Déclaration signée par la LDH
Pour signer: https://s2bnetwork.org/eumercosuralternatives/
Nous sommes convaincus que les pays du Mercosur (Brésil, Argentine, Uruguay, Paraguay) et l’Union européenne (UE) doivent transformer et améliorer leurs relations. Au cours des trois dernières années, des mouvements sociaux, des organisations de la société civile, des syndicats et des associations de paysans des deux côtés de l’Atlantique se sont mobilisés ensemble, avec succès, pour empêcher la ratification de l’accord de libéralisation du commerce UE-Mercosur. L’accord proposé favoriserait en effet les intérêts économiques des entreprises multinationales au détriment de la planète, des populations indigènes, des paysans, des travailleurs et du bien-être des animaux, et aggraverait la désindustrialisation ainsi que les inégalités sociales. Des conséquences insoutenables que ne sauraient neutraliser un protocole ou une déclaration annexée à l’accord existant. Les relations économiques actuelles entre les pays de l’UE et ceux du Mercosur sont par ailleurs fondées sur un rapport de force asymétrique et un échange inégal, façonnés par une histoire coloniale aux effets dévastateurs sur les personnes, la biodiversité et la planète.
Nous, organisations soussignées, pensons donc que l’accord UE-Mercosur doit être arrêté et qu’il est temps de fonder notre avenir commun sur les principes de solidarité, d’égalité, de coopération, de soutenabilité et de démocratie. Notre objectif ne doit pas être de déployer un commerce plus effréné et incontrôlé et d’assurer des profits pour quelques-uns, mais de garantir une bonne vie pour tous. Le commerce peut nous aider dans la transition vers des sociétés et des méthodes de production soutenables, mais seulement si nous le fondons sur de nouveaux principes. Nous proposons que les négociations concernant les relations politiques, économiques et commerciales soutenables entre les deux régions soient fondées sur les principes suivants.
Solidarité
Les relations futures entre l’UE et les pays du Mercosur ne doivent pas être fondées sur l’exploitation mais sur la solidarité. Par conséquent, les droits humains, ceux des travailleurs, des populations autochtones, des paysans ainsi que la protection de la biodiversité et du climat, et le bien-être des animaux, doivent être mis au premier plan. Ces droits doivent être universellement garantis. Leur protection doit primer sur tout intérêt commercial ou d’affaires. Et ils doivent pouvoir être appliqués en vertu du droit international des droits humains, et non via de nouveaux accords de commerce et d’investissement. Nous ne pouvons plus permettre aux entreprises transnationales de profiter des asymétries économiques et des inégalités des droits.
Façonner notre avenir de manière solidaire, c’est aussi reconnaître et réparer les relations manifestement injustes qui découlent de l’histoire du colonialisme et de l’exploitation. Par conséquent, nous devons chercher activement à décoloniser les relations entre les deux régions. Cela commence par la reconnaissance et la prise en charge de la dette historique sociale, écologique, financière et climatique que l’Europe a généré envers les peuples des pays du Mercosur, son remboursement, y compris par le biais de financements publics de l’UE pour des projets de développement des peuples du Mercosur en faveur de sociétés justes et soutenables et, en termes de commerce, par le fait d’accorder aux pays, industries et producteurs du Mercosur un traitement horizontal spécial et différencié.
Égalité
Les politiques commerciales et d’investissement ont jusqu’à présent contribué à accroître les inégalités, entre les régions et au sein des populations, et à renforcer les relations de pouvoir telles que le patriarcat, le racisme et le néocolonialisme au profit des entreprises multinationales et des grands propriétaires terriens. Un futur accord entre l’UE et les pays du Mercosur doit changer de cap et contribuer à accroître l’égalité. Cela commence par la reconnaissance des droits des populations autochtones et le soutien aux communautés rurales, y compris les Quilombolas de descendance africaine, les paysans avec peu ou sans terre, tant en Europe que dans le Mercosur, les populations qui vivent d’une pêche de subsistance à petite échelle, afin qu’elles préservent leurs terres et leurs cultures et évitent le commerce de tout produit susceptible de les menacer.
Il s’agit également de dépasser, des deux côtés de l’Atlantique, les modèles économiques fondés sur l’appropriation du travail reproductif non rémunéré et sous-payé, ainsi que la discrimination des femmes sur le marché du travail, qui profitent aux entreprises transnationales, renforçant ainsi les structures patriarcales. Au contraire, un futur accord devrait favoriser des approches publiques et communautaires des soins. Par conséquent, les services publics et sociaux fournis par l’État sont un droit humain à but non lucratif et doivent être enracinés localement et respectés par tout accord international.
