Résolution adoptée par le 80ème congrès de la LDH, Paris – 10, 11 et 12 juin 2000
Quel mouvement civique pour le XXIème siècle?
Dans le Manifeste adopté à l’occasion de son centenaire, la Ligue des droits de l’homme a, à nouveau, affirmé que la seule véritable garantie des droits de l’homme était l’action des citoyens. La citoyenneté, qui ne se limite pas au droit de vote, permet à chacun d’intervenir dans la vie de la cité, et s’exprime aussi par l’action associative.
Au moment où l’on s’apprête à commémorer les cent ans de la grande loi républicaine de 1901, il faut se féliciter de la vitalité du mouvement associatif. Chaque jour plus nombreux, des citoyens organisent leur action en faisant usage de la liberté d’association reconnue par l’article 20 de la Déclaration universelle et garantie par l’article 11 de la Convention européenne des droits de l’homme.
Cette liberté n’est pas seulement le droit reconnu aux citoyens d’affirmer une volonté collective qui tisse le lien social et fait émerger des contre-pouvoirs, c’est un droit de l’individu qui reconnaît l’autre comme son égal et partage avec lui un espace de vie autour d’un projet commun.
Elle enrichit l’individu par l’action collective lorsqu’il en est fait un usage civique et cette action collective prend toute sa dimension par la prise en compte de l’intérêt général.
Associations : l’action collective des citoyens
Associations d’un caractère particulier, les partis politiques ont pour mission de concourir, comme le dit la Constitution, à l’expression du suffrage et permettent le fonctionnement des mécanismes de la démocratie représentative. Quant aux syndicats, ils ont pour rôle d’organiser l’action et la défense des travailleurs face à toute puissance patronale.
Mais, à tous les niveaux de la société, se créent et fonctionnent un nombre infini d’associations de taille et d’importance très diverses dont certaines jouent également un rôle déterminant dans la vie politique et le mouvement social tandis que de multiples formes d’engagement collectif se manifestent en dehors des formes juridiques établies.
Elles interviennent dans les domaines les plus divers de la vie. Qu’il s’agisse de la culture, de la protection de l’environnement, de l’organisation du sport et des loisirs, de la santé, de la libre expression des opinions philosophiques ou religieuses, de l’action sociale ou humanitaire, tantôt elles prennent en charge des activités d’intérêt général, tantôt elles se consacrent à l’exercice d’un droit, d’une liberté, à la défense des individus ou des groupes dont les droits et les libertés sont menacés ou violés.
Le mouvement associatif en mutation
Leurs modes de fonctionnement sont très divers. Si, par nature, les associations n’ont pas de fin lucrative pour leurs adhérents, nombre d’entre elles n’en constituent pas moins de véritables entreprises et jouent un grand rôle économique tant par l’importance des fonds qu’elles gèrent que par le nombre d’emplois qu’elles créent, que par les domaines dans lesquels elles interviennent.
L’association peut alors être un lieu d’investissement solidaire des citoyens, d’expérimentation et d’intervention économique et sociale mais aussi le paravent d’intérêts lucratifs qui trouvent intérêt à avancer masqués. De même lorsqu’elle est gestionnaire d’activités d’intérêt général, elle peut exercer plus efficacement et solidairement des missions de service public, mais aussi être instrumentalisée par les pouvoirs publics pour pallier leurs carences.
Même pour les associations civiques à vocation politique ou revendicatrice, la gestion, le fonctionnement quotidien, voire la direction, sont souvent confiés à des professionnels au risque de voir réduit le rôle des adhérents à une présence assez théorique face au pouvoir réel des permanents.
D’autre part les exigences de la communication moderne, l’informatisation, les contraintes administratives et comptables, et aujourd’hui la gestion d’un flux d’informations intensifié par le développement rapide d’Internet imposent un appareil à plein temps de plus en plus lourd pour accomplir les tâches de gestion, et aussi les tâches politiques.
Toutefois la réduction constante de la durée du travail, l’abaissement de l’âge de la retraite ne doit pas seulement accroître la durée du temps des loisirs et de la culture, mais libérer un temps civique permettant aux citoyens de devenir militants et de s’engager plus complétement dans l’action collective. La direction effective des associations peut être effectuée par des militants, insérés par ailleurs dans la vie de la société. Il faut aujourd’hui approfondir la réflexion sur un statut du bénévole.
La LDH dans le mouvement associatif
Les formes et les modes d’organisation ont considérablement évolué de même que les raisons et les modalités de l’engagement civique. Certes, les manifestations, les réunions publiques, les pétitions continuent d’exister mais les moyens nouveaux de communication, la dimension nécessairement médiatique de toute intervention qui se veut efficace, imposent d’innover et de trouver de nouveaux modes de lutte et d’intervention. De même les exigences d’une compréhension plus grande des raisons de l’action par des citoyens mieux informés et plus soucieux d’autonomie personnelle doivent conduire vers des modes d’organisation plus ouverts.
