Transfert de joueurs mineurs : incohérence et délit ?

Par Pascal Nicolle,  groupe de travail LDH « Sport, droits et libertés »

Voilà déjà cinq ans que la Ligue des droits de l’Homme, grâce à l’impulsion de militants impliqués dans les clubs de football, se mobilise pour dénoncer les limites mises en place par la Fédération française de Football (FFF) à l’accès des jeunes mineurs étrangers à leur première licence de football.

La LDH soutient bien entendu les efforts du monde sportif pour lutter contre le trafic de joueurs mineurs dans le contexte du foot business, mais elle s’élève contre des mesures qu’il faut bien qualifier de discriminatoires et d’abusives. Comme le confirme l’argumentation du Défenseur des droits dans sa décision du 27 mars 2014, la FFF se réfugie derrière une sorte de « principe de précaution » dont la portée est beaucoup trop vaste et néfaste pour être véritablement efficace, alors que le trafic de joueurs est le plus souvent une affaire de réseaux organisés et implique en général les clubs professionnels, et très rarement les clubs amateurs.

On s’attendrait dès lors à une grande vigilance de la FFF concernant les transferts de joueurs mineurs français vers des clubs étrangers. Or, une récente affaire impliquant le club français de Colomiers et le FC Barcelone nous montre à tout le moins un défaut de vigilance des dirigeants français du football.

Cette affaire s’est déclenchée en avril 2014, lorsque la Fifa a pris une décision qui a fait beaucoup de bruit : l’interdiction faite au FC Barcelone de tout recrutement en conséquence de dix transferts litigieux. Parmi eux, celui d’un jeune français transféré en 2012, à l’âge de 15 ans de l’US Colomiers au FC Barcelone, a attiré l’attention de notre section de Colomiers et du Groupe de travail national de la LDH « Sport, droits et libertés ». La décision de la Fifa a fait l’objet d’un appel suspensif depuis mais l’affaire est toujours en cours.

Même si le club local de Colomiers et ses supporters se sont glorifiés de l’honneur qui leur a été fait de voir un des leurs remarqué par un grand club professionnel européen, ce « transfert » peut être considéré comme contraire aux principes posés par la Fifa et à la Convention internationale des droits de l’enfant (Cide). A juste titre, il a soulevé des interrogations dans la presse : de nombreux articles de la presse catalane, repris ensuite par La Dépêche du Midi et par des blogs et sites Internet liés au football professionnel, nous ont alerté sur les conditions de ce « transfert » de ce jeune joueur qui s’est fait, d’après la presse locale, via un intermédiaire – qui ne semble pas être un agent professionnel homologué par la FFF – et avec la complicité de son club et de la FFF.

La rapidité du transfert de la licence du joueur de la FFF vers la Fédération espagnole de football est troublante : en cette période de crise, la mère de ce joueur a trouvé un logement et un emploi à Barcelone avec beaucoup de facilité visiblement. Le FC Barcelone, pour valider ce transfert, devra prouver qu’on est bien dans une des trois exceptions à l’interdiction des transferts de mineurs : le cas où « les parents du joueur s’installent dans un pays étranger et y travaillent pour des raisons étrangères au football ».

Dans le cas d’espèce, les deux parents du joueur se sont-ils réellement installés à Barcelone et ce pour des raisons réellement étrangères au monde du football ? S’il y a bien eu un intermédiaire, y a-t-il eu transferts financiers entre les deux clubs ? Pourquoi la FFF, si sourcilleuse sur l’entrée dans les clubs français des jeunes mineurs étrangers, n’a-t-elle pas sourcillé devant le départ d’un jeune joueur français à l’étranger ? Quelles sont les bases exactes de la contestation de ce transfert part la Fifa ?

La LDH souhaite obtenir de la Fifa et de la FFF toutes les précisions sur cette affaire et elle sera très attentive aux explications du FC Barcelone et de la Fédération espagnole de football. Côté français, nous ne pouvons imaginer que la FFF continue à avoir deux attitudes contradictoires : intransigeante vis-à-vis des jeunes mineurs étrangers arrivant dans les clubs français, mais tolérante avec le départ d’un mineur français vers l’étranger.

La Fédération française de Football est la dernière fédération sportive à avoir encore des règlements et des procédures discriminatoires, il est temps qu’elle se mette au diapason du mouvement sportif, qu’elle arrête d’abuser du double langage… et respecte tout simplement la législation française et internationale.

 

 

 

 

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