ne doit pas se faire au prix d’une réduction des droits et libertés et d’une atteinte aux droits fondamentaux.
– Il s’agit d’une proposition de loi, donc faite sans étude d’impact ni d’avis du Conseil d’Etat, ce qui est regrettable eu égard à l’ampleur des modifications législatives, surtout après les amendements des sénateurs et les futurs amendements des députés. Le rapport de la commission d’enquête qui a conduit au dépôt de la proposition de loi ne saurait remplacer ni l’étude d’impact ni l’avis du Conseil d’Etat. Le gouvernement a également engagé la procédure accélérée réduisant ainsi la durée d’examen des dispositions modifiant des pans entiers de divers codes.
– Cette proposition s’inscrit dans le sillage des textes sécuritaires antérieurs : une inflation législative qui porte atteinte à la cohérence du droit criminel et à la sécurité juridique (deux autres propositions de lois ont été inscrites à l’ordre du jour, l’une en matière de responsabilité pénale des mineurs, l’autre en matière de sécurité dans les transports). Or, la prévisibilité des règles est particulièrement importante en matière pénale. Faute d’assurer le financement de moyens humains et matériels, les pouvoirs publics entendent agir sur les normes.
– La proposition de loi est inspirée pour partie, de manière non pertinente, de la législation italienne anti-mafia (par exemple, le rôle des informateurs, le statut des collaborateurs de justice, les exemptions et réductions de peines pour les repentis) alors que cette législation n’a pas eu l’efficacité attendue et la France n’est pas dans la situation de l’Italie, de la Colombie, du Mexique ou du Brésil où existent de véritables cartels de la drogue.
– Cette proposition de loi constitue une nouvelle altération de l’Etat de droit. Toutes les fois qu’une norme gêne l’action publique, gêne l’Etat en action, les pouvoirs publics s’en affranchissent, la contournent ou la modifient, en portant atteinte aux droits et libertés. En l’occurrence, on peut y voir aussi une charge inédite à l’encontre du droit au recours (article 6 CEDH) qui fait pourtant partie intégrante du droit à un procès équitable, ainsi qu’aux droits de la défense, les avocats étant particulièrement sur la sellette.
– La lutte contre le trafic de stupéfiants n’a pas attendu la proposition de loi. Déjà le Code pénal, le Code de procédure pénale, le Code de la santé publique, le Code de la sécurité intérieure comportent de nombreux articles, parfois dérogatoires au droit commun (par exemple, pour la durée de la garde à vue, ou la possibilité d’intervention d’un avocat en garde à vue à l’extinction de l’action publique…).
– Cette proposition de loi marque un échec des politiques publiques menées jusque-là en la matière. Les politiques pénales ont plutôt été orientées vers la délinquance de rue, vers l’usage de stupéfiants (permettant de faire du chiffre avec des enquêtes traitées aussitôt qu’elles sont ouvertes) plutôt que de s’orienter vers des procédures complexes, donc chronophages, mobilisant des enquêteurs sur une longue durée. Et la réforme ne comporte aucun volet social ni de santé publique. La répression l’emporte, par conséquent, sur la prévention.
– Le principe de légalité des délits et des peines, principe constitutionnel et conventionnel, exige que l’incrimination (et la peine) doit être définie de manière claire, précise et intelligible (Conseil constitutionnel 19-20 janvier 1981 : il appartient au législateur de « définir les infractions en termes suffisamment clairs et précis pour exclure l’arbitraire »).Or, la proposition de loi, surtout avant les amendements des sénateurs, était du style (pour un grand nombre de dispositions) des textes censurés, dans d’autres domaines, par le Conseil constitutionnel.
– Se posera un autre problème de constitutionnalité car de nombreuses dispositions peuvent apparaitre comme des cavaliers législatifs, des amendements ne présentant pas un lien, même indirect, avec le texte déposé, selon l’interprétation donnée par le Conseil constitutionnel (Conseil constitutionnel 13 août 2015, DC 2015-719, 26 cavaliers ; Conseil constitutionnel 26 janvier 2017, DC 2016-745, 36 cavaliers ; Conseil constitutionnel 25 janvier 2024, DC 2023-863, 35 cavaliers).
