Dans le contexte de crise sanitaire actuelle, les autorités françaises ont adopté des mesures de confinement destinées à freiner la pandémie de Covid-19. Le Parlement a voté une loi1 habilitant le gouvernement à agir par ordonnances et à prendre diverses restrictions dans le cadre d’un état d’urgence sanitaire. Des restrictions de circulation ont notamment été édictées pour faire face à cette situation exceptionnelle.
Cependant, l’absence de précision du cadre légal entourant les missions de contrôle des forces de l’ordre comporte des risques évidents de décisions arbitraires et de recours disproportionnés à la force. La LDH alerte et dénonce ces réactions disproportionnées des forces de l’ordre dans le cadre de leurs missions de contrôle des déplacements quotidiens. Elle met également à votre disposition des précisions sur le cadre légal qui entoure l’action des forces de l’ordre, même en temps de confinement.
L’usage de la force…
Il convient de rappeler que, même dans la situation actuelle, la police et la gendarmerie ne peuvent recourir à la force qu’en cas de légitime défense (art. 122-5 du code pénal), lorsqu’un danger actuel ou imminent nécessite un acte (strictement proportionné) destiné à protéger le bien ou la personne en danger (art. 122-7 du code pénal), ou dans le but de maîtriser une personne lors d’une interpellation (art. 73 du code de procédure pénale). En outre, les forces de l’ordre ne peuvent faire usage de leurs armes qu’« en cas d’absolue nécessité et de manière strictement proportionnée » (art. L.435-1 du code de la sécurité intérieure).
Par ailleurs, en matière contraventionnelle, l’article 73 du code de procédure pénale ne permet pas de recourir à l’emploi de la force. De façon générale, les dispositions relatives à la déontologie des forces de l’ordre, et notamment l’article R. 434-18 du code de sécurité intérieure, rappellent que « [l]e policier ou le gendarme emploie la force dans le cadre fixé par la loi, seulement lorsque c’est nécessaire, et de façon proportionnée au but à atteindre ou à la gravité de la menace, selon le cas ». Seule la rébellion2 (faire de grands gestes, se débattre), qui est un délit passible d’emprisonnement, peut conduire à placer la personne en garde à vue.
Dès lors, les comportements violents de certains agents, par agression physique sans nécessité apparente, parfois avec usage de gaz lacrymogènes, peuvent s’avérer incompatibles avec le cadre légal et les règles de déontologie en vigueur.
Le placement en garde à vue
De manière générale, pour connaître vos droits en garde à vue : consultez la fiche « Nos droits » dédiée. Attention, dans le cadre de l’état d’urgence sanitaire, votre droit à un avocat peut se limiter à un échange par visioconférence ou téléphone, conditions dans lesquelles les garanties de confidentialité sont difficilement applicables. De plus, nombre de Barreaux ne désignent plus d’avocat de permanence : en conséquence, l’assistance d’un avocat n’est possible que si vous en choisissez un (à vos frais) et que ce dernier accepte les modalités de communication mises à disposition3. Par ailleurs, en cas de prolongation de garde à vue, vous ne serez pas présenté au procureur de la République4. A noter que si le droit à voir un médecin demeure inchangé, il semble que dans la pratique ce ne soit pas systématiquement le cas – peut-être parce qu’il y a un manque de médecins disponibles, mais il faudrait alors questionner le risque pour les personnes à être placées en garde à vue, dans des conditions particulièrement dangereuses aujourd’hui.
Dans le contexte actuel, une mise en garde à vue qui serait uniquement fondée sur une instrumentalisation du délit de mise en danger d’autrui (art. 223-1 du code pénal), est irrégulière.
Cette infraction est caractérisée par « le fait d’exposer directement autrui à un risque immédiat de mort ou de blessures de nature à entraîner une mutilation ou une infirmité permanente, par la violation manifestement délibérée d’une obligation particulière de prudence ou de sécurité imposée par la loi ou le règlement », aux seules fins de placer des personnes en garde à vue.
La Cour de cassation rappelle, par une jurisprudence constante, que le simple non-respect d’une interdiction contraventionnelle ne permet pas de retenir l’infraction de mise en danger d’autrui, s’il n’existe pas au surplus la démonstration d’un comportement particulier, exposant autrui à un risque concret et immédiat de mort5. Or, le fait de ne pas pouvoir présenter une « attestation de déplacement dérogatoire »6 (fait sanctionné par une contravention de la 4e classe7) ou de l’avoir mal rédigée8 ne saurait être considéré comme entraînant en soi un risque concret et immédiat de mort. Le défaut d’attestation ne crée en lui-même aucun risque. Et le non-respect de règles générales de prudence ne permet pas de sanctionner pour mise en danger délibérée de la vie d’autrui9.
