Par Dominique Guibert, vice-président de la LDH
La Coupe du monde de football mobilise. Où est le bien, où est le mal ? Les avis divergent, comme à chaque fois qu’une activité est humaine. Voici un inventaire sans hiérarchie et exhaustivité des mots du foot, version 2014.
Amérindiens
C’est la cérémonie d’ouverture. Dans l’un des tableaux du spectacle, trois enfants – un blanc, un noir, un indien – doivent symboliser le Brésil du futur. Le jeune indien sort de sous son vêtement une petite banderole portant le mot d’ordre de limitation des territoires sur lesquels vivent les peuples de la forêt d’Amazonie. Elles sont soumises à une mortelle chasse à l’espace voulue par les promoteurs et fortement relayée par les pouvoirs locaux. Mais les télévisions ont totalement ignoré ce geste symbolique. Il faut dire que la Fifa a prévenu : on ne fait pas de politique pendant le Mondial.
Barbecue
C’est une publicité télévisuelle. Un être humain – un homme bien sûr – regarde la télévision, décontracté, assis à côté d’un flambant neuf barbecue à gaz, super propre. Sa femme arrive – et je n’ai qu’à plonger dans l’eau et… –, il se lève rapidement comme pris en faute, comme s’il avait tout fait pour se soustraire à d’autres tâches ménagères. Et sa femme de déclarer : « tu vas avoir le temps de coucher les enfants ! ». Regard désolé du pauvre gars qui pensait échapper à ce pensum.
Brasil
Samba, bossa nova, soleil, mer, danse, chanson, Corcovado, Maracana, Auriverde… Tout le monde fait Brésil, tout le monde parle Brésil. Jusque dans les publicités qui n’ont absolument rien à voir avec le foot. Dans le métro parisien, dans les journaux, on est « vivaçao » sinon rien. Et l’on passe plus vite sur favelas, police militarisée, déforestation, pollution, prostitution, misère, criminalité, etc. Certes, aucun organe de presse digne de ce nom ne peut ignorer l’ampleur et le nombre des manifestations qui ont défrayé la chronique sociale du pays dans les semaines qui ont précédé l’ouverture de la compétition. Mais quant à en faire le revers présentable de la médaille, c’eut été une autre paire de manche. Et depuis, les cris de misère et de colère se sont vus estompés par les frénétiques « Goals ! » et autres « Buts ! », qui font des chroniqueurs sportifs les hérauts du monde présent. Et pourtant, qui entend ces commentaires peut se dire que le journalisme sportif est au journalisme ce que la musique militaire est à la musique.
Chéri
C’est une autre publicité du même métal que l’on peut voir depuis quelques semaines. Un homme se réveille, immensément barbu et chevelu, il se prépare et glabre et tondu, descend, rencontre sa femme – « ça va mon chéri ! » –, ses enfants – « Papa ! » –, se colle devant son grand écran pendant qu’une voix off dit « On attendait ça depuis quatre ans ». Il porte le maillot bleu de l’équipe nationale. Il salue d’un geste tendre sa femme, na parle pas à ses enfants. Sourire béat de celui qui dort depuis quatre ans.
Dilma
Dilma Rousseff, présidente du pays hôte, est copieusement sifflée par le public du stade. Et pourtant, Dilma, c’est la successeure – je sais, ce mot n’existe pas, mais c’est peut-être mieux cependant que successeuse et que suivante ! – de Lula à la présidence du pays. Et tous les hommes de pouvoir, dans la politique et dans le sport, de s’offusquer. On ne mélange pas le sport et la politique. Comme si c’était vrai. Comme si la dévolution à un pays donné de l’organisation d’événements aussi importants ne contenait pas des rapports de forces internationaux et stratégiques. Voyez le nom du pays qui organisera la compétition dans quatre ans, le Quatar. La présidente brésilienne, malgré l’amélioration notable de la situation des plus pauvres grâce à la « bolsa » – une politique publique pour combattre les inégalités – paye la détérioration de la situation économique et sociale, l’absence de politique de l’emploi, de ressources pour les services publics, la corruption endémique. Au Brésil, les riches sont encore plus riches qu’auparavant et l’écart entre ceux-là et les pauvres s’est encore accentué.
Futbol
Parmi les sports, le foot est l’un des plus contradictoires. C’est celui auquel tous les gamins du monde se réfèrent et s’identifient. C’est le seul sport mondial. Un monde d’illusion et de rêve. Les dizaines de millions annuels que gagnent quelques dizaines de vedettes de ce sport sont insupportables parce qu’il n’existe pas de domaine de l’activité humaine qui justifie une telle ponction sur les richesses. Mais aussi un univers de socialisation et de partage, par exemple dans les clubs qui font de leur insertion dans la cité l’axe majeur de leur travail. C’est pour cette raison que la LDH continue à mener son combat contre les discriminations qui existent dans le sport : en raison du sexe, de la nationalité, de l’orientation sexuelle, ou toutes autres, présentes à des degrés divers dans des pays différents. Le sport c’est comme tout, les cohérences sociétales y agissent à plein. Et l’oppression des femmes dans l’un, des minorités dans l’autre, des homosexuels dans le troisième sont visibles dans le sport comme dans la société.
Politique
L’analyse critique du sport permet de comprendre combien la compétition sportive a à voir avec les phénomènes de domination. Pour certains, le sport de compétition est la poursuite de la guerre sous d’autres formes. Comme la guerre est la poursuite de la politique avec d’autres moyens. On peut alors poursuivre le syllogisme. Le sport est la suite de la politique avec d’autres moyens. Où l’on voit que celles et ceux qui veulent séparer rigoureusement les deux sphères sont aussi crédibles qu’un paquet de lessive cherche à camoufler qu’il est produit par la grande industrie chimique. La vérité est qu’aucun événement, quelle que soit sa nature qui met en jeu les populations du monde, n’échappe à la politique. Pas celle du clinquant, celle du devant des postes que l’on s’échange entre pairs, mais celle des rapports de pouvoirs et des économies de la puissance. Celle des Jeux olympiques de Berlin en 1936, de ceux de Mexico en 1968, du Mondial sous la dictature argentine. C’est Pékin 2008, Sotchi 2013, et tant d’autres… Ce sont les pays « ex-soviétiques » boycottant Atlanta, et les pays « occidentaux boycottant Moscou. Alors, il est vrai que « panem » va avec « circenses ». Mais la vraie guerre va avec désolation et destruction. Les deux faces de la même réalité en quelque sorte.