En effet, la proposition de loi visait le narcotrafic, les amendements ont étendu la portée du texte à la quasi-totalité de la criminalité organisée, à l’exécution des peines dans les établissements pénitentiaires, et vont aussi jusqu’à modifier, de manière substantielle, certaines dispositions du Code de la sécurité intérieure, en matière de renseignement.
II – Examen critique de quelques dispositions de la proposition de loi
– De façon générale, il est demandé aux parlementaires de ne pas voter les extensions de pouvoir à toutes les infractions listées aux articles 706-73 et 706-73-1 du Code de procédure pénale, listes qui ne cessent de s’allonger, au point que la délinquance organisée n’est plus du droit dérogatoire mais du droit commun. La saisine du Conseil constitutionnel devra de plus concerner les cavaliers législatifs, puisque la loi n’est censée porter que sur le trafic de stupéfiants.
A titre d’exemple, les perquisitions de nuit en enquête préliminaire sont extraordinairement étendues, en dépit de la protection accrue du domicile, puisque l’interdiction de principe était posée pour la protection de la vie privée mais aussi en vertu du principe d’inviolabilité du domicile. Non seulement cet article ne devrait pas être voté, puisqu’il existe déjà des textes pour le trafic de stupéfiants spécialement, et pour la flagrance en général, mais l’amendement constitue un cavalier législatif.
– De façon générale également, la LDH s’oppose à l’extension continue des pouvoirs au parquet (même sur autorisation du juge des libertés et de la détention, puisqu’il n’a pas accès au dossier) en enquête, qui existe depuis la loi Perben II du 9 mars 2004, alors qu’il n’existe pas de droits de la défense à ce stade de la procédure.
Le problème du transfert des affaires vers la phase d’enquête se pose également pour les familles victimes des gangs puisque les personnes qui déposent plainte n’ont pas non plus accès au dossier pendant la phase procédurale, contrairement à l’instruction où elles peuvent se constituer partie civile.
– Rappelons que la LDH s’est prononcée contre la réforme de la police judiciaire, car elle prévoyait la diminution des moyens et des possibilités d’action contre les affaires de grande ampleur, et notamment les affaires de corruption et de blanchiment (à prendre en compte dans le cadre du trafic de stupéfiants). Un an après, les magistrats constatent ses effets pervers. Il n’est pas étonnant dans ces conditions que la police judiciaire peine à recruter. Or, cette politique n’est pas remise en cause.
La Cour des comptes a pointé l’absence de moyens de l’office central anti-stupéfiants (Ofast). Ce n’est pas l’objet de la loi mais on peut se poser des questions sur son vrai enjeu : s’agit-il en réalité d’une loi d’affichage ? Encore une fois, les droits de l’Homme sont évincés au profit d’une campagne sécuritaire, sans en mesurer les effets ni sur les droits ni sur la démocratie, ni même sur son efficacité potentielle.
– Enfin, le sécuritaire aboutit à ne pas distinguer au sein du trafic ce qui relève en réalité de l’usage de stupéfiants (détention, transport… : la définition de la séparation entre l’acte réalisé pour l’usage et celui pour le gros trafic n’est pas posée), toujours pénalisé alors que cela va à l’encontre d’une politique de prévention et de santé publique. Le Haut-commissaire aux droits de l’Homme de l’ONU a rappelé que cette pénalisation aboutit à une application différenciée en fonction de la couleur de la peau, donc à des discriminations raciales et il a appelé à supprimer cette incrimination. La LDH demande aux parlementaires, avec les autres membres du Collectif pour une nouvelle politique des drogues (CNPD), de voter la dépénalisation de l’usage de stupéfiants. Par ailleurs, la légalisation du cannabis, la drogue la plus consommée en France, permettrait d’assécher une grande partie du trafic, tout en permettant un contrôle sanitaire du produit (notamment le taux de THC). La loi évacue toute discussion d’ensemble sur la question des stupéfiants.
A – LE PARQUET NATIONAL ANTICRIMINALITE ORGANISEE
La proposition de loi comporte la création d’un parquet national anticriminalité organisée (PNACO).
Le procureur de la République à la tête de ce parquet, le pôle de l’instruction, le tribunal correctionnel, la cour d’assises, à défaut, à Paris, exerceront une compétence concurrente à celles des juridictions locales dans les affaires complexes, en raison notamment de la gravité ou de la diversité des infractions commises, du grand nombre de participants ou de victimes ou du ressort géographique sur lequel elles s’étendent (le « haut du spectre »). Dans ces cas, ces juridictions ont une compétence nationale.