A supposer même que le non-confinement soit retenu comme violation de l’obligation particulière, cet acte n’expose pas directement autrui à un risque immédiat de mort. Enfin, dans le cadre de ce délit précis, il convient d’ajouter que la tentative n’est pas punissable.
Dans ces conditions, le recours à cette qualification délictuelle étant abusif, ses conséquences juridiques, et notamment le placement en garde à vue, s’avèrent tout autant illégales. Selon l’article 62 du code de procédure pénale, on ne peut placer en garde à vue qu’une personne contre laquelle il existe au moins une raison plausible « de soupçonner qu’elle a commis ou tenté de commettre un crime ou un délit puni d’une peine d’emprisonnement » : tel n’est pas le cas d’une personne qui n’a commis qu’une contravention, celle-ci ne pouvant pas être le support du délit de mise en danger de la vie d’autrui.
Il convient par ailleurs de rappeler que les forces de l’ordre sont tenues de désobéir lorsqu’un ordre manifestement illégal leur est donné (art. 122-4 du code pénal), sauf à commettre l’infraction de privation de liberté par personne dépositaire de l’autorité publique (art. 432-4 du code pénal)10. Le supérieur hiérarchique qui validerait ce détournement de procédure se rendrait en outre complice de ce délit. La circulaire11 d’application des nouveaux textes a précisé que ce délit ne convenait pas à la situation.
Si les enjeux actuels sont graves, et peuvent nécessiter des interdictions de déplacement, les mesures et sanctions prises doivent demeurer légales, proportionnées et dictées par une « approche fondée sur les droits de l’Homme pour réguler cette pandémie »12 .
Actuellement, la loi du 23 mars 2020 a créé un nouveau délit de « violation réitérée du confinement » (art. L.3136-1 du code de la santé publique), passible d’emprisonnement, qui permet de placer une personne en garde à vue. Il n’est pas applicable tant que vous n’avez pas déjà fait l’objet de verbalisation pour contravention au moins trois fois en un mois. Attention, l’outrage ou la rébellion (faire de grands gestes, se débattre…) contre les forces de l’ordre suffisent pour placer quelqu’un en garde à vue.
Un nouveau délit : la violation réitérée du confinement
Il a créé, dans la nuit du 22 au 23 mars 2020 un nouveau délit en cas de répétition de quatre contraventions dans le délai d’un mois. Il faut préciser que dès la 2e violation dans les 15 jours, des règles éditées par le gouvernement ou le préfet, l’amende passe à 1500€ (5e classe ou, si la procédure d’amende forfaitaire est choisie, à 200€). A partir de la 4e verbalisation dans un délai d’un mois, les faits sont punis de six mois d’emprisonnement et de 3750€ d’amende, ainsi que (éventuellement) de la peine complémentaire de travail d’intérêt général et celle de suspension, pour une durée de trois ans au plus, du permis de conduire lorsque l’infraction a été commise à l’aide d’un véhicule13. Si l’imprécision des obligations actuelles donne déjà tout pouvoir à l’arbitraire policier14, celles-ci sont appelées à se multiplier du fait de l’état d’urgence sanitaire.
L’inspection visuelle, la fouille des bagages, de vos sacs ou de vos poches
Dans le cadre du confinement, un déplacement pour faire ses achats de première nécessité est possible15. Dans ce contextes, les forces de l’ordre peuvent-elles inspecter vos sacs ou fouiller vos sacs pour le vérifier et décider ensuite de vous verbaliser en cas de non-respect des règles de confinement16 ?
Les règles de confinement pendant la pandémie du Covid-19 ne modifient pas les règles applicables de procédure pénale en matière d’inspection visuelle ou de fouille. Il doit être rappelé que ce que vous portez sur vous ou dans vos sacs relève de votre sphère intime : une inspection visuelle ou une fouille sont des atteintes à votre droit à la vie privée, et celle-ci est protégée par l’article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales17. Bien entendu, les policiers peuvent avoir le droit de procéder à ces inspections visuelles ou à des fouilles, mais seulement en respectant les règles de procédure pénale, dans deux cas de figure.
Il n’est possible de pratiquer une inspection visuelle / fouille qu’en police judiciaire18 :
1/ L’inspection visuelle / fouille est effectuée sur réquisition du procureur19 pour une durée maximale de 24 heures dans un périmètre délimité.
La réquisition ne peut concerner que la recherche de certaines infractions précisées et le Conseil constitutionnel a précisé que, pour éviter tout détournement de procédure, le procureur doit mentionner les raisons qui justifient de tels contrôles à tel lieu et tel jour. En outre, le procureur ne peut pas cumuler des réquisitions20. Notons toutefois que les policiers ne sont pas tenus de vous présenter la réquisition.
