Lettre ouverte de la LDH à l’attention du ministre de l’Intérieur
Paris, le 13 mai 2020
Monsieur le Ministre,
Par le présent courrier, nous souhaitons en urgence attirer votre attention sur les délais de prorogation des titres de séjour et les modalités de reprise d’activité des différentes préfectures, et ce indépendamment des mesures plus générales de régularisation que nous réclamons pour les étrangers privés du droit au séjour et pour lesquelles la LDH vous a saisi par ailleurs avec ses différents partenaires.
L’ordonnance du 22/04/2020 (article 24) a prolongé la durée de validité des titres de séjour d’une grande partie des étrangers résidant en France. Ainsi, le droit au séjour des porteurs d’un titre de séjour dont la validité prend fin entre le 16 mars et le 15 mai est sécurisé par une prolongation de cette validité de 180 jours.
Actuellement en discussion à l’Assemblée nationale, le projet de loi portant diverses dispositions urgentes, prévoit que pour un certain nombre de documents de séjour, qui sont listés, ayant expiré entre le 16 mai et le 15 juin 2020, la prolongation de 180 jours s’appliquera également.
Néanmoins, il apparaît que dans la plupart des départements les services préfectoraux travailleront au ralenti, que les étrangers ne pourront se présenter sans rendez-vous ou en nombre très restreint et que, de manière générale, les délais de traitement vont nécessairement s’allonger encore davantage et de façon considérable.
De ce fait, il va être particulièrement difficile pour les étrangers porteurs d’un titre de séjour qui expire après le 15 juin de faire enregistrer leur demande de renouvellement. Ils se retrouveront ainsi exposés à une rupture de droits qui peut être lourde de conséquences, puisqu’ils perdront ainsi leur emploi et, pour nombre d’entre eux leurs droits sociaux.
En outre, dans ce contexte de reprise des services après deux mois d’arrêt total, d’autres ressortissants étrangers risquent de se trouver en grande difficulté, faute de pouvoir disposer à temps de leur titre de séjour ou du document les autorisant à se maintenir en France.
Il s’agit notamment de ceux qui sont titulaires d’un visa type C ou de ceux dont le document a expiré avant le 16 mars 2020. Ces ressortissants étrangers ne sont pas pris en compte dans l’ordonnance susmentionnée alors que nombre d’entre eux avait rencontré, avant même cette date, des difficultés récurrentes pour obtenir un rendez-vous.
Enfin des situations de grande précarité peuvent se créer ou se prolonger pour d’autres catégories, au delà du 15 juin. Ainsi, les mineurs devenus majeurs dans cette période, et évidemment toutes les personnes qui auraient pu avoir accès à une régularisation, soit de droit, soit par l’admission exceptionnelle au séjour. A cet égard, nous regrettons que le principe selon lequel la priorité serait donnée à l’examen des situations de jeunes majeurs et aux premières demandes, exposé dans le Rapport au président de la République du 24 avril 2020, ne semble pas avoir été pris en compte dans les modalités de réouverture des services.
Pour pallier ces difficultés, dont vous ne méconnaîtrez certainement pas la réalité, nous vous demandons de bien vouloir prendre un certain nombre de mesures qui pourraient aider à y faire face à court ou à plus long terme :
– l’extension de la mesure actuelle (prolongation des titres de séjour prenant fin entre le 16 mars et le 15 juin 2020) aux titres de séjour dont la validité a pris fin avant le 16 mars et à ceux expirant entre le 15 juin et le 1er septembre ;
– le renouvellement automatique de tous les titres de séjour d’un an actuellement en cours de validité en titre de séjour pluriannuel, permettant de fait d’alléger le travail des services dans les mois qui viennent et de donner effectivement la priorité aux rendez-vous qui n’ont pas encore été honorés, à l’examen des dossiers en cours et des nouveaux dossiers ;
– la délivrance automatique d’un titre de séjour de résident (valable 10 ans) à toutes les personnes qui remplissent les conditions légales pour y avoir accès ;
– l’augmentation sensible du nombre de créneaux de rendez-vous et la possibilité d’un accueil physique sans rendez-vous dans les plus brefs délais pour répondre aux urgences et informer le public des dispositions légales en vigueur ;
– la prise en compte des dossiers adressés par voie postale, en recommandé avec accusé de réception, sous réserve de convocation éventuelle ultérieure ou de demande de complément de dossier, facilitant l’instruction des demandes tant pour les usagers que pour les agents et constituant un moyen efficace de faire face à la nécessité durable de mesures de distanciation sociale.
Dans le contexte actuel, il nous semble encore plus nécessaire que les préfectures soient incitées à ouvrir un dialogue avec l’ensemble des associations agissant localement pour les droits des personnes étrangères quant aux conditions concrètes de sortie du déconfinement et aux situations les plus problématiques.
Pour la LDH, un des enjeux est de permettre au plus grand nombre des étrangers résidant en France de conserver ou d’accéder à leurs droits économiques et sociaux, de travailler et d’espérer sortir de la grande précarité, des difficultés alimentaires et des risques divers accrus par la gravité et la durée de la crise sanitaire.
Persuadés que vous partagerez cette préoccupation, nous espérons que vous accorderez une suite favorable à ces demandes.
Je vous prie de croire, Monsieur le Ministre, en l’assurance de ma haute considération.
Malik Salemkour,
Président de la LDH