Le texte maintient les juridictions pouvant avoir compétence sur plusieurs ressorts de juridictions (les JIRS [juridictions interrégionales spécialisées] compétentes dans de nombreux domaines).
CRITIQUES
– Le texte fait de ce procureur de la République un personnage puissant aux compétences exorbitantes (l’ensemble du territoire national) avec un renforcement des mesures d’investigation pour un nombre considérable d’incriminations et d’affaires. Or, les procureurs ne sont pas indépendants à l’égard de l’exécutif (pour la nomination, l’avancement, la discipline qui relèvent de dernier).
– On peut constater, par ailleurs, une extrême complexité en pratique de la répartition entre d’une part, les juridictions nationales et d’autre part, les juridictions interrégionales spécialisées qui demeurent et les juridictions locales. Des difficultés d’articulation de compétences poseront un problème pour déterminer la juridiction compétente et, par voie de conséquence, pourront être à l’origine d’inégalités de traitement entre les personnes poursuivies pour des mêmes faits. Rappelons que l’éloignement géographique pose aussi la question des droits de la défense et de l’accompagnement par les familles des personnes détenues.
– Il est demandé aux officiers de police judiciaire de signaler une affaire importante au parquet local et au parquet national, ce qui donne un surcroît de travail.
B – LE RENFORCEMENT DES TECHNIQUES SPECIALES D’ENQUÊTE
Le parquet a déjà, à sa disposition, un nombre considérable de techniques d’intrusion dans la vie privée prévues par le Code de procédure pénale, par exemple :
. Sonorisations et fixations d’images de certains lieux ou véhicules ;
. Captation de données informatiques ;
. Recueil des données techniques de connexion ;
. Interceptions de correspondance émises par la voie des communications électroniques ;
. Accès à distance aux correspondances stockées par la voie des communications électroniques au moyen d’un identifiant informatique.
La proposition de loi opère un renforcement du recours à ces techniques pour certaines infractions de la criminalité organisée.
C’est ainsi que le juge des libertés et de la détention (qui souvent entérinera la demande du procureur, étant en réalité, en quelque sorte, un juge de l’homologation d’une décision prise par un autre magistrat, le procureur de la République, et n’ayant pas accès au dossier d’enquête) pourra autoriser l’activation à distance d’un appareil électronique mobile afin de procéder à la captation, la fixation, la transmission et l’enregistrement des paroles prononcées par des personnes ou de l’image de celles-ci.
Le juge des libertés et de la détention pourra aussi autoriser (autre mesure très intrusive) l’introduction dans un lieu privé pour mettre en place des techniques de surveillance, au cours de l’enquête ou de l’instruction, y compris en dehors des heures de perquisition.
C – L’ABANDON de LA COUR D’ASSISES ET DES JURES POPULAIRES
Comme en matière de crimes contre la sûreté de l’Etat, de crimes militaires, de crimes terroristes, de crimes de trafic de stupéfiants (outre les cours criminelles départementales ([pour des crimes faisant encourir 15 ou 20 ans de réclusion criminelle]), une cour d’assises spéciale (composée de magistrats professionnels sans jury), sera compétente en matière de certaines infractions de la criminalité organisée.
CRITIQUES
– alors que l’on entend de plus en plus faire participer les citoyens à la vie de la cité, la proposition de loi les écarte de l’œuvre de justice, cette participation ayant pourtant l’avantage de montrer au juré la difficulté de juger et la conscience des juges. L’oralité des débats est aussi altérée. L’avocat général, lors du procès d’Outreau, avait souligné l’importance de l’oralité des débats et de la présence de jurés dans un procès d’assises afin d’éviter l’erreur judiciaire.
– alors qu’en matière de cours d’assises avec jurés, toute décision défavorable à l’accusé suppose une majorité de sept voix en première instance (il y a trois magistrats professionnels et six jurés), dans une cour d’assises spéciale la majorité sera de trois.
D – LE DROIT A UN PROCES EQUITABLE : EGALITE DES ARMES ET PROCEDURE CONTRADICTOIRE, « LE DOSSIER COFFRE »
Le droit à un procès équitable se décline en un principe de l’égalité des armes qui garantit l’égalité des parties devant le juge et vise à protéger l‘effectivité d’un débat contradictoire.
