Communiqué commun dont la LDH est signataire
C’est avec intérêt que nous avons suivi les récentes visites et échanges entre dirigeant.e.s européen.ne.s et autorités tunisiennes, à savoir : 1/la visite de Giorgia Meloni, Première ministre italienne, le 6 juin 2023, 2/son retour accompagnée d’Ursula von der Leyen, présidente de la Commission européenne, et du Premier ministre néerlandais Mark Rutte quelques jours plus tard, puis 3/l’échange téléphonique entre le président Kais Saied et Charles Michel, président du Conseil européen, le 15 juin 2023, et enfin 4/la visite de M. Gérald Darmanin et Mme Nancy Faeser, ministres de l’Intérieur français et allemand le 18 et 19 juin 2023.
Bien que peu surprenant de la part de la dirigeante italienne d’extrême droite, les représentant.e.s européen.ne.s ont fait preuve durant leurs échanges d’un aveuglement total par rapport à la question de la migration tout en démontrant un cynisme glaçant et une surdité quasi-absolue face aux alertes de la société civile nationale et internationale, ainsi qu’à celles de leurs propres institutions. En effet, durant ces quatre rencontres, mis à part une timide mention de la démocratie dans le tweet du président du Conseil après son échange téléphonique avec le président Saied, aucun mot n’a été prononcé sur la déliquescence de l’Etat de droit, les attaques contre l’indépendance de la justice, la liberté d’expression constamment menacée (les conférences de presse de Mmes Meloni et Von der Leyen sans journalistes ne semblant d’ailleurs déranger personne), ni sur les dizaines d’activistes politiques arbitrairement détenu.e.s depuis plus d’une centaine de jours.
Ces voltefaces sont d’autant plus déroutantes que les institutions de l’Union européenne ont à plusieurs reprises, bien que de manière faible et incohérente, alerté sur les graves menaces pesant sur la transition démocratique en Tunisie depuis la confiscation des pouvoirs par le président Saied le 25 juillet 2021.
Il est important de rappeler aux représentant.e.s européen.ne.s que la Commission de Venise, dans son avis urgent rendu suite à une demande du Service européen pour l’action extérieure (SEAE), a largement remis en question la légalité du processus référendaire en Tunisie ayant conduit à la mise en place de la constitution du président Saied, pilier de son projet autoritaire, antidémocratique et populiste.
Il convient également de rappeler aux dirigeants européens les deux résolutions adoptées par leur parlement le 20 octobre 2021 et le 14 mars 2023, qui s’alarmaient de la situation des droits de l’Homme et de l’Etat de droit en Tunisie, exigeaient la libération des détenu.e.s, condamnaient les propos racistes du président et demandaient explicitement « à la Commission de suivre la situation et de communiquer des critères spécifiques assortis de délais en matière de droits humains dans le cadre de son engagement avec la Tunisie ». Une demande largement ignorée par Ursula von der Leyen lors de sa visite.
Il est inutile de rappeler aux représentants européens la résolution de la Cour africaine des droits de l’Homme et des peuples condamnant la Tunisie à retrouver la voie de la démocratie dans un délai n’excédant pas deux ans.
En plus d’ignorer ces nombreuses mises en garde et déclarations importantes, l’abdication de Ursula von der Leyen, la timidité de Charles Michel et le cynisme des ministres de l’Intérieur allemand et français ont soufflé un vent glacial sur les partisans de l’Etat de droit et de la démocratie en Tunisie. Cela leur rappelle une fois de plus que la solidarité de la « communauté des valeurs » ne pèse pas grand-chose face à la question migratoire qui obsède les dirigeants européens, ni face au spectre de l’extrême droite planant sur les élections européennes qui auront lieu dans un an.
Pourtant, les partenaires européens devraient savoir qu’il n’y a ni stabilité, ni prospérité, ni développement économique juste et durable sans démocratie et Etat de droit, et que les êtres humains ne migrent pas seulement pour un avenir économique meilleur, mais aussi à la recherche d’Etats garantissant leurs droits et libertés, les protégeant, eux et leurs enfants, de toutes formes d’abus et d’exactions.
Les dirigeants européens devraient, mieux que quiconque, savoir que le soutien à des régimes autocratiques dans le but de limiter les flux migratoires ne fait que repousser l’échéance d’une crise politique, sociale et humaine, et donc migratoire, qui ne sera que plus grande.
Signataires : Avocats Sans Frontières (ASF), EuroMed Rights, Organisation mondiale contre la torture (OMCT), Fédération internationale des droits de l’Homme (FIDH), LDH (Ligue des droits de l’Homme), Comité pour le respect des libertés et des droits de l’homme en Tunisie (CRLDHT), Fédération des tunisiens citoyens des deux rives (FTCR), Union des travailleurs immigrés tunisiens (UTIT), Le Mouvement des Progressistes (MdP), Réseau euro-méditerranéen France (REF), Centre d’études et d’initiatives de solidarité internationale (CEDETIM) et Pour une Ecologie Populaire et Sociale (PEPS).
Le 27 juin 2023