La Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH) a procédé d’office à un examen de la proposition de loi complétant la loi du 15 juin 2000 renforçant la protection de la présomption d’innocence et les droits des victimes. Elle a émis dans un premier temps les observations figurant au I. ci-après, puis ajouté les observations complémentaires énoncées au II. I.
Sur l’article 1er
On ne voit pas ce qui justifie réellement la substitution, dans plusieurs articles du Code de procédure pénale, de la notion de « raisons plausibles de soupçonner » à celle « d’indices faisant présumer ».
Cette modification de la loi n’a pas été demandée dans le rapport de M. Julien Dray, qui a seulement souhaité qu’une circulaire de la Chancellerie permette une « interprétation réaliste » de la notion d’indices. C’est ce que fait la circulaire de la garde des Sceaux, ministre de la Justice, en date du 10 janvier 2002, qui renvoie sur ce point à la notion de « raisons plausibles de soupçonner » en se référant à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales. Ceci devrait donc suffire, et permettre d’éviter une modification de la loi qui a l’inconvénient d’introduire dans le code, sur un point très sensible, une expression nouvelle dont la portée ne sera que progressivement fixée par la jurisprudence. La sécurité juridique recherchée par les enquêteurs de la police judiciaire n’y gagnera pas forcément.
Au surplus, la proposition de loi ne reprend pas fidèlement la rédaction de la Convention européenne : on écrit « Une ou plusieurs raisons plausibles de soupçonner » là où l’article 5 de la Convention mentionne « des raisons plausibles », et alors que le texte actuel fait état « des indices faisant présumer », exigeant donc une véritable présomption d’avoir commis ou tenté de commettre une infraction.
Il existe ici un risque certain d’abaissement, à la fois au regard du texte actuel du Code de procédure pénale et de celui la Convention inexactement invoquée, des garanties qui doivent entourer la privation de liberté. Or, l’exposé des motifs n’apporte aucune justification d’une telle évolution
Sur l’article 2
Au II
L’initiative expressément prévue par la deuxième phrase du II de cet article (« Elle est avisée que son silence est susceptible de lui porter préjudice… ») est de nature à faire peser sur la personne gardée à vue une pression et une forme d’intimidation qui peuvent mettre obstacle à la libre organisation de sa défense et qui ne reposent, au surplus, sur aucun fondement juridique réel.
Au III
La CNCDH estime qu’il n’est pas possible de prévoir que l’obligation d’aviser le procureur de la République de toute mise en garde à vue et la communication du droit de prévenir la famille du gardé à vue ou de faire appel à un médecin pourront n’intervenir que dans un délai de trois heures à compter du début de la garde à vue, et devront intervenir au plus tard dans ce délai.
a) L’avis donné au procureur de la République marque le début de la possibilité de d’intervention du parquet dans la garde à vue et, par là, permet d’assurer le contrôle de l’autorité judiciaire, telle que définie à l’article 66 de la Constitution, sur les officiers de police judiciaire. En effet, aux termes de la décision du Conseil constitutionnel n°93-326 DC du 11 août 1993, « l’autorité judiciaire qui, en vertu de l’article 66 de la Constitution, assure le respect de la liberté individuelle, comprend à la fois les magistrats du siège et ceux du parquet ». Il ne saurait donc être admis, tant pour des raisons constitutionnelles que d’effectivité du contrôle de l’autorité judiciaire, indispensable à la protection de la liberté individuelle, que le début de ce contrôle puisse être différé pendant une plage de temps de trois heures.
L’avis au Parquet, comme l’affirme une jurisprudence traditionnelle de la Chambre criminelle de la Cour de cassation, opportunément rappelée par la circulaire de la Chancellerie, doit donc être donné « sans délai » pour les raisons qui précèdent.