Cette exigence implique, ainsi que la Cour européenne des droits de l’Homme (CEDH) l’a jugé, le droit pour les parties au procès de se voir communiquer et de discuter toute pièce ou observation présentée au juge (par exemple, CEDH 27 mars 1998, J.J. c. Pays-Bas).
Or, un nouvel article 706-104 du code de procédure pénale prévoit que lorsque la divulgation de certaines informations relatives à la mise en œuvre des techniques spéciales d’enquête nécessaires à la manifestation de la vérité, est de nature :
. soit à mettre en danger la sécurité d’agents infiltrés, de collaborateurs de justice, de témoins protégés ou des proches de ces personnes,
. soit à porter une atteinte grave et irrémédiable à la possibilité de déployer à l’avenir les mêmes techniques,
. des informations peuvent alors faire l’objet d’un dossier distinct : c’est-à-dire les informations recueillies à l’occasion de la mise en œuvre de ces techniques ne pourront pas figurer au dossier de la procédure (toutefois, elles ne pourront, en elles-mêmes constituer des preuves ayant un quelconque caractère incriminant).
. Il s’agit des informations suivantes :
. La date, l’horaire, le lieu de mise en œuvre ou de retrait de ces techniques d’enquête ;
. Leurs caractéristiques de fonctionnement ou leurs méthodes d’exécution.
. Les modalités de leur installation et les informations permettant d’identifier une personne ayant concouru à ladite installation ou audit retrait du dispositif technique.
. La personne mise en examen ou le témoin assisté pourront cependant contester devant le président de la chambre de l’instruction le recours à cette procédure. Le président pourra (décision insusceptible de recours), à certaines conditions très strictes, ordonner le versement de tout ou partie des informations figurant au procès-verbal distinct au dossier de la procédure. Il pourra aussi annuler les techniques spéciales d’enquête s’il estime que les opérations n’ont pas été régulières. Mais ces garanties sont plus théoriques que d’application effective.
CRITIQUES
– Le procès-verbal distinct est accessible, à tout moment au cours de l’enquête ou de l’instruction, au procureur de la République ou au juge d’instruction, aux officiers de police judiciaire, au juge des libertés et de la détention. On relève donc une véritable distorsion, une inégalité fondamentale, dans les droits des parties. En effet, alors que la partie poursuivante, d’ailleurs non indépendante à l’égard de l’exécutif, disposera des éléments en cause, la défense n’aura pas accès à ce dossier « coffre ». De plus, il est prévu que des actes d’investigation puissent se fonder sur des éléments recueillis par cette procédure distincte et non-contradictoire.
– Eu égard à l’ampleur des éléments exclus du contradictoire, cette disposition paraît aller au-delà de ce que la Cour européenne des droits de l’Homme a validé (voir arrêt du 23 mai 2017, Van Wesenbeeck c. Belgique), qui a tenu compte du danger pour l’agent infiltré à révéler les informations le concernant ou permettant de l’identifier, pour admettre l’absence de contradictoire. Ici, la mesure peut être justifiée par la nécessité d’y recourir à nouveau. De plus, dans l’affaire ayant conduit à l’arrêt de la CEDH, c’était la chambre d’accusation belge qui était compétente et non le seul président de la chambre de l’instruction comme dans la proposition de loi, la collégialité étant une garantie de bonne justice et de respect des droits de la défense.
– S’agissant d’une autre procédure de dossier distinct pour des données spécifiques de mise en œuvre de la géolocalisation, le Conseil constitutionnel a jugé que « les droits de la défense seraient également méconnus si la chambre de l’instruction, saisie dans les conditions prévues par les articles 170 et suivants du code de procédure pénale, aux fins d’annulation des actes relatifs aux autorisations d’installation du dispositif technique de géolocalisation et à leur enregistrement, ne pouvait également exercer le contrôle » dévolu au président de la Chambre de l’instruction (CC 2014-7693 25 mars 2014, §23).
E – ACTIVATION A DISTANCE D’APPAREIL ELECTRONIQUE
Il est prévu l’activation à distance d’un appareil électronique, donc des téléphones portables, des tablettes, des ordinateurs et ceci pour toute infraction relevant de la délinquance organisée (articles 706-73 et 703-73-1 du Code de procédure pénale).
