S’attaquer à la démocratie environnementale ne fera pas gagner du temps aux projets industriels. La LDH s’oppose au projet de décret

Contribution de la LDH  à la consultation publique du ministère de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires au sujet du projet de décret modifiant les catégories de projets soumis à la Commission nationale du débat public (CNDP)

La LDH (Ligue des droits de l’Homme), en tant qu’association engagée dans la défense des droits humains et des principes démocratiques, exprime sa vive opposition au projet de décret modifiant les catégories de projets soumis à la Commission nationale du débat public (CNDP).
Le projet de décret a pour objet de supprimer la ligne 10 consacrée aux équipements industriels du tableau de l’article R. 121-2 du Code de l’environnement. Il vise à supprimer la saisine de la CNDP pour les équipements industriels, qui était jusqu’alors obligatoire pour pour les équipements industriels dont les coût des projets (bâtiments, infrastructures, équipements) était supérieur à 600 M €, et facultative pour ceux dont les coût des projets (bâtiments, infrastructures, équipements) était supérieur à 300 M €.
Autrement dit, ce projet représente une atteinte grave à la démocratie environnementale, en affaiblissant les mécanismes de participation du public indispensables à une prise de décision éclairée et acceptée sur les projets industriels d’ampleur.

1. Une attaque contre la démocratie environnementale
La suppression de l’obligation de saisine de la CNDP pour les grands projets industriels entache la transparence des décisions publiques et restreint les espaces de dialogue démocratique.
Or la CNDP garantit un accès à l’information et une participation citoyenne essentielle pour évaluer les impacts environnementaux, sociaux, économiques de ces projets.
Ce projet de décret contrevient au droit constitutionnellement protégé de chacun d’accéder aux informations relatives à l’environnement détenues par les autorités publiques et de participer à l’élaboration des décisions publiques ayant une incidence sur l’environnement (article 7 Charte de l’environnement).
Mais ce projet de décret va également à l’encontre de l’esprit et de la lettre de la Convention d’Aarhus sur l’accès à l’information, la participation du public au processus décisionnel et l’accès à la justice en matière d’environnement, dont la France est signataire.

2. Des impacts environnementaux et sociétaux insuffisamment pris en compte
Les grands projets industriels génèrent souvent des externalités négatives majeures.
Ces conséquences, complexes et de long terme, nécessitent un dialogue approfondi avec les citoyens, les collectivités locales et les experts dès la conception des projets, tout comme leur suivi dans le temps long.
En restreignant les possibilités de débats publics, ce décret affaiblit la capacité collective à mieux identifier en amont les possibles impacts environnementaux, mieux les prévenir ou y apporter des solutions, mieux insérer les projets dans un cadre adapté aux besoins et réalités spécifiques des territoires concernés.
Il est paradoxal que, dans un contexte de crise écologique, mais aussi de crise démocratique, la participation citoyenne soit perçue comme un frein, alors qu’elle constitue un levier pour construire des projets industriels acceptés socialement et s’inscrivant dans le temps.

3. Une source accrue de contentieux
En écartant les débats publics préalables, le décret risque de favoriser le caractère vertical de la mise en œuvre des projets industriels, renforçant la défiance des citoyens envers les décideurs et les porteurs de projets.
Cette approche conduira à accroître les tensions locales, et partant alimentera une hausse du risque de contentieux en justice concernant ces projets. Les avis légitimes qui n’auront pas pu s’exprimer dès la phase de conception, le seront devant les tribunaux.
In fine, la suppression de l’obligation de saisine de la CNDP conduira non seulement à affecter la sécurité juridique des projets, mais aussi à les retarder bien plus encore, dans le cadre de contentieux, longs et complexes, qui peuvent bloquer ou remettre en question les projets de manière plus profonde qu’un soi-disant retard initial lié à un débat public.
La concertation préalable avec un garant, présentée comme une alternative, est insuffisante.
Tout d’abord, parce qu’elle est facultative : la décision de s’y soumettre dépend du porteur de projet. Dans la plupart des cas, ceux qui portent des projets contestés refuseront de s’y soumettre, ce qui limitera fortement le débat démocratique.
Au-delà, la procédure de concertation est trop allégée par rapport aux débats organisés sous l’égide de la CNDP. Elle ne garantit ni la même qualité de dialogue ni la transparence des informations fournies aux citoyens.

4. Une approche incohérente avec les enjeux de long terme
Les projets industriels ont des conséquences étendues sur plusieurs décennies.
L’exclusion des grands équipements industriels du champ de la CNDP, sous prétexte de simplification administrative, reflète une vision à court terme tout autant qu’un recul devant la pression d’acteurs hostiles à la démocratie participative.
Considérer le débat public comme une perte de temps est une erreur : ces processus permettent d’améliorer les projets, de fournir une contre-expertise citoyenne et de favoriser l’acceptation de certains aspects par la société.

5. Un dangereux précédent pour la démocratie participative
Ce décret pourrait ouvrir la voie à de nouvelles dérogations allant au-delà des seuls projets industriels. Il pourrait constituer un précédent, mettant en danger des catégories entières d’opérations relatives aux projets d’aménagement ou d’équipement dont la Commission nationale du débat public est saisie de droit, qui relèvent du même champ.
La crainte est que ce projet de décret ne soit que la première pierre de la suppression pure et simple des saisines de la CNDP, ce qui marquerait un grave recul démocratique pour notre pays.

6. A l’inverse, renforcer les moyens de la CNDP
Plutôt que de restreindre les compétences de la CNDP, nous proposons de renforcer ses moyens, afin de maintenir un haut niveau de participation du public et de transparence sur les projets qui nous concernent toutes et tous. La possibilité aujourd’hui ouverte de saisine citoyenne de la CNDP devrait en particulier être élargie. Au vu des défis écologiques, il serait largement contre-productif d’engager de nouveaux projets industriels en sacrifiant la démocratie environnementale.

Conclusion
En affaiblissant le mandat de la CNDP, ce projet de décret remet en question des principes essentiels de démocratie participative et environnementale, menace l’acceptabilité sociale des projets industriels et compromet la transition écologique. C’est pourquoi la LDH appelle à l’abandon du projet de décret.

Paris, le 27 décembre 2024

 

Un exemple du travail de la LDH en matière de démocratique environnementale qui pourrait être remis en cause par ce décret 

Le 22 novembre 2024, après un an de travail, le groupe « déni démocratique » de la LDH de Toulouse a finalisé son rapport d’enquête sur l’analyse de onze projets d’aménagements à impact environnemental sur la région toulousaine (avec l’aide méthodologique de Léa Sébastien, géographe au CNRS).  Malgré les nombreux cadres normatifs internationaux ou nationaux, les pratiques rapportées par les collectifs auditionnés montrent clairement une absence de démocratie environnementale. Ce rapport illustre de manière concrète les procédés à l’œuvre qui l’empêchent de fonctionner et ne permettent pas de préserver le cadre de vie et l’avenir des générations futures comme nous y invite la charte de l’environnement inscrite dans le préambule de la Constitution française. Le rapport formule aussi des préconisations ayant pour but de garantir des processus décisionnels démocratiques en conformité avec les cadres juridiques et rétablir ainsi la confiance entre les citoyens et les institutions. Lire le rapport / Lire la synthèse du rapport

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