Communiqué commun FIDH, LDH, SCM
Aujourd’hui, la justice française a annoncé avoir délivré en octobre des mandats d’arrêts internationaux contre trois hauts responsables du régime syrien : Ali Mamlouk, Jamil Hassan et Abdel Salam Mahmoud. Ils sont accusés de complicité de crimes contre l’humanité, liés à la disparition, à la torture et à la mort de deux ressortissants franco-syriens : Mazen et Patrick Dabbagh, et de crimes de guerre concernant Abdel Salam Mahmoud. Père et fils, ils avaient été arrêtés puis détenus à Mezzeh par des agents du renseignement de l’armée de l’air syrienne en novembre 2013. En octobre 2016, Obeïda Dabbagh, la FIDH et la LDH avaient déposé plainte, avec le soutien actif de SCM. Cette avancée décisive montre que les plus hauts responsables des atrocités commises en Syrie ne peuvent échapper à l’obligation de rendre des comptes.
« Après des années d’atrocités commises en toute impunité par le régime syrien, la décision de la justice française de poursuivre trois de ses plus hauts responsables indique qu’une justice est possible en dehors de la Syrie, devant les tribunaux d’autres pays. Elle redonne de l’espoir aux familles des dizaines de milliers de syriens disparus après avoir été arrêtés, détenus, et assassinés au secret »
Mazen Darwish, président du SCM
Les mandats visent en effet directement le haut de la hiérarchie de l’appareil répressif syrien : Ali Mamlouk, chef des services secrets syriens, et proche conseiller de Bashar al-Assad et Jamil Hassan, directeur des Service de renseignement de l’armée de l’air syrienne, également visé par un mandat d’arrêt émis en Allemagne en juin de cette année, sont visés par des mandats d’arrêts internationaux pour complicité de crimes contre l’humanité. Abdel Salam Mahmoud, responsable des investigations dudit service à l’aéroport militaire Mezzeh de Damas – cet aéroport cachant un lieu de détention parmi les plus meurtriers en Syrie selon la Commission d’enquête des Nations Unies – est visé par un mandat d’arrêt pour complicité de crimes contre l’humanité et crimes de guerre.
En octobre 2016, Obeïda Dabbagh – frère et oncle des disparus – la FIDH et la LDH, avec le soutien de SCM, avaient déposé plainte pour l’arrestation en novembre 2013 de Mazen et Patrick Dabbagh, puis leur disparition. Le père et le fils avaient été emmenés à l’aéroport militaire Mezzeh de Damas, réputé pour ses conditions de détention inhumaines et la brutalité de ses séances de tortures. La branche d’investigation des services de renseignements de l’armée de l’air syrienne y était dirigée par Abdel Salam Mahmoud. En juillet 2018, les autorités syriennes ont émis des certificats de décès, selon lesquels Patrick et Mazen Dabbagh seraient morts en janvier 2014 et novembre 2017.
« Une première victoire et le début d’une nouvelle ère de justice et de responsabilité pour les crimes contre l’humanité et les crimes de guerre commis en Syrie je l’espère »
Obeïda Dabbagh, frère et oncle des disparus
Tout au long de la procédure, la FIDH et la LDH ont déposé – avec le soutien actif du SCM – des mémoires et demandes spécifiques auprès des juges d’instruction. Elles ont également identifié des témoins clés qui ont ensuite témoigné devant la justice française des méthodes de torture brutales utilisées au centre de détention de Mezzeh et des crimes perpétrés par des agents des services de renseignement de l’armée de l’air syrienne.
« Ces mandats d’arrêt internationaux montrent que le mur d’impunité entourant depuis le début de la répression les plus hautes autorités syriennes peut être brisé. C’est un pas important vers la justice pour la famille Dabbagh, mais aussi vers la reconnaissance – par des juges indépendants – des atrocités perpétrées contre les personnes détenues par le régime syrien »
Patrick Baudouin et Clémence Bectarte, avocats des parties civiles
Les trois suspects pourraient être jugés en France, que les mandats d’arrêt soient exécutés ou non. La décision rendue publique aujourd’hui prouve que la poursuite d’auteurs d’atrocités commises en Syrie devant les systèmes judiciaires nationaux de pays tiers – par le biais de ce que l’on appelle la « compétence extraterritoriale » – constitue une option possible pour les victimes.
Nos organisations appellent les autorités compétentes à soutenir pleinement les procédures judiciaires indépendantes concernant les crimes commis en Syrie, notamment en veillant à ce que le cadre juridique applicable permette aux victimes d’accéder efficacement à la justice et que les enquêteurs disposent des ressources adéquates. Car sans justice, il ne pourra y avoir de paix durable en Syrie
Contexte :
Le nombre précis de détenus en Syrie est inconnu.
Selon les estimations, 250 000 à 1 million de civils ont été arrêtés puis détenus par les forces gouvernementales et les milices qui y sont affiliées depuis le début des manifestations contre le régime en 2011. Ils ont été le plus souvent détenus arbitrairement ou illégalement à travers un vaste réseau de centres de détention connus et secrets à travers le pays, sans procédure régulière, accès à une représentation légale ou à leurs familles. De nombreuses personnes sont mortes en détention, souvent sommairement exécutées.
En 2014, un ancien photographe médico-légal ayant travaillé pour la police militaire syrienne et surnommé « Caésar », faisait sortir clandestinement 45 000 photographies de personnes mortes en détention depuis 2011.
Paris, le 5 novembre 2018
Signataires : Fédération internationale des ligues des droits de l’Homme (FIDH), Ligue des droits de l’Homme (LDH), Syrian Center for Media and Freedom of Expression (SCM)