CRITIQUE
Il s’agit d’une liste disparate qui ne cesse de s’allonger et peut concerner des infractions diverses, comme le vol en bande organisée, par exemple. On est très loin de la lutte contre le grand banditisme.
Et pourtant, la mesure va permettre d’entendre aussi les interlocuteurs des détenteurs de ces appareils, leur entourage comme des inconnus dans la rue, leurs collègues de travail…
Il s’agit d’une mesure extrêmement intrusive et il est même prévu le recours aux moyens de l’Etat soumis au secret de la défense nationale pour y recourir !
La LDH s’oppose à cette mesure qui n’est pas suffisamment encadrée, est trop intrusive en ce qu’elle touche des personnes qui n’ont aucune relation avec l’infraction en cause, et qui peut être activée lors de l’enquête sans droits de la défense à ce stade.
F – EXTENSION DE CERTAINES INCRIMINATIONS ET CREATIONS DE NOUVELLES
L’article 450-1 du Code pénal incrimine déjà la participation à une association de malfaiteurs ainsi définie : « Constitue une association de malfaiteurs tout groupement formé ou entente en vue de la préparation, caractérisée par un ou plusieurs faits matériels, d’un ou plusieurs crimes ou d’un ou plusieurs délits » (alinéa 1er).
Le code pénal prévoit aussi l’aggravation des peines encourues en cas de commission de certaines infractions commises en bande organisée, celle-ci définie ainsi par l’article 132-71 « constitue une bande organisée au sens de la loi tout groupement formé ou toute entente établie, en vue de la préparation, caractérisée par un ou plusieurs faits matériels, d’une ou plusieurs infractions ».
La Cour de cassation a déjà admis de retenir une association de malfaiteurs et la circonstance de bande organisée alors que les définitions sont les mêmes, l’entente en vue de la préparation d’un ou plusieurs délits, mais en ajoutant de façon prétorienne la structuration entre les membres depuis un certain temps pour constituer une bande organisée (Crim. 8 juillet 2015, n°14-88. 329 ; cumul : Crim. 9 juin 2022, n°21-80.237).
S’agissant de l’association de malfaiteurs, le nouvel article 450-1 du Code pénal va jusqu’à mêler les éléments d’incrimination des deux notions : « Lorsque l’infraction préparée est un crime pour lequel la loi prévoit une peine criminelle à perpétuité ou une répression aggravée en cas de commission en bande organisée, la participation à une association de malfaiteurs est punie de quinze ans de réclusion criminelle et de 225 000 euros d’amende ». Et cette infraction constituera un crime, alors que les infractions d’association de malfaiteurs sont des délits. Le principe de proportionnalité des peines n’est pas respecté, puisque par définition, il s’agit d’actes antérieurs à la commission de l’infraction et ne pouvant être qualifiés de complicité. Le but recherché est de permettre l’augmentation de la durée de la détention provisoire.
La proposition de loi ajoute aussi un nouvel article 450-1-1 du Code pénal, inspiré de la législation italienne anti-mafia, incriminant le fait de concourir sciemment et de façon fréquente ou importante au fonctionnement d’une organisation criminelle, indépendamment de la préparation d’une infraction particulière. Mais les termes retenus, par leur imprécision même, porte atteinte au principe de légalité des délits.
C’est ainsi que l’organisation criminelle est définie comme « tout groupement ou toute entente prenant la forme d’une structure existant depuis un certain temps et formée en vue de la préparation, caractérisée par un ou plusieurs faits matériels, un ou plusieurs crimes, le cas échéant par un ou plusieurs faits matériels, un ou plusieurs crimes et le cas échéant, un ou plusieurs délits ».
« Le fait pour toute personne de concourir sciemment et de façon fréquente et importante au fonctionnement d’une organisation criminelle, indépendamment de la préparation d’une infraction particulière est puni de trois ans d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende. Ce concours est caractérisé par un ou plusieurs faits matériels, démontrant que directement ou indirectement, cette personne tient un rôle dans l’organisation de cette structure, fournit des prestations de toute nature au profit de ses membres, ou verse ou perçoit une rémunération à ou de ses membres » (article 450-1-1 Code pénal).