La Ligue française pour la défense des droits de l’homme et du citoyen s’est créée il y a cent ans pour combattre une injustice commise au nom de la raison d’État. Mouvement politique et civique, indépendant de tout pouvoir, qui se refuse à se situer sur le terrain électoral, elle a agi tout au long du 20ème siècle, reliant l’action politique et le mouvement social en affirmant l’indivisibilité de tous les droits et la nécessité de combattre les abus de la « raison économique » comme ceux de la raison d’État.
Mais on ne peut pas vivre que de son histoire, n’exister que par son image, et la LDH centenaire sait qu’il lui faut, pour répondre aux exigences d’aujourd’hui, se développer, élargir son champ d’intervention, adapter sa compétence, mobiliser de nouvelles générations de militants, faire preuve d’audace dans la recherche de formes d’action et d’organisation.
Si la Ligue des droits de l’homme n’existait pas, il faudrait l’inventer pour atteindre les objectifs qu’elle s’est donnés lors des manifestes adoptés à sa création et à l’occasion de son centenaire. Que devraient être alors ses modes d’intervention, ses modes d’organisation ?
Face à la multiplication des associations qui poursuivent un objectif déterminé, c’est justement le fait qu’elle ait en charge la défense de l’ensemble des droits qui fait sa spécificité et lui donne vocation à intervenir chaque fois qu’il faut défendre une liberté ou faire reconnaître un droit. Elle peut ainsi joindre ces luttes diverses et parvient souvent à réunir autour d’une action précise ceux qui sont divisés.
« Généraliste », elle doit aussi faire preuve de compétence sur chaque aspect particulier, reconnaître ses lieux d’intervention, aller à la rencontre des formes d’organisation qui se mettent en place au gré des problèmes que pose la diversité sans cesse accrue de la société.
Lorsque des comités éphémères naissent face à un événement ponctuel qui les émeut ou les révolte, des citoyens se mobilisent, très souvent autour de personnalités médiatiques et la LDH doit mettre sa compétence au service de ceux qui s’engagent souvent ainsi pour la première fois et assurer le lien avec le mouvement associatif organisé.
Quel mouvement civique pour demain ?
La Ligue n’est pas seulement dans la Ligue. Elle n’a de sens que si elle est ouverte sur la vie de la société. A tous les niveaux de l’organisation, il faut être présents dans les réseaux associatifs qui se constituent et promouvoir ces réseaux.
La LDH, association de militants doit savoir aussi, comme à ses origines, réunir autour de l’objectif qui est le sien des citoyens qui ont d’autres engagements ou exercent des responsabilités dans le combat politique ou le mouvement social, ou qui participent à la vie intellectuelle, scientifique ou artistique.
L’action sur le terrain est primordiale pour la vie de l’association. Les sections doivent être présentes dans les communes, les quartiers, les agglomérations ou « pays », les entreprises, les écoles ou Universités ou tout autre lieu où s’organise une vie collective.
La Ligue des droits de l’homme a tenu dans son histoire un rôle essentiel, celui de « vigie de la République ». Il nous faut le renouveler en complétant notre expression écrite par le développement d’un site Internet de référence, la consolidation de l’Université d’automne qui doit prendre le nom d’Université des droits de l’Homme et la publication de rapports sur l’état des libertés et des droits en France.
Notre action ne peut plus être seulement hexagonale : l’intégration européenne est en marche. Il existe aujourd’hui une sorte de « raison européenne » qui laisse peu de place à la citoyenneté. C’est la raison pour laquelle avec les autres Ligues des pays de l’Union nous créons la Ligue européenne des droits de l’homme.
Dans le même mouvement la LDH doit renforcer le Réseau euro-méditerranéen des droits de l’homme qui regroupe les associations civiques des divers pays de la région pour faire entendre la voix des citoyens du Nord et du Sud.
Nous avons affirmé que « face à la mondialisation de l’économie, c’est la mondialisation des droits, de tous les droits qu’il faut promouvoir pour qu’ils deviennent vraiment universels ». En l’état actuel de l’organisation politique du monde, nous voulons agir d’abord ici, en coordonnant notre action avec ceux qui agissent ailleurs dans la solidarité des luttes face aux États mais aussi aux multinationales. Le cadre d’une fédération des diverses ligues nationales, celui de la FIDH, est bien celui de cette solidarité.
La LDH affirme une nouvelle fois que les droits de l’Homme ne sont pas ceux d’individus abstraits et livrés à eux-mêmes dans une société mondialisée. Seule l’action collective peut faire de l’Homme un citoyen capable de peser sur son destin et d’être partie prenante d’un avenir commun. La liberté d’association est l’instrument des citoyens pour assurer la garantie de tous les droits.