Par Malik Salemkour, président de la LDH
La LDH, lors de son Congrès de Niort en 2013, a posé les bases d’une citoyenneté à repenser et à inscrire dans une nécessaire refondation de notre démocratie. Dans cette résolution intitulée « République, diversité territoriale et universalité des droits », nous y affirmions :
« Face à ce couple infernal de l’uniformité et de l’ethnicisation, nous défendons à la fois l’universalité des droits, comme condition de l’égalité en dignité et en droits, et la reconnaissance des identités multiples qui font l’humanité ainsi que les singularités territoriales qui font les sociétés. Sans cette double reconnaissance, il n’y a ni liberté authentique, ni égalité réelle, ni respect des peuples, des langues et des cultures. »
C’est fort de cette position que j’ai effectué les 25 et 26 août derniers une visite en Corse. Comme président de la LDH élu en juin dernier, j’ai tenu d’abord à exprimer notre entière solidarité envers nos militant-e-s qui agissent inlassablement pour l’égalité des droits dans un contexte difficile, notamment témoigner notre total soutien à André Paccou, responsable de la LDH en Corse, et gravement menacé par des mouvements d’extrême droite.
La Corse vit une actualité institutionnelle et politique inédite.
En juin 2014, le FLNC a annoncé unilatéralement l’abandon de la lutte armée. Cette décision était d’importance, changeant la donne politique et ouvrant des perspectives nouvelles par la voie démocratique. Les mouvements nationalistes, régionalistes ou indépendantistes ont ensuite obtenu une majorité de coalition en décembre 2015 à la collectivité territoriale portant Gilles Simeoni, président du Conseil exécutif et Jean Guy Talamoni, président de l’Assemblée territoriale. Les législatives de juin 2017 ont confirmé cette évolution du paysage politique avec l’élection de trois député-e-s nationalistes sur quatre. Le résultat des élections de décembre prochain pour la « Collectivité de Corse » permettra d’apprécier les rapports de force et les attentes des Corses.
L’Assemblée nationale a adopté le 22 février 2017 un projet de loi ratifiant trois ordonnances conduisant à la création au 1er janvier 2018 d’une collectivité unique, la « collectivité de Corse », par la fusion de la « collectivité territoriale de Corse » (région) et des deux départements. Elle deviendra ainsi pleinement une collectivité à statut particulier, au sens de l’article 72 alinéa 1er de la Constitution, réforme engagée mais inaboutie depuis 1991. La LDH avait alors déploré la censure du Conseil constitutionnel refusant de penser un « peuple corse, composante du peuple français ».
Il ne revient pas à la LDH de choisir entre telle ou telle option politique ou institutionnelle pour l’avenir de la Corse. Fidèle à ses valeurs, elle se doit d’accompagner cette démocratie à l’œuvre en y réaffirmant l’impérieuse conciliation des identités, de la singularité et de l’universalité par une citoyenneté effective et inclusive de tous les résident-e-s de Corse, réuni-e-s dans une communauté de destin. Cette citoyenneté de résidence à construire pourra éclairer nos réflexions au-delà de la Corse.
Le rôle de l’État dans ce processus est important. Il lui revient d’en prendre la mesure, d’assurer un dialogue et une écoute constante de toutes les parties prenantes et de traiter la Corse dans le respect du droit commun, abandonnant tous régimes d’exception dans lesquels elle a été trop longtemps placée. Ainsi, des revendications légitimes attendent toujours des réponses satisfaisantes comme celle demandant le rapprochement des prisonniers corses, incarcérés dans des maisons d’arrêt de l’hexagone, rien ne justifiant ce traitement dérogatoire. Des gestes d’apaisement sont également attendus en matière d’intervention policière et judiciaire particulièrement vis-à-vis des jeunes. Des rencontres avec plusieurs organisations de jeunesse, il ressort une vive inquiétude face au cycle de répressions policières des manifestations locales régulières demandant justice, au départ pour un supporter qui a perdu un œil par un tir de flash-ball à l’issue du match Reims-Bastia en février 2016. La section de Corse a saisi le préfet et le procureur pour les prévenir d’un réel risque d’embrasement. J’alertai le ministre de l’Intérieur lors d’un rendez-vous prochain sur ces pratiques dangereuses et sur l’incompréhension de cette jeunesse des intentions apparentes de L’État.
Parallèlement les organisations de jeunes rencontrées se sont dites prêtes à travailler, avec la LDH, contre un fléau dont la Corse n’est pas épargnée : le racisme et la poussée de l’extrême droite. Rappelons les 48,52% obtenus par la candidate du Front national au deuxième tour de la présidentielle de 2017, après avoir été en tête au premier tour avec 27,88% des suffrages exprimés. Des actes antimusulmans et des tensions communautaires sont aussi à signaler comme ailleurs en France. Alors que s’affirme la singularité de la Corse, la promotion de sa culture et de sa langue, cette communauté de destin à construire doit associer tous les résidents de Corse, travailler les identités plurielles et la diversité avec une lutte déterminée contre le racisme et les discriminations envers les musulmans et les ressortissants étrangers.
En 1755, Pascal Paoli a fait adopter une constitution qui fit de la Corse la première république démocratique moderne d’Europe, reposant sur la séparation des pouvoirs et un suffrage universel ouvert aux femmes. La Corse a ainsi déjà su être un modèle pour la France et l’Europe. Avec sa position particulière au cœur de la Méditerranée, son avenir aujourd’hui n’est pas écrit. Il le sera par la puissance d’une démocratie innovante et par l’invention d’une citoyenneté de résidence qui implique toute la société corse. La LDH, à sa place, aidera à ouvrir ce chemin de progrès, d’égalité, de justice et de fraternité. Aux Corses d’en décider et de montrer une voie nouvelle, utile à toutes et à tous.