G – RECOURS AUX ALGORITHMES SUR LES CONNEXIONS PAR LES SERVICES DE RENSEIGNEMENT
Pourront, à titre expérimental, être autorisés des traitements automatisés sur les données transitant par les réseaux des opérateurs de communications électroniques, en fonction de paramètres précisés dans l’autorisation, afin de détecter des connexions susceptibles de révéler des actes de délinquance et de criminalité organisée (à l’instar des cas d’ingérences étrangères, de menaces pour la défense nationale et de menaces terroristes), sans permettre toutefois, l’identification des personnes auxquelles les informations, documents ou adresses se rapportent (sauf à solliciter, ensuite, une autorisation particulière concernant telle personne en cas de menace d’actes de délinquance ou de criminalité organisée).
CRITIQUES
. Ce texte, qui modifie l’article L.851-3 du Code de la sécurité intérieure, constitue un nouveau pas vers la surveillance généralisée par les services de renseignement car les termes « délinquance et criminalité organisées » concernent une pluralité d’actes fondamentalement très divers (à titre d’exemple, le vol en bande organisée) qui ne peuvent pas être placés constitutionnellement et conventionnellement sur le même plan que des ingérences étrangères, des menaces pour la défense nationale ou des menaces terroristes.
La LDH refuse l’extension des pouvoirs des services de renseignement sur toutes les connexions sur des infractions qui ne mettent pas en danger la sécurité de la France, mais sont en réalité de droit commun.
De plus, s’agissant d’infractions, elles doivent relever du juge judiciaire et non du renseignement en préventif, d’autant plus que l’infraction d’association de malfaiteur est encore étendue. Il y a là une atteinte à la séparation des pouvoirs.
. Il s’agit d’une expérimentation, qui comme toutes les expérimentations législatives, perdurera probablement au-delà du 31 décembre 2028.
H – INTERDICTION ADMINISTRATIVE DE PARAITRE
« Afin de faire cesser les troubles à l’ordre public résultant de l’occupation liée à des activités de trafics de stupéfiants, en réunion et de manière récurrente, d’une portion de la voie publique, d’un équipement collectif ou des parties communes d’un immeuble à usage d’habitation », le préfet pourra prononcer une interdiction de paraître (d’une durée maximale d’un mois), dans les lieux concernés « à l’encontre de toute personne à l’égard de laquelle il existe des raisons sérieuses de penser [appréciation purement subjective] qu’elle participe à cette occupation ou à ces activités » (nouvel article L.22-11-1 du Code de la sécurité intérieure). Certes, l’interdiction tiendra compte de la vie familiale et professionnelle de la personne concernée. En particulier, le périmètre géographique de la mesure ne pourra comprendre son domicile principal.
Le non-respect de l’arrêté sera puni de six mois d’emprisonnement et de 3750 euros d’amende.
Il s’agit là d’un transfert d’une mesure s’assimilant à une sanction (par ailleurs disproportionnée) administrative, alors qu’au surplus aucune procédure contradictoire n’est envisagée avant son prononcé. L’appréciation purement subjective par le préfet peut conduire à l’arbitraire. Et la violation de l’arrêté est sanctionnée par une sanction pénale elle-même disproportionnée.
De même, pose un problème la procédure d’injonction du préfet, prévue par le nouvel article L442-4-3 du Code de la construction et de l’habitation, à l’égard d’un bailleur social, pour mettre fin à un bail d’habitation lorsque sont constatés des agissements ou des activités de l’occupant habituel d’un logement qui troublent l’ordre public de manière grave ou répétée et que ces agissements ou ces activités sont « en lien avec des activités de trafics de stupéfiants ». En effet, il est possible de considérer comme une sanction administrative indirecte l’obligation pour le bailleur social, sur injonction de l’autorité administrative, de mettre fin au bail.
La LDH dénonce le transfert à une autorité déconcentrée de l’Etat d’un pouvoir qui ne devrait être reconnu qu’au juge judiciaire, car il s’agit d’infractions, sans les garanties liées à une procédure judiciaire. Cela pose aussi la question de l’atteinte à la séparation des pouvoirs.