Autrement dit, si le policier ou le gendarme vous demande d’ouvrir votre sac, vous pouvez refuser sauf s’il vous dit agir sur réquisition. Mais lorsque vous recevrez votre avis de contravention, vous devrez la contester21. Deux hypothèses :
- soit l’avis de contravention fait mention de la réquisition et vous la contesterez sur le fondement de la jurisprudence précitée du Conseil constitutionnel,
- soit la contravention ne fait pas mention de la réquisition et vous la contesterez sur le fondement de l’illégalité de la fouille (voir ci-dessous).
Notons en conclusion, qu’il est fort peu probable que les patrouilles vous demandent d’ouvrir votre sac sur réquisition.
2/ Il s’agit d’une inspection ou fouille classique, d’enquête de police judiciaire.
Une fouille des bagages, des sacs ou de vos poches, relève, selon une jurisprudence constante22 de la Cour de cassation, des règles relatives à une perquisition23.
Autrement dit, elle n’est possible que si elle est effectuée (conditions cumulatives) :
- Par un officier de police judiciaire (OPJ) : le nom et le grade de l’agent seront indiqués sur le procès-verbal de contravention qui constate la violation des règles de confinement, de sorte que si ce n’est pas un OPJ, vous aurez tout intérêt à contester la contravention par lettre recommandée avec demande d’accusé de réception devant le procureur de la République, en faisant valoir que la constatation résulte d’une fouille illégale.
- Devant vous24 : il arrive que plusieurs policiers vous contrôlent en même temps et qu’un seul s’empare de votre sac pour en vérifier le contenu, caché par la présence des deux autres. La fouille n’étant pas faite devant vous, refusez de remettre les « objets représentés » et vous contesterez la contravention pour violation des règles de fouille.
- En flagrance25 : selon l’article 53 CPP, combiné aux pouvoirs de « fouille »26, il n’y a flagrance que si le policier peut vous reprocher au moins un délit passible d’emprisonnement (ou un crime). Il n’est donc pas possible de procéder à une fouille pour une simple contravention.
Il faut ensuite que le policier puisse démontrer qu’il existe un indice objectif apparent d’un crime ou d’un délit passible d’emprisonnement en train de se commettre ou qui vient de se commettre27. C’est possible si, à l’issue d’une palpation de sécurité28 lors d’un contrôle d’identité, le policier sent au toucher, par exemple, la forme d’une arme. Or, le fait que vos achats correspondent ou non à des objets de première nécessité n’est pas déterminable à la palpation.
Donc, il n’est pas possible de vous fouiller d’office (ni même d’inspecter votre sac). Pour contourner cet obstacle de l’impossibilité d’agir en flagrance, les policiers demandent souvent à la personne ciblée, d’ouvrir elle-même son sac ou de sortir les objets de ses poches. Ainsi, la vue des objets incriminants peut permettre d’obtenir l’indice objectif apparent du délit passible d’emprisonnement en train de se commettre (exemple : de la résine de cannabis).
Dans ce cas, vous avez accepté l’inspection visuelle et les policiers peuvent agir ainsi en enquête préliminaire29. Cependant, outre le fait que les agents sont censés indiquer sur leur procès-verbal pourquoi ils vous ont ciblé, ils devraient également vous faire signer un papier les autorisant à vous demander d’ouvrir votre sac.
Pouvez-vous vous y opposer ? Oui. Bien entendu en restant poli, courtois et en ne vous énervant pas (pour ne pas risquer des poursuites pour outrage ou rébellion). Mais le problème vient qu’actuellement, le rapport de force prévaut et les policiers risquent de vous emmener en garde à vue ou en vérification d’identité et sans témoin, il va être compliqué de vous défendre, notamment d’accusations de rébellion30 ou d’outrage31. Nous devons tous demander, en tant que citoyennes et citoyens, d’autres types de relations police-population fondées sur la confiance et non sur l’arbitraire et l’autoritarisme.
Ne pas oublier : il n’est possible de contester les mentions d’un procès-verbal de contravention que par témoin ou par écrit32.
L’achat de produits de première nécessité et la verbalisation
Un policier ou un gendarme a-t-il le droit de déterminer ce qui est de première nécessité ou pas ? Evidemment non. Il n’existe d’ailleurs pas de définition dans le décret de ce qu’est un produit de première nécessité, de sorte qu’une contravention qui se fonderait sur l’absence de nécessité première du bien acheté pourrait être contestée, pour absence de prévisibilité de l’infraction, en violation du principe de la légalité des délits et des peines33.
Le décret décide des établissements qui doivent rester fermés et ceux qui restent ouverts34 ; dès lors, un policier n’a pas à décider de ce que vous pouvez acheter dans ces commerces ou non.
Le fait que les plus hautes autorités acceptent ce contrôle inconstitutionnel est un encouragement à l’arbitraire et donc une brèche supplémentaire dans l’Etat de droit35.
Analyse juridique produite par l’Observatoire parisien des libertés publiques.
Télécharger aussi le guide pratique sur les contestations des contraventions relatives aux règles de confinement, réalisé par l’Observatoire parisien des libertés publiques.