Communiqué commun signé par la LDH
Le gouvernement français doit renoncer à mettre en œuvre la Déclaration d’entente sur la protection des mineurs signée le 7 décembre dernier avec le Maroc.
Cette déclaration a pour objet d’organiser le renvoi des mineur-es marocain-es en situation d’errance sur le territoire français vers leur pays d’origine. Elle s’appuie sur un schéma de procédure qui fixe le cadre juridique de la collaboration entre les deux pays.
Si la recherche de la famille d’un-e mineur-e étranger-e en situation d’isolement sur le territoire français et l’élaboration d’une proposition de retour entrent dans le cadre des obligations internationales de la France, c’est à condition que ce projet corresponde à son intérêt supérieur et qu’il y consente de manière éclairée. L’ensemble de la procédure doit, en outre, comporter à chaque étape des garanties suffisantes permettant de s’assurer du respect de ces conditions.
Force est de constater que le schéma de procédure élaboré par les services du ministère de la justice ne respecte aucun de ces principes :
- Pour pouvoir évaluer la situation de l’enfant et envisager un retour, le ou la juge des enfants doit avoir accès à des informations fiables sur la situation familiale et les conditions d’accueil au Maroc. Il ne peut être question de se contenter d’un simple questionnaire adressé à la partie marocaine, comme le prévoit le schéma de procédure.
- Les conditions dans lesquelles le consentement de l’enfant doit être recueilli ne sont entourées d’aucune garantie. Il est prévu qu’un « travail éducatif devra être réalisé en amont par les services sociaux français afin de faire adhérer le mineur à la mesure». Quel peut être le sens d’un tel travail dès lors, qu’au final, la mesure pourra être exécutée de force ? Dans ces conditions, le seul rappel de la possibilité pour le ou la jeune de solliciter l’assistance d’un⋅e avocat⋅e est insuffisant. Sa présence doit être obligatoire à toutes les phases de la procédure. L’enfant doit aussi disposer d’un recours effectif en cas de décision contraire à son intérêt, ce qui suppose qu’en cas d’appel, l’exécution de la mesure de retour soit suspendue.
- Il est explicitement prévu « de requérir le concours de la force publique» pour renvoyer des mineur⋅es sans leur consentement, ni celui de leur famille. Une telle mesure ne peut être conforme à l’intérêt supérieur de l’enfant. L’éloignement forcé d’un⋅e mineur-e de nationalité étrangère est prohibé par le code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile. C’est au prix d’un véritable détournement de sa législation en matière de protection de l’enfance que la France tente de se soustraire à cette interdiction. Une telle perspective ne peut que dissuader les jeunes marocain-es en danger sur le territoire français de solliciter une aide ou d’à adhérer à la mesure de protection qui leur est proposée.
- En prévoyant la possibilité pour le parquet français de dénoncer « aux fins de poursuite » les infractions commises en France, ce texte expose ces enfants à des poursuites pénales à leur arrivée au Maroc. Il existe aussi des risques de poursuite pour « délit d’émigration » puisque la législation marocaine permet de sanctionner les personnes, y compris mineures, qui ont quitté illégalement ce pays.
- Que l’enfant soit confié à sa famille ou à un service social au Maroc, on peut s’interroger sur la capacité des autorités marocaines à garantir sa sécurité et son bien-être. Plusieurs rapports de l’Unicef rappellent qu’en raison du manque de moyens mais aussi de l’absence de consensus social sur la notion de violence à l’égard des enfants (châtiments, exploitation, abus sexuel…), toutes les situations de danger ne donnent pas lieu à une mesure de protection et que les les 16-18 ans n’en bénéficient qu’exceptionnellement[1].
- Enfin, ce texte ne prévoit aucune disposition particulière visant à repérer et protéger les mineur-es marocain·es qui seraient éligibles à une protection au titre de l’asile ou qui seraient victimes de traite des êtres humains.
Finalement, sous couvert de coopération en matière de protection de l’enfance, cette déclaration d’entente entre les deux pays ne constitue rien d’autre qu’un accord en matière migratoire qui ne dit pas son nom. Il permet à la France de se débarrasser à bon compte d’enfants en situation de danger sur son territoire.
Nous demandons la suspension immédiate de son application. Tous les enfants en danger sur le territoire français doivent bénéficier d’une prise en charge pérenne.
Signataires :
Aadjam (Association d’accès aux droits des jeunes et d’accompagnement vers la majorité), Admie (Association pour la défense des mineurs isolés étrangers), ADDE (Avocats pour la défense des droits des étrangers), Adjie (Accompagnement et défense des jeunes isolés étrangers), Amnesty International, ATMF (Association des Travailleurs Maghrébins de France), CCFD-Terre Solidaire, La Cimade, Collectif vigilance pour les droits des étrangers Paris 12e, DEI-France, EGM (États généraux des migrations), Fasti, Gisti, Hors la rue, InfoMIE, Kids Empowerment, Ligue des droits de l’Homme (LDH), Me Delanoë Daoud, co-responsable du Pôle MIE de l’Antenne des mineurs, Me Roth, co-responsable du Pôle MIE de l’Antenne des mineurs, Médecins du Monde, Mrap, RESF, Secours Catholique – Caritas France, SNPES-PJJ/FSU, Syndicat des avocats de France (Saf), Syndicat de la magistrature (SM), Utopia 56
Paris, le 19 mars 2021