Elle s’indigne de la punition collective des familles lorsqu’un enfant fait le guetteur par exemple, avec des effets de paupérisation, qui ne peut avoir aucun effet dissuasif sur le grand banditisme, pourtant censé être l’objectif affiché du gouvernement.
De plus, il n’est tenu aucun compte des cas où ces enfants sont sous la contrainte de gangs, et sont en réalité des victimes de traite des êtres humains, alors que le droit international impose de différencier le cas des victimes de traite, commettant des délits sous contrainte.
La LDH déplore qu’aucune mesure d’accompagnement des familles victimes des gangs n’ait été prévue, comme leur relogement, par exemple. Les mesures sont toutes de nature sécuritaires sans prise en compte des réalités de terrain.
I – LES « PRISONS DE HAUTE SECURITE »
Si Gérald Darmanin a précisé ne pas avoir « besoin de loi » pour instaurer ce strict régime carcéral, le garde des Sceaux a aussi déclaré qu’il soumettrait au vote de l’Assemblée nationale la création de prisons de haute sécurité par voie d’amendements gouvernementaux dans le cadre des débats parlementaires autour de la proposition de loi déjà adoptée en première lecture au Sénat dans le cadre de la procédure accélérée. Dans une interview accordée au Figaro et publiée jeudi 20 février, le ministre de la Justice, Gérald Darmanin, détaille le dispositif carcéral qu’il souhaite mettre en œuvre à partir du 31 juillet à destination des narcotrafiquants les plus dangereux. Le garde des Sceaux a annoncé vouloir, d’ici 2027, pérenniser ce modèle d’établissements pénitentiaires « totalement inviolables », susceptibles d’accueillir « 600 à 700 » détenus dans 4 ou 5 établissements.
Faisant de la lutte contre le narcotrafic sa priorité, le garde des Sceaux a annoncé vouloir mettre à l’isolement dans cette « prison de haute sécurité » les 100 plus grands narcotrafiquants écroués, afin de les « couper du monde ».
Dans cette même logique, l’accès au téléphone sera strictement réduit à « trois fois deux heures par semaine », l’accès aux unités de vie familiale supprimé et la visioconférence généralisée, afin d’éviter les sorties. Des fouilles systématiques des détenus et des cellules seront organisées, le détenu ne pourra sortir qu’une à deux fois par jour dans la cour de promenade, et les visites de son ou ses avocats seront limitées
Les premiers transferts étant prévus « dès la fin mars », les détenus condamnés définitivement ou en détention provisoire seront placés dans ces établissements ultra-sécurisés pour une durée de « quatre ans renouvelables, par décision ministérielle ».
CRITIQUES
La LDH remarque tout d’abord qu’aucune disposition de cette proposition de loi ne concerne la prévention de l’usage de stupéfiants et la protection de la santé des consommateurs de plus en plus nombreux, le ministre de la Santé étant totalement absent de ce débat. Pourtant, les services d’addictologie de l’hôpital public sont surchargés et aucune politique de prévention digne de ce nom n’est actuellement organisée, si ce n’est la culpabilisation du consommateur dont on sait combien elle est inefficace alors que, de plus en plus, l’acquisition de stupéfiants se fait par livraison à domicile et non plus à un point de deal dans la rue.
La LDH observe que :
– le Conseil constitutionnel pourrait décider que cet amendement sur le régime carcéral ultra sécurisé des « narcotrafiquants » est un cavalier législatif, hors du champ de la proposition de loi, étant observé qu’il n’a pas été débattu en première lecture par le Sénat.
– l’isolement total constitue une très grande atteinte à la dignité et à la santé des personnes détenues, qui ne pourrait être décidé par l’administration pénitentiaire mais seulement par un juge indépendant, juge d’instruction, juge des libertés ou juge de l’application des peines selon le statut du détenu, pour une durée extrêmement limitée.
– il n’y a aucun accompagnement des personnes concernées en vue de leur sortie. Cela démontre l’absence de réflexion sur le sens de la peine ou sur la prévention de la récidive. Les mesures prises n’ont qu’un but sécuritaire. De plus, il n’y a eu aucune évaluation de leur éventuelle efficacité.