On ne comprendrait pas au surplus, pour des raisons de symétrie, que le délai d’information du procureur de la République ne soit pas le même que celui (« dès le début de la garde à vue »)dans lequel peut intervenir l’avocat, délai prévu à l’article 63-4 du Code de procédure pénale et qu’il n’est, heureusement, pas envisagé de porter à trois heures.
b) En ce qui concerne la communication des droits mentionnés aux articles 63-2 et 63-3, le délai pour y procéder doit continuer à être déterminé en fonction des circonstances sous le contrôle du juge, un délai de trois heures, notamment en cas d’urgence médicale, pouvant se révéler tout à fait excessif. La rédaction actuelle, dans sa rigidité, présenterait le double défaut de mettre à l’abri de toute critique, au plan de sa régularité, une notification réalisée dans ce délai de trois heures, même dans le cas où ce délai aurait conduit à des conséquences gravement dommageables, tandis qu’à l’inverse des circonstances particulières parfaitement justifiables ayant amené à dépasser ce délai ne pourraient faire échapper à la nullité des actes ainsi réalisés.
Là encore, il est préférable de demeurer dans le cadre de la situation et des textes actuels, éclairés par la circulaire de la Chancellerie.
Sur l’article 3
L’article 3 de la proposition de loi, en prévoyant la possibilité de mise en détention provisoire d’une personne à laquelle il est « reproché plusieurs délits punis d’une peine d’emprisonnement supérieure ou égale à deux ans », fait reposer cette possibilité sur une notion d’une imprécision inacceptable en droit pénal, qui est toujours d’interprétation stricte. De plus, cette disposition aboutirait à une régression considérable par rapport à la loi du 15 juin 2000 puisque, dans les cas où les délits cumulativement « reprochés » sont des atteintes aux biens, la proposition de la loi a pour effet d’abaisser de cinq à deux ans le seuil de la peine d’emprisonnement qui doit être encourue pour que la détention provisoire puisse être ordonnée ou prolongée.
Enfin, la rédaction de cet article fait dépendre la mise en détention de faits sans rapport avec l’affaire visée et non sanctionnés par une condamnation.
Sur l’article 4
En premier lieu, cet article devrait établir une obligation pour le juge d’instruction de s’enquérir de la situation familiale de la personne lors de l’interrogatoire de première comparution.
De plus, la suppression des mots « ou la prolongation de la détention provisoire » ne paraît nullement justifiée, car des faits nouveaux peuvent intervenir pendant la détention provisoire et rendre nécessaire le réexamen de la situation familiale de la personne détenue. Enfin, la CNCDH préconise que la dernière phrase de cet article soit complétée par l’insertion des mots « notamment en évitant la détention ou en y mettant fin ».
II.
En outre, ayant pris connaissance des modifications apportées au texte de la proposition de loi au cours du débat de l’Assemblée nationale, l’assemblée plénière de la CNCDH :– prend acte de ce que, comme le demandaient ses premières observations, les députés ont supprimé la formule d’intimidation que prévoyait le texte initial et qui aurait été prononcée par l’officier de police judiciaire au moment où il informe la personne gardée à vue de son droit de garder le silence ;
– maintient, pour les raisons qu’elle a déjà exprimées, que la modification de la loi concernant les motifs qui permettent un placement en garde à vue est injustifiable ;
– confirme que l’avis du placement en garde à vue donné à l’autorité judiciaire, gardienne de la liberté individuelle, doit intervenir dès le début de la garde à vue, c’est à dire sans délai, tant pour les raisons déjà invoquées de conformité constitutionnelle et d’effectivité du contrôle que dans un souci de clarté des textes dont a besoin la police elle-même, et souligne que les termes « aussi rapidement que possible » introduisent une trop grande marge d’appréciation dans l’application d’une loi de procédure pénale ;
– estime que la nouvelle rédaction de l’article de 143-1 du Code de procédure pénale, en ce qu’elle permettrait de placer en détention provisoire une personne parce qu’elle est poursuivie pénalement dans une affaire antérieure, ce qui ne constitue pas une déclaration de culpabilité, est une atteinte au principe de la présomption d’innocence reconnu par l’article 9 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789.
La Commission attire l’attention du gouvernement sur les graves problèmes de constitutionnalité que ce texte pourrait poser s’il était voté en l’état.
Paris, le 24 janvier 2002