Lettre interministérielle du Collectif des associations unies (CAU) dont la LDH est membre
A l’attention de Madame Emmanuelle Wargon, ministre déléguée auprès de la ministre de la Transition Ecologique, chargée du Logement,
De Monsieur Olivier Véran, ministre des Solidarités et de la Santé.
Et de Monsieur Gérald Darmanin, ministre de l’Intérieur
Madame et Messieurs les Ministres,
Dans ce contexte de crise sanitaire et sociale inédit, le Collectif des Associations Unies qui regroupe 39 associations nationales participant à l’accès au logement et à l’hébergement des personnes les plus démunies, tient à vous alerter sur les expulsions locatives ainsi que sur les expulsions de campements, squats et bidonvilles. Alors que des instructions ont été données aux préfets le 2 juillet afin de conditionner les expulsions et les remises à la rue à une solution de relogement ou d’hébergement, aucune consigne n’a été communiquée pour protéger les populations vivant dans ces lieux de vie informels, dont la situation est très préoccupante.
Mardi 28 juillet 2020, Madame la Ministre Emmanuelle Wargon déclarait dans les médias que « Les sans domiciles fixes ne doivent pas être les oubliés de cette crise sanitaire ». Pourtant, à ce jour, 9 bidonvilles ont été expulsés depuis la fin de l’état d’urgence sanitaire, renvoyant au moins 441 personnes à un parcours d’errance à la rue. 36 autres squats et bidonvilles regroupant plus de 1940 personnes sont menacés d’une expulsion imminente en France métropolitaine. Parmi elles, des familles avec des enfants, des femmes enceintes, des personnes âgées et des personnes malades, qui ont particulièrement souffert pendant le confinement. Les expulser sans solution d’hébergement ou de relogement risque de provoquer une rupture dans leur accès aux soins dans un contexte sanitaire déjà très anxiogène et alors même que des actions de dépistage, de protection et de prévention avaient été mises en oeuvre pendant le confinement. Alors qu’ils constituent déjà un public sanitairement fragile du fait de leurs conditions d’habitat extrêmement précaires, les expulsions à répétitions rendent impossible un accès aux soins continu et nécessaire pour ces personnes. De plus, un grand nombre de ces lieux de vie fait l’objet d’un accompagnement associatif, souvent financé par l’Etat, de sorte qu’expulser leurs habitants risquerait de briser leurs parcours d’insertion vers le logement et l’emploi, et bouleverserait la scolarisation des enfants.
Au-delà de ces expulsions, les associations de lutte contre l’exclusion s’inquiètent des évacuations de campements en cours. Ce mercredi, plus de 2100 exilés ont été expulsés sans préavis d’un campement installé le long du Canal Saint-Denis. La grande majorité n’en est pas à leur première expulsion, alors que 70 % d’entre eux sont des demandeurs d’asile et 20 % sont bénéficiaires d’une protection internationale accordée par la France. Ce soir, en pleine reprise épidémique, ces personnes dormiront dans des gymnases, des dispositifs temporaires et inadaptés au contexte sanitaire. Plus de 300 expulsions sont intervenues à Paris au cours de ces cinq dernières années. Le Ministère de l’intérieur admet pourtant que seulement la moitié des demandeurs d’asile sont aujourd’hui hébergés dans le dispositif national d’accueil, faute de place disponible. L’urgence est donc d’ouvrir des capacités d’accueil supplémentaires en CADA et HUDA pour éviter la reconstitution de ces campements indignes et la répétition des expulsions.
A Calais et à Grande-Synthe, nous assistons à une violation des droits fondamentaux : 711 expulsions de lieux de vie informels ont été ordonnées depuis le 1er janvier 2020, souvent des habitats précaires en tente. Ces expulsions sans propositions d’hébergement sont quasi quotidiennes, et aucune pause n’a été observée dans ces opérations policières durant l’état d’urgence sanitaire. La situation sanitaire est catastrophique : l’absence d’information, le manque d’’accès à l’eau et à l’hygiène, mettent en danger des centaines de personnes, dont des enfants en bas âge, des mineurs non accompagnés et des personnes vulnérables ou blessées survivant et dispersées dans des lieux de plus en plus isolés.
Nous souhaitons également vous alerter concernant des expulsions locatives ne respectant pas l’instruction ministérielle du 2 juillet 2020, qui vise à garantir une solution de relogement effective et adaptée aux occupants dont l’expulsion a été ordonnée judiciairement. En Ile-de-France, et particulièrement en Seine-Saint-Denis, des ménages sont expulsés sans proposition de relogement ni même a minima d’hébergement. Lorsque des propositions d’hébergement sont faites, elles se font à l’hôtel, une solution insatisfaisante et inadaptée pour les familles.
Face à la gravité de la situation, le Collectif des 39 associations Unies vous demande d’agir auprès des autorités locales concernées, afin de rendre effective l’instruction ministérielle du 2 juillet. Un moratoire des expulsions de squats et bidonvilles sans solutions pérennes et adaptées doit être instauré, accompagné d’un redimensionnement du parc d’hébergement, pour permettre des mises à l’abri inconditionnelles, volontaires, dignes et durables.
Nous sommes à votre disposition pour un échange sur ces situations et nous vous prions de croire, Madame et Messieurs les Ministres, en l’assurance de nos sentiments respectueux
Pour le Collectif des Associations Unies, les porte-paroles
Christophe Robert, Délégué Général de la Fondation Abbé Pierre
Florent Guéguen, Directeur Général de la Fédération des acteurs de la solidarité
Paris, le 30 Juillet 2020