– s’agissant d’une décision administrative, elle sera susceptible de recours devant le tribunal administratif. Or le Conseil d’Etat a jugé par un arrêt du 24 novembre 2024 que le critère du placement à l’isolement est la dangerosité du détenu pour lui ou autrui et non pas la nature de l’infraction (trafic de stupéfiants). Comment l’administration pénitentiaire justifiera-t-elle devant le Conseil d’Etat un placement à l’isolement pour 4 ans de certains détenus narcotrafiquants, qui sont tout à fait paisibles en prison, sans aucun élément matériel établissant leur dangerosité, mais seulement un « risque » de dangerosité du seul fait de la nature de l’infraction ayant amené leur placement en détention.
– Les acteurs de la justice, tels que le Syndicat de la magistrature, les organisations professionnelles d’avocats et le syndicat des directeurs d’établissements pénitentiaires, ainsi que les personnels des services d’insertion et de probation (Spip) affichent une grande inquiétude quant à cette proposition-choc du garde des sceaux, craignant un effet « cocotte-minute » résultant du regroupement de détenus particulièrement dangereux en un même établissement, sans compter le risque de constitution d’une véritable mafia.
– L’isolement est actuellement régi par le code pénitentiaire, il s’établit sur une durée limitée et revêt un caractère exceptionnel. Ce nouveau régime d’isolement sera possible pour quatre ans renouvelables. Il concernera à la fois les détenus en détention provisoire et les condamnés. La commission nationale consultative des droits de l’homme, la contrôleuse générale des lieux de privation de liberté ont signalé à propos des détenus islamistes les conséquences particulièrement dommageables pour le psychisme des détenus d’un régime d’isolement prolongé. Il s’agit pour ces institutions d’une « torture blanche » (fouilles et surveillance constantes, limitation des parloirs, de l’accès à l’avocat, des promenades….). Aucun être humain ne supportera un tel traitement pendant plusieurs années, pouvant être qualifié de traitement inhumain et dégradant, contraire à l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’Homme (cf arrêt Khider c. France le 9 juillet 2009, CEDH concernant un détenu ayant le statut de
« détenu particulièrement signalé » (DPS).
La Cour européenne des droits de l’Homme relève en effet que :
* les rotations de sécurité sont contraires à l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’Homme et estime que le « nombre si élevé de transferts […] était de nature à créer chez [le requérant] un sentiment d’angoisse » (§ 111), d’où un déséquilibre « entre les impératifs de sécurité et l’exigence d’assurer au détenu des conditions humaines de détention » (§ 112).
* le maintien à l’isolement apparaît lui aussi contraire à l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’Homme. En effet, la Cour juge la durée des mises à l’isolement, l’insuffisance des motifs, toujours fondés sur la tentative d’évasion, et l’absence de prise en compte de l’aggravation de l’état de santé du détenu par suite de ces isolements contraires à l’article précité.
– La mise en œuvre d’un tel régime signifie que le sens de la peine se limite à la punition, à son aspect afflictif et infamant. L’objectif de réinsertion fixé par le code pénal n’existe plus, alors qu’en tout état de cause ces détenus sortiront un jour de prison.
– La LDH s’inquiète également pour le personnel pénitentiaire qui devra surveiller ces détenus. Non seulement l’administration pénitentiaire ne pourra pas mettre en place une formation adaptée dans les délais qui lui sont imposés puisque les premiers détenus doivent être transférés dès le printemps 2025, mais leur sécurité est gravement menacée par un tel projet. Les déclarations du garde des Sceaux selon lesquelles les juges d’instruction ou les juges des libertés tiendront désormais leurs auditions ou leurs audiences en visioconférence, néglige le fait que cela ne peut pas être imposé à ces magistrats et que, s’agissant par exemple d’auditions de mise en examen ou de confrontations, la visioconférence est impraticable.
Il est d’ailleurs prévu d’étendre les possibilités de visioconférence à l’interrogatoire de première comparution pour la mise en examen, et la LDH tient à rappeler son opposition de principe (sauf exceptions dûment justifiées par des difficultés d’éloignement géographique) à l’utilisation de la vidéo-conférence pour les auditions par des juges.
Enfin, il faudrait reprendre les travaux de chercheurs spécialisés puisqu’il semble que la constitution de gangs ait été favorisée par la concentration des trafiquants dans les prisons brésiliennes, même avec une mise à l’isolement. On peut donc s’interroger sur l’effet réel de cette mesure sur la prévention de nouvelles infractions.
Paris, le 6 mars 2025.