Coopération
La coopération, et non la concurrence, devrait être le principe sur lequel nous devons baser les relations entre l’UE et le Mercosur. Seules les grandes entreprises gagnent lorsque l’on dresse les travailleurs et les agriculteurs les uns contre les autres.
L’UE et le Mercosur devraient être en mesure de protéger les familles paysannes et les petits agriculteurs contre la concurrence déloyale tandis que les pays du Mercosur devraient être en mesure de protéger les industries nationales qui fournissent des emplois de haute qualité.
La coopération signifie que nous ne devons pas chercher à accroître le commerce entre les pays de l’UE et ceux du Mercosur comme un but en soi, mais que nous devons avant tout améliorer les partenariats commerciaux pour ce qui est produit de manière soutenable et qui n’est pas facilement disponible d’un côté ou de l’autre de l’Atlantique.
Tout accord futur doit inclure le transfert de technologies et de connaissances, sans droits de propriété intellectuelle contrôlés par les entreprises, afin de soutenir la nécessaire transformation sociale et technologique de nos économies en apprenant les uns des autres.
Soutenabilité
Un accord futur doit contribuer à la transition vers des sociétés et des méthodes de production soutenables, se fonder sur les principes de la souveraineté alimentaire, de l’agroécologie, des soins et garantir la réciprocité des normes de qualité élevées dans tous les domaines, une fois que l’UE aura pris des mesures de décolonisation et que le traitement spécial et différencié aura été promulgué.
Le développement soutenable n’est pas quelque chose que l’on ajoute à la fin d’un accord dans un chapitre séparé, sans force exécutoire. C’est une question transversale fondamentale. Par conséquent, nous devons nous efforcer de ne commercialiser que des produits qui ne nuisent pas à la planète, aux animaux et aux populations. Cela signifie qu’il faut mettre un terme au commerce des produits agricoles issus de monocultures, comme le soja et la canne à sucre, et de l’élevage intensif qui alimente la déforestation, la perte de biodiversité et la propagation des zoonoses. Au lieu de cela, nous devrions échanger des produits soutenables, en privilégiant les produits locaux et nationaux lorsque cela est possible. Il s’agit également de mettre fin à l’exportation vers le Mercosur de produits nocifs et dangereux, tels que les pesticides qui sont interdits en Europe. Le commerce soutenable implique également de réduire les émissions dues aux transports. Les relations UE-Mercosur ne peuvent pas être fondées sur l’extraction de ressources situées au bas de la chaîne de valeur au profit des économies européennes. Les populations du Mercosur doivent avoir le droit de dire non aux pratiques extractivistes néfastes et d’exiger un prix équitable pour leurs ressources. Les relations commerciales UE-Mercosur doivent se concentrer sur des méthodes de production soutenables et sur des produits qui ne sont disponibles ni dans l’UE ni dans le Mercosur.
Démocratie
Enfin, la relation entre les peuples du Mercosur et l’UE ne peut être décidée à huis clos. Tout futur accord doit être fondé sur les principes ci-dessus, de manière démocratique, participative et transparente. Ce processus doit placer les personnes les plus touchées au premier plan. Les peuples indigènes, les petits agriculteurs et les familles paysannes, les femmes et les hommes, les travailleurs et la société civile doivent être à la tête d’un tel processus, afin de garantir le respect de leurs intérêts et des frontières planétaires. Les droits des peuples autochtones, des paysans, des travailleurs et des femmes doivent être respectés, et les populations des deux régions doivent avoir le droit de dire NON à tout accord qui ne sert pas leurs intérêts légitimes et leurs aspirations à des sociétés démocratiques, soutenables et justes.
En outre, tout accord futur doit préserver le droit à réguler le plus large possible des gouvernements afin qu’ils puissent remplir leurs mandats d’intérêt public, condition préalable à la démocratie. Aucune clause en matière de commerce et d’investissement ne devrait être adoptée si elle devait menacer ce droit à réguler. Notre avenir commun dépend du renforcement des démocraties et du pouvoir des citoyens, et non du renforcement et de la consolidation des intérêts particuliers et du pouvoir des entreprises.